Le Qatar adhère enfin à deux traités majeurs relatifs aux droits humains — mais que cela signifie-t-il vraiment pour les travailleuses et les travailleurs migrants ?
May Romanos, chercheuse spécialiste des droits des migrants dans les pays du Golfe à Amnistie internationale
Le Qatar a récemment annoncé avoir pris la décision historique de se joindre à la grande majorité des pays du monde, y compris à ses voisins du Golfe, le Koweït et Bahreïn, dans l’adhésion à deux grands traités qui sont à la base du droit international actuel relatif aux droits humains.
En ratifiant le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Qatar s’oblige juridiquement à respecter, protéger et assurer l’ensemble des droits garantis par ces deux traités pour toutes les personnes se trouvant sur son territoire, sans discrimination. Cela inclut les centaines de milliers de migrants qui participent à la construction des infrastructures de la Coupe du monde ou qui travaillent comme employés de maison.
Cette avancée positive se doit en partie aux efforts concertés visant à améliorer la réputation du pays en matière de droits humains en vue de la Coupe du monde de la FIFA qui s’y déroulera en 2022. Elle se produit en outre dans un contexte de crise politique entre le Qatar et ses voisins.
Mais, au-delà des gros titres, que signifie cette nouvelle pour le pays en général et pour ses travailleuses et travailleurs migrants en particulier ?
Après la bonne nouvelle, la mauvaise. En ratifiant ces traités, le Qatar a émis un certain nombre de « réserves » préjudiciables qui limitent l’étendue de ses engagements. L’État a refusé de reconnaître pleinement l’égalité des droits pour les femmes — en matière de statut personnel, par exemple — et a affirmé que le terme « châtiment » serait interprété conformément à la charia (droit islamique). Les femmes n’auront donc toujours pas les mêmes droits que les hommes en matière d’héritage, et la peine de mort et les châtiments corporels, qui sont aujourd’hui applicables pour des crimes comme le meurtre, le banditisme et l’adultère, ne seront pas abolis.
Quant aux travailleuses et aux travailleurs migrants, qui continuent d’être durement exploités dans un contexte marqué par l’explosion du secteur de la construction à l’approche de la Coupe du monde de 2022, d’autres déceptions les attendent. En contradiction avec sa propre affirmation de vouloir mettre un terme à l’exploitation au travail — et avec les principes et droits fondamentaux de l’Organisation internationale du travail (OIT) — le gouvernement a réitéré que seuls les citoyens qataris étaient autorisés à créer des associations et des syndicats. Il interdit donc aux travailleuses et aux travailleurs migrants d’agir et de négocier collectivement pour améliorer leurs terribles conditions de travail.
Mais qu’en est-il des obligations en matière de droits humains auxquelles le Qatar a réellement adhéré ? Changeront-elles quelque chose aux conditions des travailleuses et travailleurs migrants ? Peut-être, elles sont même susceptibles de changer beaucoup de choses, à condition d’être pleinement appliquées.
Le Qatar irait alors beaucoup plus loin qu’il ne l’a jamais fait et cela nécessiterait, à terme, une application beaucoup plus proactive du droit du travail et une réforme fondamentale du célèbre système de parrainage (kafala), qui continue de laisser la porte ouverte à des formes d’exploitation graves et généralisées.
Le PIDESC prévoit par exemple que toute personne a le droit de jouir de conditions de travail justes et sûres, de salaires équitables, de congés payés et d’une limitation raisonnable de la durée du travail, ce qui est bien loin de la réalité actuelle. Si le Qatar venait à respecter et assurer la protection de ces obligations pour l’ensemble de sa population, migrants y compris, les travailleurs ne seraient plus soumis à des conditions décrites par la Commission de l’application des normes de la Conférence internationale du Travail comme relevant du travail forcé.
Le PIDESC établit en outre clairement que toute personne a le droit de choisir et d’accepter librement son travail. Si tous les employeurs du Qatar respectaient ce droit, les travailleurs pourraient enfin changer de travail sans leur permission et ne risqueraient plus de se faire arrêter pour « fuite » s’ils tentaient de se sortir de situations d’exploitation.
Pareillement, si le Qatar venait à respecter le droit de circuler librement spécifié dans le PIDCP — et notamment le droit pour toute personne de quitter librement tout pays, dont le sien — les employeurs ne pourraient plus, contrairement à aujourd’hui, empêcher un travailleur de quitter le Qatar pour rentrer chez lui.
Le Qatar devrait annoncer cette année quelques réformes importantes du droit du travail. Au cours des prochains mois, nous saurons si le Qatar prend ses obligations internationales au sérieux et si les centaines de milliers de travailleuses et de travailleurs migrants verront leurs droits reconnus et respectés.
Si le Qatar change son système de kafala pour permettre aux travailleurs de quitter librement le pays, de changer librement d’emploi, d’adhérer à des syndicats, d’être équitablement rémunérés et d’être protégés des atteintes au droit du travail et de l’exploitation, alors la signature de ces traités pourra effectivement être considérée comme un évènement historique majeur.
Dans le cas contraire, ce sera une nouvelle occasion ratée — comme tant d’autres depuis que le Qatar s’est vu confier en 2010 l’organisation de la Coupe du monde de 2022 — et une violation des traités internationaux que le pays vient tout juste de signer.