Il faut libérer un poète incarcéré pour ses poèmes critiques
Les autorités doivent permettre l’expression pacifique d’opinions dissidentes.
Des porte-parole sont disponibles pour répondre aux questions des médias.
Les autorités du Somaliland doivent libérer immédiatement et sans condition le poète Abdirahman Ibrahim Adan, également connu sous le nom d’« Abdirahman Abees », placé en détention arbitraire, ont déclaré Human Rights Watch et Amnistie internationale le 19 février 2019.
Abdirahman Ibrahim Adan, poète renommé qui a la double nationalité somalilandaise et britannique, est détenu à la prison centrale d’Hargeisa, capitale du Somaliland, depuis plus d’un mois, uniquement parce qu’il a exercé sans violence son droit à la liberté d’expression.
Des policiers l’ont arrêté le 12 janvier 2019 alors qu’il déjeunait à l’hôtel Lake Assal, à Hargeisa. La veille, il avait récité à l’hôtel Mansoor un poème qui mettait en lumière divers problèmes relatifs aux droits humains concernant la détention au Somaliland, tels que les brutalités policières, les détentions arbitraires et les traitements dégradants infligés aux prisonniers.
D’après ses avocats, il a été inculpé le 18 février au titre de l’article 269 du Code pénal du Somaliland d’« outrage à agents de la force publique et au gouvernement ». Le 19 février, un juge a été nommé et la première audience a été fixée au 21 février.
« Au lieu de harceler, d’intimider et d’arrêter leurs détracteurs, les autorités du Somaliland devraient s’attacher à enquêter sur les mauvais traitements infligés aux détenus qu’Abdirahman Ibrahim Adan décrit dans son poème. Elles devraient mettre un terme à la répression qui vise la dissidence pacifique et s’efforcer de respecter, de protéger et de promouvoir le droit à la liberté d’expression de chaque citoyen au Somaliland », a déclaré Sarah Jackson, directrice adjointe d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l'Est, la Corne de l’Afrique et les Grands Lacs.
D’après les avocats d’Abdirahman Ibrahim Adan, les policiers n’ont pas présenté de mandat d’arrêt ni aucun autre document judiciaire autorisant son arrestation. Il a été détenu à la section antiterroriste du Département de police judiciaire pendant trois jours, puis transféré au commissariat central d’Hargeisa pendant une nuit, et enfin à la prison centrale d’Hargeisa.
Avant de dire son poème le 11 janvier, il a raconté au public qu’il avait été brièvement détenu en février 2018 pour s’être montré « arrogant » vis-à-vis de la police. Il a raconté le choc en découvrant les conditions déplorables au poste de police, où il avait vu une femme qui devait probablement souffrir de troubles mentaux enchaînée, et quatre adolescents de 14 ans accusés d’avoir brisé un miroir enfermés avec des adultes arrêtés pour meurtre et de graves infractions. Il a expliqué que cette expérience l’avait poussé à écrire ce poème, dans lequel il demande au gouvernement du Somaliland de réformer le système pénitentiaire et la justice pénale.
Le 13 janvier, le chef adjoint de la police, Abdirahman Liban Foohle, et le porte-parole de la police et chef de la police de la route, le colonel Feysal Hiis Elmi, ont confirmé son arrestation et son placement en détention. Dans une déclaration, la police a accusé le poète de diffamation à l’égard des forces de sécurité et de l’État.
La Constitution de 2001 du Somaliland garantit le droit à la liberté d’expression et la liberté des médias « dans le respect de la loi ». Toutefois, le Code pénal entré en vigueur en 1964 prévoit un certain nombre d’infractions pénales formulées en termes vagues et généraux, notamment atteinte à l’honneur ou au prestige du chef de l’État, outrage à un représentant de l’État ou à une institution, et mépris envers la nation, l’État ou le drapeau. Ces infractions sont passibles de peines pouvant aller jusqu’à trois ans de prison.
Au Somaliland, la répression contre la dissidence s’est durcie depuis l’entrée en fonction du gouvernement actuel en décembre 2017. Sont pris pour cibles des poètes, des journalistes et des critiques présumés, particulièrement ceux qui s’expriment sur des questions jugées sensibles d’un point de vue politique, comme les tensions à la frontière avec le Puntland et l’unité avec la Somalie.
En avril 2018, trois personnes – Naima Ahmed Ibrahim, poétesse très connue, Mohamed Kayse Mohamud, blogueur, et Boqor Osman Aw Mohamud, chef traditionnel – ont été inculpées au titre de dispositions formulées en termes vagues d’avoir critiqué publiquement des fonctionnaires de l’État et les politiques du gouvernement. Tous trois ont par la suite bénéficié de grâces présidentielles.
Le 10 février, le tribunal régional d’Hargeisa a suspendu le journal Foore pendant un an et condamné son rédacteur en chef, Abdirashid Abdiwahab Ibrahim, à une amende de 3 millions de shillings du Somaliland (environ 4 600 euros) pour avoir publié des articles sur la construction d’un nouveau palais présidentiel a Hargeisa. Le journal était accusé de diffusion de fausses informations.
Selon le Centre pour les droits humains, organisation majeure de défense des droits humains au Somaliland, pour la seule année 2018, 28 journalistes ont été arrêtés en raison de leur travail ou de leurs publications sur les réseaux sociaux. Cela témoigne d’une tendance inquiétante à restreindre le droit à la liberté d’expression dans le pays.
« Les autorités doivent libérer immédiatement et sans condition Abdirahman Ibrahim Adan et autoriser la critique dans l’espace public, y compris sur des sujets controversés tels que les conditions de détention, a déclaré Felix Horne, chercheur senior sur l’Afrique à Human Rights Watch. Le maintien en détention de ce poète et la répression générale visant la dissidence vont à l’encontre des obligations internationales du Somaliland en matière de liberté d’expression. »