• 16 oct 2019
  • International
  • Communiqué de presse

Après le sommet de l’ONU pour le climat, les états doivent agir de toute urgence afin d'éviter des violations massives des droits humains

Après le sommet Action climat de l'ONU, qui s'est tenu à New York le 23 septembre 2019, Amnistie internationale est consternée par le fait que la grande majorité des pays – et en particulier les nations qui sont les plus responsables de la crise climatique, dont un certain nombre des pays les plus riches – continuent d'ignorer leurs obligations aux termes du droit relatif aux droits humains. C'est d'autant plus choquant au vu d'une part des demandes des populations qui sont en première ligne et qui sont touchées de manière disproportionnée par cette crise, et d'autre part des revendications des jeunes du monde entier, qui sont plus nombreux que jamais à descendre dans les rues – et qui ont lancé des poursuites judiciaires – pour réclamer des mesures efficaces contre le dérèglement climatique.

Il est temps de cesser de sous-estimer le problème. Lors de la prochaine Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (COP25), qui se tiendra au Chili en décembre 2019, et au plus tard à la COP26 (prévue au Royaume-Uni fin 2020), les États doivent annoncer des plans précis et prendre des engagements conformes à leur obligation de protéger les droits humains face aux pires conséquences de la crise climatique.

Ces conférences seront un test décisif pour mesurer l'action des États : c'est là que nous verrons s'ils adoptent des plans spécifiques avec des objectifs concrets et des échéances fermes pour, par exemple, électrifier les transports et décarboner la production d'énergie, cesser de subventionner les énergies fossiles, protéger les forêts et favoriser le reboisement, et si ces mesures sont mises en œuvre de manière à bénéficier aux groupes les plus défavorisés de la société et à réduire les inégalités plutôt que de les accroître. Si elles ne parviennent pas à s'entendre sur ce type de mesures, les nations condamneront les enfants et les jeunes à subir une multitude de conséquences préjudiciables dont ils ne sont nullement responsables, ce qui constituerait la plus grosse violation intergénérationnelle des droits humains de toute l'histoire de l'humanité.

Amnistie internationale est convaincue que le moyen le plus efficace d'agir de manière ambitieuse, durable et équitable pour lutter contre la crise climatique est de placer les droits humains au cœur des politiques climatiques. Avec les centaines d'autres organisations qui ont signé la Déclaration pour le climat, les droits et la survie de l’humanité[1], elle reste déterminée à mettre en œuvre la vision conjointe de la justice climatique figurant dans cette déclaration, notamment en menant un travail de plaidoyer et de campagne avant les prochaines sessions de négociation sur le climat.

Dans l'esprit de cette déclaration, des jeunes et des organisations de la société civile du monde entier – dont Amnistie internationale – vont continuer à suivre l'évolution de la situation et utiliseront tous les moyens disponibles pour demander des comptes aux États.

Le Sommet Action Climat : encore une occasion manquée

Convoqué par le secrétaire général des Nations unies, ce Sommet visait à encourager les États à faire preuve de plus d'ambition dans la lutte contre la crise climatique, compte tenu notamment de l'insuffisance des précédents engagements pris dans le cadre de l'Accord de Paris (les fameuses « contributions déterminées au niveau national » [CDN], ou plans nationaux de réduction des émissions), qui se traduiraient tout de même par une augmentation catastrophique de 3 °C des températures moyennes mondiales d'ici à 2100. Cette augmentation a été confirmée par le rapport 2018 du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), qui a montré qu'un réchauffement de 1,5 °C était la limite absolue à rechercher.

Le secrétaire général des Nations unies avait appelé tous les dirigeants à venir au Sommet soit pour annoncer de nouvelles CDN renforcées, soit avec des projets concrets et réalistes de renforcement d’ici 2020 de leurs CDN, permettant de réduire dans les dix ans les émissions de gaz à effet de serre de 45 % et de parvenir à la neutralité carbone à l’horizon 2050.

Des engagements insuffisants : les États manquent à leurs obligations à l'égard des générations actuelles et futures

Les dirigeants mondiaux ont continué de faire l'autruche face au dérèglement climatique, cachant leurs têtes dans le sable comme s'ils espéraient que le danger allait s'éloigner tout seul. Certes, les engagements pris ont peut-être apporté quelques avancées politiques temporaires, mais ils restent globalement bien loin de répondre à l'ampleur du problème. Plus consternant encore, les nations qui sont les plus responsables de la crise climatique n'ont pas proposé de plans ni d'engagements conformes à leur obligation juridique de protéger les droits humains face aux pires conséquences de cette crise.

Malgré l'appel du secrétaire général de l'ONU, aucun pays n'a annoncé lors du sommet de nouvelles CDN renforcées. Il est honteux que le seul État à avoir soumis un nouveau plan plus ambitieux soit les Îles Marshall[2], qui est l'un des pays les plus imminemment menacés par la crise climatique.

