Asma Jahangir laisse derrière elle un héritage remarquable en matière de droits humains
Courageuse militante des droits humains, Asma Jahangir laisse derrière elle un héritage remarquable, a déclaré Amnistie Internationale le lundi 12 février, déplorant la mort soudaine de cette avocate pakistanaise de 66 ans, décédée à Lahore dimanche.
« Pendant des dizaines d’années, Asma s'est battue courageusement pour les personnes les plus défavorisées du Pakistan, souvent au péril de sa vie. Elle a défendu la cause des femmes, des enfants, des travailleurs forcés, des minorités religieuses, des journalistes, des disparus et de nombreuses autres personnes. Elle affrontait l'injustice partout où elle la voyait », a déclaré Salil Shetty, secrétaire général d'Amnistie Internationale.
Asma Jahangir a commencé à organiser des manifestations très jeune, alors qu’elle allait encore à l’école. À l'âge de 18 ans, elle s'est battue pour faire libérer son père, Malik Ghulam Jilani ‑ arbitrairement incarcéré par le régime militaire du général Yahya Khan ‑, obtenant un arrêt historique de la Cour suprême.
Juriste de formation, Asma Jahangir a fondé avec sa sœur, Hina Jilani, le tout premier cabinet d'avocats exclusivement féminin du Pakistan, à Lahore. Parmi leurs clients figuraient des chrétiens condamnés à mort pour blasphème, des travailleurs forcés qui avaient fui le joug de propriétaires terriens féodaux et des femmes victimes de violences domestiques.
Asma Jahangir a été l'une des dirigeantes du Forum d’action pour les femmes (Women's Action Forum, WAF), qui s’est opposé aux ordonnances de hodoud du général Zia ul Haq, discriminatoires à l'égard des femmes. En 1983, Asma Jahangir et d'autres manifestantes du Forum d’action pour les femmes ont été brutalisées par la police. Elle a été arrêtée pour la première fois.
Pionnière de la défense des droits fondamentaux au Pakistan, Asma Jahangir a également été l'une des fondatrices de la Commission des droits humains du Pakistan, une ONG farouchement indépendante qu'elle a dirigée pendant plusieurs années.
En 1995, malgré les menaces d’une foule de « justiciers », Asma Jahangir et Hina Jilani ont défendu avec succès deux adolescents chrétiens, Salamat Masih et Rehmat Masih, qui faisaient appel de leur condamnation à mort pour blasphème.
Asma Jahangir et les accusés ont reçu des menaces pendant toute la procédure. À un moment, elle a été prise à partie par une foule en colère. Sa voiture a été endommagée alors qu'elle tentait de quitter le tribunal. Craignant pour leur sécurité, elle a envoyé ses filles à l'étranger pour qu’elles puissent y poursuivre leur scolarité. Comme elle l'avait déclaré à l'époque à Amnistie Internationale : « Ils ont tout fait pour m'intimider. Ils s’en sont même pris à mes deux filles. J'ai dû les envoyer en dehors du pays. Parfois, le prix à payer pour défendre ses convictions est intolérablement élevé. »
Le soutien des membres d'Amnistie Internationale lui a donné de la force pendant cette période difficile. « Grâce aux actions des membres d'Amnistie Internationale, je me sens davantage en sécurité et j’ai plus de courage », avait-t-elle déclaré. De plus, en 1995, Asma Jahangir a été la deuxième lauréate du Prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits humains, la première des nombreuses récompenses internationales qui lui seraient décernées.
Quatre ans plus tard, en 1999, un homme armé a fait irruption dans le cabinet d'Asma Jahangir et de sa sœur, à Lahore, et a abattu Samia Imran, une victime de violences conjugales venue chercher de l'aide pour divorcer de son mari. L'une des balles a manqué de peu Hina Jilani.
En 2007, Asma Jahangir a été placée en résidence surveillée par le général Pervez Musharraf, alors à la tête de l’État, lorsqu'il a proclamé l'état d'urgence, suspendu la Constitution et arrêté arbitrairement des centaines de personnes, notamment des juges, des opposants politiques et des défenseurs des droits humains.
En 2010, elle a été la première femme élue présidente du barreau de la Cour Suprême, malgré une campagne marquée par des propos diffamatoires contre elle et sa famille de la part de concurrents, et par des critiques dans les médias.
L'un des combats les plus déterminés qu’a menés Asma Jahangir concernait la pratique illégale et cruelle des disparitions forcées. C'est une question qu'elle a abordée lors de son dernier discours en public, trois jours avant sa mort, à l’occasion de la « longue marche pachtoune », à Islamabad. Ces derniers mois, les disparitions forcées ont fortement augmenté un peu partout au Pakistan, s’étendant au-delà des zones de conflit pour toucher le cœur des principales villes du pays.
L’activité d'Asma Jahangir dans le domaine des droits humains est allée bien au-delà des frontières du Pakistan. Elle a été à trois reprises rapporteuse spéciale des Nations unies ‑ sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires, sur la liberté de religion ou de conviction et, plus récemment, sur l'Iran. Au moment de son décès, Asma Jahangir était également membre du groupe consultatif régional d'Amnistie Internationale pour la région Asie-Pacifique.
« La mort soudaine d'Asma est une perte non seulement pour le Pakistan, ou pour l'Asie du Sud, mais aussi pour le mouvement des droits humains dans le monde entier. Elle laisse derrière elle un héritage remarquable, que nous nous devons tous d’honorer en donnant la parole à ceux qui ne sont pas entendus », a déclaré Salil Shetty.