Entre lois incohérentes et tabous sexuels, la vie et la santé des adolescentes sont en danger
Au Zimbabwe, les adolescentes sont exposées à de graves risques, notamment celui de mourir en couches, parce que des lois incohérentes entravent leur accès à des informations et des services de santé sexuelle et reproductive, signale Amnistie internationale dans un nouveau rapport publié jeudi 25 janvier 2018.
Ce document (en anglais), intitulé Lost without knowledge: Barriers to sexual and reproductive health information in Zimbabwe, révèle que la confusion généralisée au sujet de l’âge légal de consentement à des relations sexuelles, du mariage et de l’accès aux services de santé expose les adolescentes à un risque plus élevé de grossesses non désirées et d’infection par le VIH. Les filles sont ainsi confrontées à la stigmatisation et à la discrimination, au risque de mariage précoce, à des problèmes économiques et à la difficulté d’achever leurs études.
« En réalité, la vie sexuelle de nombreux adolescents commence avant 18 ans et il faut que l’État prenne les mesures nécessaires afin que ceux-ci puissent bénéficier des services et recevoir les conseils dont ils ont besoin pour préserver leur santé et leur avenir, a déclaré Deprose Muchena, directeur du programme Afrique australe à Amnistie internationale.
« Les dispositions relatives à l’âge de consentement sont censées protéger les mineurs des violences sexuelles et des mariages précoces. Toutefois, elles ne doivent aucunement servir à priver les adolescents de leurs droits à des informations et des services de santé sexuelle et reproductive. »
Amnistie internationale a constaté que des tabous profondément ancrés autour de la sexualité des adolescents et l’absence de soins médicaux abordables entravaient aussi l’accès des intéressés aux informations et aux services dont ils avaient besoin. Selon les données sur la démographie et la santé au Zimbabwe, près de 40 % des filles et 24 % des garçons ont une activité sexuelle avant l’âge de 18 ans.
Des incohérences dans le cadre législatif et politique du pays en matière de santé sexuelle et reproductive participent à la grande confusion qui entoure la question de savoir si les jeunes de moins de 18 ans doivent obtenir l’autorisation de leurs parents pour bénéficier de services de santé sexuelle.
Le droit zimbabwéen fixe l’âge de consentement à des relations sexuelles à 16 ans. Cependant, le fait que l’État tarde à relever l’âge légal du mariage à 18 ans, conformément à la Constitution, sème la confusion, dans un contexte où il existe des tabous profondément ancrés autour de la sexualité avant le mariage.
Dans le rapport, Amnistie internationale insiste sur une idée fausse mais très répandue, à savoir que la contraception et la prise en charge du VIH ne seraient accessibles qu’aux filles déjà enceintes ou mariées. À l’examen des politiques de santé, l’organisation n’a trouvé que peu d’orientations permettant au personnel médical de déterminer si un adolescent de moins de 16 ans est autorisé à bénéficier d’un service de santé sexuelle ou reproductive en particulier.
Elle a aussi remarqué que les adolescentes interrogées ignoraient souvent comment éviter les grossesses non désirées et se protéger des infections sexuellement transmissibles, y compris du VIH, ce qui est extrêmement préoccupant.
Ces adolescentes ont déclaré que, du fait de leur âge, on leur avait interdit l’entrée de centres de santé et fait honte lorsqu’elles avaient sollicité les services en question.
L’une d’elles a déclaré à Amnistie internationale : « [Nous] ne pouvons pas aller au centre de santé si nous avons moins de 16 ans ; on va nous chasser et nous insulter. »
Certaines pensaient même qu’elles devaient avoir 18 ans pour pouvoir accéder aux services de santé.
Une autre a expliqué que, du fait de son âge, elle ne s’était jamais rendue dans un centre de santé avant d’être enceinte, à 17 ans. Elle a déclaré : « Je savais que j’étais trop jeune. »
Des acteurs de proximité, notamment des enseignants, des organisations non gouvernementales et des professionnels de la santé locaux, ainsi que des parents, ont corroboré les témoignages.
Amnistie internationale appelle les autorités zimbabwéennes à sensibiliser la population au droit des adolescents d’avoir accès à des informations et des services de santé sexuelle et reproductive. Par ailleurs, l’organisation leur recommande de clarifier les lois et les politiques de sorte que les adolescents puissent bénéficier de renseignements, d’activités pédagogiques et de services en matière de santé sexuelle et reproductive, quel que soit leur âge et sans consentement parental.
Tabous autour de la sexualité des adolescents
Amnistie internationale exhorte également l’État zimbabwéen à lutter véritablement contre les tabous qui entourent la sexualité des adolescents, notamment les relations sexuelles avant le mariage, car ils sont un obstacle supplémentaire qui entrave l’accès des adolescents aux informations et aux services dont ils ont besoin pour protéger leur santé et leur vie. Ces tabous, auxquels s’ajoute l’absence d’éducation sexuelle complète à l’école, contribuent à perpétuer la discrimination liée au genre.
« Il faut que les autorités zimbabwéennes créent un environnement porteur, dans lequel les adolescentes puissent comprendre et revendiquer leurs droits sexuels et reproductifs. Les adolescents ont droit à une éducation sexuelle complète, qui ne doit pas se limiter à la seule promotion de l’abstinence et doit remettre en cause les stéréotypes de genre, a déclaré Deprose Muchena.
« D’après nos recherches, les stéréotypes de genre sont préjudiciables en ce qu’ils signifient que les filles auront à subir des conséquences particulièrement graves si elles tombent enceintes, notamment des mariages forcés, outre le renoncement à leurs aspirations scolaires. »
Coûts prohibitifs
Dans le rapport, Amnistie internationale met aussi en évidence la cherté des services de santé sexuelle et reproductive. Bien que l’État se soit engagé à donner accès à la contraception et à des soins maternels gratuits, il est fréquent que des frais médicaux soient facturés pour compenser un déficit de financement. L’organisation a constaté que, dans de nombreux cas, ces frais pesaient de manière disproportionnée sur les adolescentes enceintes, d’où un accès tardif aux services de santé maternelle. Certains jeunes se trouvaient même privés de soins.
Complément d’information
Le rapport se fonde sur des discussions en groupe et des entretiens auxquels ont participé 120 personnes, dont 50 adolescentes, des provinces d’Harare, du Manicaland, du Mashonaland-Est et de Masvingo entre février et mai 2017.
Des études montrent que les taux de grossesse et d’infection par le VIH chez les adolescents augmentent et que cette hausse coïncide avec la diminution des connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive. Les grossesses chez les adolescentes sont l’un des principaux facteurs qui sous-tendent les taux élevés de mariage précoce et de mortalité maternelle au Zimbabwe. En 2016, 21 % des décès maternels concernaient des filles de 15 à 19 ans.