Certes, 70 États ont annoncé avant ou pendant le Sommet leur intention de renforcer leurs CDN d'ici à 2020 (avec généralement des objectifs de réduction des émissions d'ici à 2030), mais très peu de ces États font partie des pays les plus riches[3]. Au total, les nations qui ont pris ces engagements ne sont responsables que de 8 % des émissions mondiales[4].

De même, en ce qui concerne les ambitions à plus long terme, si 77 États ont annoncé leur intention de parvenir à la neutralité carbone d'ici à 2050[5], la majorité de ces États sont des pays en développement qui sont les plus vulnérables au changement climatique, dont les Îles Marshall, qui avaient déjà pris cet engagement en 2018[6]. Par ailleurs, ces engagements resteront vains s'ils ne sont pas accompagnés de plans détaillant les changements nécessaires pour mener une transition juste, équitable et n'excluant personne qui permette le passage des énergies fossiles aux énergies renouvelables et à une industrie et une agriculture durables, protégeant les droits économiques et sociaux des personnes touchées qui vivent déjà dans des groupes marginalisés et défavorisés.

Les pays riches et les plus émetteurs de gaz à effet de serre se dérobent à leurs obligations

Beaucoup de pays gros émetteurs de gaz à effet de serre n'ont pas été invités à prendre la parole lors du sommet, soit en raison de leur dépendance persistante au charbon, comme l'Afrique du Sud, l'Australie et le Japon, soit parce qu'ils sont critiques à l'égard de l'Accord de Paris, comme l'Arabie saoudite et le Brésil, ainsi que les États-Unis, qui ont l'intention de se retirer de cet accord[7]. Si la Chine, l'Inde et l'Union européenne ont eu des temps de parole, aucune n'a annoncé de nouveaux objectifs de réduction des émissions, fondés sur des éléments scientifiques, qui auraient été compatibles avec la protection des droits humains. De même, alors qu'elle a déclaré son intention de ratifier l'Accord de Paris, la Russie n'a pas eu grand chose à offrir en termes d'engagements plus ambitieux.

Autre point décevant, les États qui émettent le plus de dioxyde de carbone n'ont pas annoncé de voie claire pour rompre avec leur dépendance aux énergies fossiles et engager une transition vers les énergies renouvelables, dans le respect des normes relatives aux droits humains. Certes, 32 pays, 24 États ou régions et 35 entreprises ont répondu positivement à l'appel du secrétaire général de l'ONU invitant à cesser de construire de nouvelles centrales à charbon d'ici à 2020[8], mais certains des pays qui ont les plus grands projets de développement des centrales au charbon[9], comme la Chine, l'Inde et la Turquie, n'ont présenté aucun plan d'abandon progressif de cette énergie[10]. Par ailleurs, aucun pays n'a annoncé de projet concret de réduction des subventions aux énergies fossiles.

Le nombre et le contenu des engagements pris par les pays les plus riches lors du Sommet Action Climat témoignent non seulement d'un manque de volonté politique, mais aussi d'un mépris flagrant à l'égard des obligations relatives aux droits humains. Tous les pays doivent réduire fortement leurs émissions de gaz à effet de serre en réponse à la nécessité absolue de limiter au maximum l'augmentation de la température et de la maintenir sous 1,5 °C. C'est d’autant plus important que le niveau actuel du réchauffement climatique a déjà des répercussions dramatiques sur les droits humains, notamment les droits à la vie, à la santé, à l'alimentation, à l'eau et à un niveau de vie satisfaisant. Cependant, les pays les plus riches – en particulier ceux qui sont les plus responsables de la crise climatique en raison de leurs émissions passées et actuelles – ont le devoir d'agir plus rapidement compte tenu de leurs capacités plus importantes et de leur plus grande contribution à la crise climatique. Ces pays doivent réduire de moitié leurs émissions bien avant 2030 et atteindre la neutralité carbone dès que possible après 2030 et bien avant 2050.

Les initiatives pour le climat respectueuses des droits humains doivent être davantage soutenues et financées

Les pays les plus riches doivent aussi augmenter sensiblement le financement et le soutien aux initiatives climatiques respectueuses des droits fondamentaux, notamment en matière de transfert de technologies, mises en œuvre dans des pays moins riches incapables de prendre seuls les mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique qui s’imposent. C'est aussi nécessaire pour aider à remédier aux conséquences sur les droits humains subies par les pays pauvres à cause des pertes et des dommages provoqués par la crise climatique dont sont responsables les pays les plus riches, historiquement gros émetteurs de gaz à effet de serre. Il est encourageant de constater qu'un certain nombre de pays riches[11] ont annoncé des contributions importantes – parfois même un doublement de leur contribution[12] – au Fonds vert pour le climat, qui finance des programmes d'atténuation et d'adaptation dans les pays en développement. Cependant, les fonds recueillis (environ 7,5 milliards de dollars au total) restent bien en deçà de l'objectif défini dans le cadre des négociations de l'ONU sur le climat, qui est de mobiliser 100 milliards de dollars de fonds publics et privés par an d'ici à 2020 – objectif qui, selon les estimations, ne représente lui-même qu'une fraction des besoins pour maintenir l'augmentation moyenne des températures mondiales sous 1,5 °C[13].

