La tentative de suicide d'Osama Murad dans la prison de Tora met en évidence l'absence de soins adaptés dans les prisons
Les allégations de mauvais traitements infligés à un prisonnier ayant fait une tentative de suicide dans la prison de Tora, en Égypte, doivent faire sans délai l’objet d’une enquête efficace et indépendante, a déclaré Amnistie internationale ce vendredi 3 mai.
Osama Murad, un homme de 40 ans purgeant une peine de 10 ans d’emprisonnement pour « appartenance à une organisation terroriste », a tenté de mettre fin à ses jours dans la prison de Tora le 22 avril vers minuit. Selon ses proches, la nuit précédant sa tentative de suicide, des gardiens lui ont fait subir des violences physiques dans sa cellule et lui ont fait une injection pour le faire dormir. Il s’est réveillé le lendemain, est allé dans la salle de bain et s’est ouvert la gorge avec un objet tranchant.
Depuis, Osama Murad est soigné dans le service de soins intensifs de l’hôpital universitaire spécialisé El Manial et a subi plusieurs interventions chirurgicales. Son état reste critique.
Amnistie internationale est préoccupée par le fait que les forces de sécurité empêchent Osama Murad de recevoir des visites de ses proches depuis sa tentative de suicide. L’organisation demande aux autorités égyptiennes de veiller à ce que ses proches puissent lui rendre visite à l’hôpital, conformément aux obligations internationales de l’Égypte et à l’article 37 de la Loi égyptienne n° 396 de 1956 relative aux prisons, selon lequel les prisonniers ayant de graves problèmes de santé ont le droit de recevoir des visites exceptionnelles. L’organisation appelle également les autorités égyptiennes à veiller à ce que toutes les décisions concernant les soins d’Osama Murad soient prises uniquement par les professionnels de la santé concernés, sans interférence de la part des autorités pénitentiaires ou des organes chargés de la sécurité. Si Osama Murad est renvoyé en prison, il doit y recevoir en temps opportun des soins médicaux et psychologiques appropriés et spécialisés.
D’après les proches d’Osama Murad, sa santé mentale s’est progressivement détériorée en prison après sa condamnation en septembre 2016. Toujours selon ses proches, pendant cette période, Osama Murad a commencé à souffrir de convulsions, de psychose et d’évanouissements. Ils ont également indiqué qu’il ne souffrait pas de troubles mentaux ni de dépression avant son arrestation en mai 2015. La Cour de cassation a ordonné qu’il soit rejugé en 2017, et la juridiction pénale du Caire a confirmé sa peine de 10 ans d’emprisonnement en 2018, ce qui a eu pour conséquence une nette détérioration de sa santé mentale.
Le fait que les autorités aient changé six fois son lieu de détention depuis son arrestation en 2015 a également nui à son bien-être. « Chaque fois qu’il commençait à connaître ses codétenus, il était transféré dans une autre prison », ont dit ses proches.
Étant donné l’absence de soins psychologiques adaptés dans la prison, ses proches ont dû aller demander l’avis d’un psychiatre à l’extérieur de l’établissement, à qui ils ont décrit ses symptômes. Celui-ci a ensuite posé un diagnostic et prescrit des médicaments. Dernièrement, Osama Murad a rencontré un prisonnier qui a accepté de s’occuper de lui et de lui donner ses médicaments en temps et en heure. Deux semaines après le transfert de ce prisonnier dans une autre cellule, Osama Murad a cessé de prendre son traitement et a fait plusieurs crises de panique.
Les organisations de défense des droits humains égyptiennes et internationales sont préoccupées depuis longtemps par le manque de soins adaptés et les négligences médicales dans les prisons égyptiennes. D’après une étude, menée en 2014 par l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne, sur les prestations de soins dans 16 prisons égyptiennes et centres de détention de la police, « aucune des prisons n’avait de programme systématique de réadaptation psychologique ou sociale, et il n’y avait aucun travailleur social pour offrir un soutien ou des conseils psychologiques aux prisonniers ». Depuis, Aida Seif El Dawla, psychiatre et cofondatrice du Centre El Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences et de torture, a confirmé que la situation empirait et que « les autorités pénitentiaires puniss[aient] et maltrait[aient] souvent les prisonniers présentant des troubles de la santé mentale. » L’étude de l’Initiative égyptienne pour les droits de la personne a également mis en évidence le manque d’indépendance des médecins au sein du système de détention. Bien que tous les praticiens soient membres de l’Ordre des médecins, les autorités pénitentiaires s’immiscent souvent dans les décisions liées à la santé des prisonniers.
Amnistie internationale a recueilli des informations sur des cas de prisonniers morts ces dernières années parce que les autorités ne leur avaient pas fourni des soins médicaux appropriés en temps voulu. D’après le Centre El Nadeem pour la réadaptation des victimes de violences, au moins 105 détenus sont morts dans des prisons et postes de police entre janvier et octobre 2017. Parmi eux, au moins 41 sont morts pour cause de négligence médicale.
Dans son rapport de 2016 sur les violations commises dans la prison égyptienne « Scorpion », Human Rights Watch (HRW) a indiqué que les agents de la sécurité nationale et les autorités pénitentiaires s’ingéraient régulièrement dans la prise en charge médicale des prisonniers, en ne tenant pas compte des instructions des médecins qui prescrivaient des soins spécialisés hors de la prison, ou en renvoyant des personnes en prison avant la fin de leur traitement à l’extérieur.
En tant qu’État partie au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), l’Égypte est juridiquement tenue de respecter, protéger et réaliser « le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre ». En vertu de la règle 24 de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (règles Nelson Mandela), l’Égypte doit également fournir aux prisonniers « des soins de même qualité que ceux disponibles dans la société », sans discrimination. Les règles Nelson Mandela disposent également que les détenus qui requièrent des traitements spécialisés doivent être transférés vers des établissements spécialisés ou vers des hôpitaux civils, lorsque ces soins ne sont pas disponibles en prison.
Amnistie internationale appelle les autorités égyptiennes à traiter tous les détenus et prisonniers, y compris ceux présentant des problèmes de santé mentale, de façon conforme au droit international relatif aux droits humains et aux normes internationales en la matière. Les autorités doivent également veiller au respect de l’indépendance du personnel médical dans les centres de détention et les prisons, et mettre en place un organe indépendant, efficace et compétent qui sera autorisé à mener des inspections, notamment pour contrôler la prestation de soins, dans tous les lieux de détention, y compris lors de visites inopinées.