Il faut protéger les détenus exposés à la COVID-19, désengorger les prisons et libérer les prisonniers d’opinion
En Afrique subsaharienne, les autorités doivent agir de toute urgence afin de protéger les personnes détenues contre la COVID-19, notamment en libérant les prisonnières et prisonniers d’opinion, en réexaminant les dossiers des personnes placées en détention provisoire et en assurant l’accès aux soins de santé et aux produits sanitaires dans tous les centres de détention, a déclaré Amnistie internationale le 20 avril 2020.
« Alors que la COVID-19 se propage en Afrique subsaharienne, la forte surpopulation constatée dans la plupart des prisons et centres de détention risque de se traduire par une catastrophe sanitaire, aggravée par la pénurie généralisée de soins de santé et d’installations sanitaires, a déclaré Samira Daoud, directrice pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale à Amnistie internationale.
« Dans de nombreux pays de la région, une forte proportion de la population carcérale se trouve derrière les barreaux uniquement pour avoir exercé de manière pacifique ses droits humains. Non seulement c’est la bonne décision à prendre, mais le fait de libérer immédiatement et sans condition les prisonniers et prisonnières d’opinion fera de la place dans ces structures et contribuera à protéger les détenu·e·s et le personnel contre le virus. »
Amnistie internationale demande aux autorités d’envisager la libération anticipée, provisoire ou conditionnelle des détenu·e·s âgés ou souffrant de pathologies préexistantes, ainsi que des femmes et jeunes filles enceintes ou incarcérées avec leurs jeunes enfants.
Dans les pays d’Afrique subsaharienne, la détention provisoire est utilisée de manière excessive et à titre de châtiment. En juin 2019, 28 045 personnes étaient détenues dans les prisons de Madagascar, qui dispose d’une capacité nationale totale de 10 360 places. Plus de 75 % des 977 adolescents détenus se trouvaient en détention préventive. Les adultes comme les mineurs accusés d’infractions mineures à Madagascar sont enfermés dans des prisons surpeuplées et insalubres pendant des périodes prolongées ne respectant pas la durée légale de la détention préventive. Au Sénégal, avant la libération de prisonniers annoncée en mars 2020, le pays comptait 11 547 personnes incarcérées dans 37 prisons totalisant une capacité de 4 224 places. De même, au Burundi, où les prisons ont une capacité de 4 194 places, 11 464 personnes étaient emprisonnées en décembre 2019, dont 45,5 % en détention provisoire.
D’après les derniers chiffres disponibles concernant la prison centrale de Makala, en République démocratique du Congo (RDC), en 2016, cet établissement hébergeait 8 000 détenus, soit plus de cinq fois sa capacité d’accueil de 1 500 places. Si quelque 700 détenu·e·s ont été libérés à travers le pays en 2019, au moins 120 sont morts de faim, de manque d’eau potable et de soins de santé adéquats au cours de la même période.
« Déjà, avant la pandémie de COVID-19, les prisons en RDC pouvaient s’avérer mortelles. Tout en dévoilant la terrible réalité que subissent les personnes privées de leur liberté, le virus exacerbe les risques auxquels les détenu·e·s sont confrontés au quotidien », a déclaré Deprose Muchena, directeur pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe à Amnistie internationale.
Journalistes, défenseur·e·s des droits humains, étudiant·e·s
Dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, il est coutumier de détenir de manière arbitraire des personnes parce qu’elles exercent ou défendent les droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique ou d’association, ce qui contribue à la surpopulation carcérale. Amnistie internationale a mis en lumière la terrible situation de plusieurs prisonniers et prisonnières d’opinion, désormais exposés à la menace bien réelle de la COVID-19 en prison. Il s’agit notamment des personnes suivantes :
Au Bénin, le journaliste Ignace Sossou a été condamné le 24 décembre 2019 à 18 mois d’emprisonnement pour « harcèlement par le biais de moyens de communication électronique » pour avoir relayé sur Twitter des propos attribués au procureur général, qui avait pris la parole lors d’une conférence organisée par l’agence de coopération Canal France International (CFI).
Au Burundi, le défenseur des droits humains Germain Rukuki a été arrêté en raison de son travail et purge actuellement une peine de 32 ans de prison, tandis que quatre journalistes du groupe de presse Iwacu, l’un des derniers médias indépendants du pays, ont été condamnés le 30 janvier 2020 à deux ans et demi d’emprisonnement pour avoir tenté d’enquêter sur des affrontements meurtriers dans le pays.
Au Cameroun, trois étudiants, Fomusoh Ivo Feh, Afuh Nivelle Nfor et Azah Levis Gob, ont été condamnés à 10 ans de prison pour « non-dénonciation d'informations liées au terrorisme », après avoir relayé par texto une blague sur Boko Haram. Parmi les personnes toujours détenues pour avoir manifesté pacifiquement soit contre les fraudes présumées lors de l’élection présidentielle de 2018, soit en faveur des droits économiques et sociaux dans les régions anglophones, citons le cas de Mancho Bibixy Tse. Interpellé le 9 janvier 2017, il a été condamné le 25 mai 2018 par un tribunal militaire à une peine de 15 ans de prison pour « terrorisme », uniquement parce qu’il avait manifesté sans violence contre la marginalisation des Camerounais anglophones.