Les initiatives prometteuses doivent être accompagnées d'une forte volonté politique

Le travail préparatoire pour le Sommet a conduit à la création de coalitions thématiques rassemblant des représentant·e·s de gouvernements, du secteur privé, de la société civile, d'autorités locales et d'organisations gouvernementales internationales, dans l'objectif de proposer et de faire avancer des initiatives concrètes pour stimuler l'action climatique. Beaucoup de ces initiatives sont prometteuses. Cependant, sans une forte volonté politique des dirigeants mondiaux, en particulier ceux des pays les plus responsables de la crise climatique, ces initiatives ne seront pas suffisantes pour obtenir les changements rapides et ambitieux, d'une ampleur sans précédent, qui sont nécessaires dans nos systèmes économiques, sociaux et politiques pour réduire fortement les émissions de gaz à effet serre et protéger les droits fondamentaux de toutes et tous – notamment des générations futures – des effets désastreux du dérèglement climatique.

[1] Cette déclaration a été élaborée en amont du Sommet des peuples pour le climat, les droits et la survie de l’humanité, qui s'est tenu à New York les 18 et 19 septembre 2019 et dont Amnesty International était l'une des coorganisatrices. Le texte de la déclaration et la liste des signataires sont disponibles (en anglais) sur www.climaterights4all.com. Pour une version française de la déclaration, voir https://www.fidh.org/fr/com/nos-opinions/plus-de-400-ong-co-signent-une-....

[2] World Resource Institute, “4 Leaders – And Far Too Many Laggards – At the UN Climate Action Summit, 25 septembre 2019, https://www.wri.org/blog/2019/09/4-leaders-and-far-too-many-laggards-un-....

[3] Plus précisément, 59 États ont annoncé leur intention de soumettre des CDN renforcées d'ici à 2020. Parmi eux figuraient notamment les pays riches ou à revenu moyen suivants : Argentine, Chili, Corée du Sud, Costa Rica, Norvège, Nouvelle-Zélande et Suisse. Par ailleurs, 11 pays européens ont annoncé avoir engagé un processus interne de renforcement de leurs ambitions d'ici à 2020. La liste complète des pays est disponible (en anglais) sur https://prensa.presidencia.cl/comunicado.aspx?id=102021.

[4] Voir https://www.wri.org/blog/2019/09/4-leaders-and-far-too-many-laggards-un-....

[5] Ce même engagement a aussi été pris par 10 régions, 102 villes, 93 entreprises et 12 investisseurs. La liste complète est disponible (en anglais) sur https://prensa.presidencia.cl/comunicado.aspx?id=102021.

[6] Les pays riches et à revenu moyen qui se sont engagés à atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050 sont notamment les suivants : Allemagne, Argentine, Autriche, Belgique, Chili, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Mexique, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Portugal, Suède, Suisse et Royaume-Uni. La liste complète est disponible (en anglais) sur https://prensa.presidencia.cl/comunicado.aspx?id=102021.

[7] “Leading countries blocked from speaking at UN Climate Summit”, Financial Times, 18 septembre 2019, https://www.ft.com/content/1902158a-d994-11e9-8f9b-77216ebe1f17.

[8] Voir https://poweringpastcoal.org/news/PPCA-news/new-alliance-members-un-clim... (en anglais). L'Allemagne et la Slovaquie sont les derniers pays à avoir rejoint la Coalition pour la sortie du charbon (Powering Past Coal Alliance – PPCA).

[9] Pour une liste des pays qui sont engagés dans la construction de nouvelles centrales au charbon, voir https://www.ft.com/content/1902158a-d994-11e9-8f9b-77216ebe1f17.

[10] Les dirigeants indiens et turcs ont toutefois annoncé lors du sommet leur intention d'accroître le développement des énergies renouvelables, tandis que la Chine a renforcé ses efforts de reboisement.

[11] La liste des pays contributeurs est disponible (en anglais) sur : http://sdg.iisd.org/news/un-climate-action-summit-prompts-new-financial-....

[12] C'est le cas notamment de l'Allemagne, du Danemark, de la France, de la Norvège, du Royaume-Uni et de la Suède. Voir https://www.climatechangenews.com/2019/09/23/un-climate-action-summit-live/ (en anglais).

[13] World Resource Institute, Getting to $100 billion: climate finance scenarios and projections to 2020, mai 2015, p. 5.