• 28 avr 2020
  • Communiqué de presse

Les investissements de la Chine en Afrique ne peuvent pas acheter le silence d’un continent

Par Deprose Muchena, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnistie internationale

Si la pandémie de COVID-19 a parfois révélé le meilleur de l’humanité, elle a aussi, par moments, mis en évidence nos défauts. Comparons, par exemple, les dons massifs de matériel faits par la Chine à l’Afrique pour lutter contre la COVID-19, d’une part, et les mauvais traitements récemment subis par des migrant·e·s africain·e·s dans la ville de Guangzhou (sud de la Chine).

Dans des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, on a pu voir les porteurs présumés du coronavirus se faire expulser d’hôtels et de logements et se retrouver forcés à dormir dans la rue. Une séquence montrait même un restaurant interdisant, semble-t-il, l’accès aux personnes noires.

Ces incidents ont été rapidement « traités » par les autorités. Le gouvernement chinois a affirmé appliquer une « tolérance zéro pour la discrimination » et travailler avec les autorités locales pour « améliorer leur méthode de travail », tout en s’efforçant de discréditer les informations faisant état de tels faits. Les dirigeants africains semblent avoir accepté leurs explications.

Pourtant, au sein de la population en Afrique, les scènes filmées à Guangzhou ont provoqué une colère que je n’avais jamais vue avant dans ce contexte. Et ce n’est pas seulement le racisme qui met les gens en colère, mais aussi ce qu’ils considèrent comme un déséquilibre profond dans cette relation prétendument amicale.

Nul besoin d’être un génie pour deviner pourquoi les gouvernements africains emploient une diplomatie circonspecte dans leurs échanges avec Pékin. La Chine est la première nation créancière du continent et les relations commerciales liées à son initiative des Nouvelles routes de la soie s’étendent du Soudan à l’Afrique du Sud. Cependant, dans le contexte actuel, ces gouvernements sont terriblement en décalage avec leurs engagements en termes de droits humains et leur population.

Les réactions des dirigeants africains ont été timides ou, pire, ont ressemblé à une tentative d’excuses pour la Chine. Le gouvernement d’Afrique du Sud a déclaré que ces incidents étaient « en contradiction avec les excellentes relations existant entre la Chine et l’Afrique », tandis qu’un ministre du Nigeria a déclaré que les actions de la police de Guangzhou étaient justifiées. Ses propos ont par la suite été repris dans certains médias chinois en guise de « preuve » que la Chine n’avait rien fait de mal.

Il apparaît pourtant de plus en plus que ces incidents ne peuvent pas être écartés si facilement. La semaine dernière, l’ambassade de Chine au Zimbabwe a déclaré qu’il était « dangereux de dramatiser des cas isolés ». Le racisme et la discrimination envers les ressortissants de pays africain en Chine n’ont toutefois rien de nouveau. Au contraire, la principale raison de l’indignation des Africains est que les incidents à Guangzhou que l’on voit dans cette vidéo de mauvaise qualité diffusée sur les réseaux sociaux s’inscrivent dans une histoire de xénophobie systémique.

La Chine se plaît à prétendre que ses relations avec les États africains sont « gagnant-gagnant » et « sans conditions », car Pékin fournit des infrastructures, des technologies et des opportunités en échange de l’accès à des ressources naturelles.

Or, les personnes expulsées de leur logement à Guangzhou, puis abandonnées par leur propre gouvernement, ne sont clairement pas gagnantes lorsque les relations diplomatiques prennent le dessus sur les droits humains. Le silence des dirigeants africains sur les atteintes que subissent leurs ressortissants en Chine semble être le prix qu’ils sont prêts à payer pour maintenir les financements d’entreprises et l’aide médicale.

Et ce silence s’étend au-delà de Guangzhou. De la même manière qu’aucun pays d’Afrique n’a critiqué publiquement la Chine pour les violations des droits humains que nous savons qu’elle commet contre les minorités ethniques au Xinjiang, on a laissé les autorités chinoises saper les droits des Africains lorsqu’elles ont mené des activités sur le continent.

Amnistie internationale a constaté le coût humain de l’industrie minière chinoise au Mozambique et en République centrafricaine ainsi que le rôle de la Chine dans les chaînes d’approvisionnement de cobalt extrait par des enfants et des adultes dans des conditions dangereuses en République démocratique du Congo.

Loin d’être des « cas isolés », ces incidents, si l’on creuse un peu plus dans cette relation, révèlent que la xénophobie est l’un des nombreux problèmes qui se cachent sous sa surface. Voir cette question mise sous le tapis entretient les suspicions de nombreux Africains qui ont le sentiment que ni la Chine, ni leur propre gouvernement ne prennent leurs intérêts à cœur – notamment quand il s’agit de faire des affaires.

Pour agir comme la grande puissance mondiale qu’elle pense être, la Chine doit se montrer à la hauteur de la responsabilité de protéger les droits humains sur son territoire et en dehors. Pékin doit mettre ses actes en conformité avec son engagement affiché de tolérance zéro pour la discrimination, en changeant sa façon de collaborer avec les Africains, en Chine comme à l’étranger. Indemniser ceux qui ont été victimes à Guangzhou serait un bon début, sans parler de leur présenter des excuses en bonne et due forme.

Quant aux dirigeants africains, ils doivent être aussi hardis que leurs citoyens pour exiger ce changement. Ils pensent peut-être protéger les intérêts économiques de leur pays en se taisant, mais en réalité, ils ne font que dévoiler les défaillances de cette amitié fragile.

 

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