Au Tchad, Martin Inoua, directeur du journal privé Salam Info, a été condamné à une peine de trois ans de prison en septembre 2019 pour diffamation, accusation calomnieuse et association de malfaiteurs, après avoir publié un article dans lequel il dénonçait l’agression sexuelle contre une ancienne ministre.
« Amnistie internationale considère toutes ces personnes comme des prisonniers et prisonnières d’opinion, incarcérés pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. Ils doivent être libérés immédiatement et sans condition », a déclaré Deprose Muchena.
En Guinée, des militants du Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) sont détenus de manière arbitraire pour avoir manifesté pacifiquement contre un projet de réforme constitutionnelle qui permettrait au président Alpha Condé de briguer un troisième mandat et contre la tenue d’un référendum constitutionnel le 22 mars 2020.
Ibrahimo Abu Mbaruco, journaliste au Mozambique, a été victime d’une disparition forcée le 7 avril 2020, après avoir envoyé un texto à un collègue pour lui dire que des soldats le harcelaient non loin de chez lui, à Palma, dans la province de Cabo Delgado, dans le nord du pays. Il est notoire que les autorités mozambicaines emprisonnent des journalistes arbitrairement et les soumettent à la torture et à des mauvais traitements.
« Il est très inquiétant qu’un si grand nombre de personnes ayant exercé pacifiquement leurs droits humains se retrouvent aujourd’hui confrontées au risque potentiellement mortel de contracter la COVID-19 dans les prisons africaines. Elles doivent être libérées sans plus tarder », a déclaré Deprose Muchena.
Au Somaliland, le président Muse Bihi Abdi a gracié 574 prisonniers le 1er avril afin de désengorger les prisons dans le cadre de la réponse à la pandémie de COVID-19, mais n’a pas remis en liberté le journaliste indépendant Abdimalik Muse Oldon, arrêté et détenu de manière arbitraire depuis un an pour l’avoir critiqué sur Facebook.
Opposant·e·s politiques et détracteurs du gouvernement
Au Congo, quatre partisans du mouvement d’opposition Incarner l'Espoir, Parfait Mabiala, Franck Donald Saboukoulou Loubaki, Guil Miangué Ossebi et Meldry Rolf Dissavoulou, ont été inculpés d’atteinte à la sécurité de l’État et sont maintenus en détention arbitraire depuis des mois. Les opposants politiques et candidats à l’élection présidentielle de 2016 Jean-Marie Michel Mokoko et André Okombi Salissa ont été condamnés pour atteinte à la sécurité intérieure de l’État en 2018 et sont maintenus en détention arbitraire depuis.
En Érythrée, toute personne qui exprime une opinion politique divergente de celle du gouvernement risque d’être arrêtée. Des milliers de responsables politiques, de journalistes, de défenseur·e·s des droits humains et même des membres de leurs familles sont détenus depuis des années sans aucune perspective de libération.
Si l’Éthiopie a libéré plus de 10 000 détenu·e·s en fin de peine ou purgeant une peine maximale de trois ans de prison afin de faire face à la pandémie de COVID-19, le gouvernement maintient en détention inique des opposant·e·s politiques et des journalistes qui ont simplement exprimé leur opinion ou fait leur travail.
À Madagascar, Arphine Helisoa, directrice de publication du journal 'Ny Valosoa', a été placée en détention préventive à la prison d’Antanimora, dans la capitale, le 4 avril. Elle est inculpée de diffusion de « fausses informations » et d’« incitation à la haine envers le président Andry Rajoelina », parce qu’elle a critiqué sa gestion de la réponse à la crise de COVID-19.
Au Soudan du Sud, le Service de sécurité nationale détient de manière arbitraire, sans inculpation, des centaines, voire des milliers, d’opposant·e·s présumés du gouvernement, de journalistes et de membres de la société civile, depuis que le conflit a éclaté en 2013. Ils dépendent de leur famille pour ce qui est de se procurer de la nourriture, ce qui pour beaucoup n’est plus tenable désormais, en raison des restrictions liées au COVID-19. En Tanzanie, l’avocat spécialisé dans la défense des droits humains Tito Magoti et son coaccusé Theodory Giyani sont aux mains de la police depuis le 20 décembre 2019, le tribunal ayant reporté leur procès pour la neuvième fois le 15 avril 2020. En Ouganda, la police militaire a arrêté l’écrivain et étudiant en droit Kakwenza Rukira le 13 avril 2020, en raison de son livre intitulé Greedy Barbarians, qui critique la première famille du pays. Il n’a pas encore été inculpé.
« La propagation du coronavirus COVID-19 est un problème de santé publique, qui n’épargne pas les prisons ni les centres de détention. Réduire le nombre de personnes détenues doit faire partie intégrante, et ce de toute urgence, de la réponse apportée par les États à cette crise. Ils doivent commencer par libérer immédiatement et sans condition toutes les personnes qui n’auraient jamais dû passer un seul jour derrière les barreaux », a déclaré Samira Daoud.
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