La difficile mise en œuvre de la justice de transition. La prolongation des mécanismes ne résout pas les problèmes fondamentaux de la législation
New York / Bangkok / Colombo / Katmandou – La prolongation pour un an de deux mécanismes de justice transitionnelle au Népal sans que soient mises en œuvre les réformes juridiques et institutionnelles nécessaires ordonnées par la Cour suprême et par les Nations unies ne permet pas de satisfaire aux normes internationales, ont déclaré Amnistie Internationale, la Commission internationale de juristes et Human Rights Watch mardi 13 février 2018.
Les trois organisations ont souligné que la simple prorogation des mandats de la Commission vérité et réconciliation et de la Commission d'enquête sur les disparitions forcées risquait de prolonger le processus de justice sans améliorer réellement les chances des victimes d'obtenir la justice, la vérité et l'obligation de rendre des comptes qu'elles réclament.
« Les victimes népalaises ont maintenant pu mesurer la valeur réelle de ces deux commissions et sont profondément consternées et déçues de ne pas avoir obtenu la vérité ni la justice – même avec plusieurs années de retard », a déclaré Biraj Patnaik, directeur régional d'Amnistie Internationale pour l'Asie du Sud.
Le 5 février 2018, le gouvernement népalais a prolongé d'un an, pour la deuxième fois, les mandats de la Commission vérité et réconciliation et de la Commission d'enquête sur les disparitions forcées sans prendre aucune mesure pour garantir leur crédibilité et leur respect des droits humains, ni pour augmenter leurs moyens comme le demandaient les victimes, des groupes de la société civile et la Commission nationale des droits humains.
Le même jour, la Commission nationale des droits humains a appelé le gouvernement à modifier la Loi de 2014 relative à la Commission sur les personnes disparues, la vérité et la réconciliation, conformément aux normes internationales et aux arrêts de la Cour suprême.
La Commission vérité et réconciliation et la Commission d'enquête sur les personnes disparues sont loin de respecter les normes internationales, tant dans leur composition que dans leur fonctionnement, malgré les instructions données à plusieurs reprises par la Cour suprême. Entre autres failles, le cadre juridique actuel prévoit la possibilité d'accorder des amnisties et permet de fait l'impunité pour des violations flagrantes des droits humains constituant des crimes graves aux termes du droit international. Il donne aussi aux deux mécanismes, de manière générale, le pouvoir de favoriser la réconciliation, même sans le consentement éclairé des victimes et de leurs familles.
Par ailleurs, les méthodes de travail opaques de ces mécanismes, sans consultation ni coordination, ont suscité la méfiance de toutes les principales parties intéressées, notamment les victimes du conflit et les membres de la société civile. Et à chaque fois qu'elles ont fait des efforts pour travailler efficacement, les deux commissions se sont heurtées à un manque de moyens humains et financiers.
« Les victimes des dix années de guerre civile au Népal et leurs familles attendent des réponses depuis bien trop longtemps, et les mesures cyniques prises par le gouvernement, comme la prolongation des mandats sans appliquer les réformes plus larges ordonnées par la Cour suprême, sont pour elles un nouveau camouflet », a déclaré Meenakshi Ganguly, directrice régionale de Human Rights Watch pour l'Asie du Sud. « Les deux commissions ont rassemblé de nombreux éléments, mais les autorités semblent chercher davantage à protéger les responsables qu'à garantir la justice dans ce processus. »
Malgré les failles de la loi et les problèmes de légitimité et de moyens, les victimes et leurs familles ont laissé le bénéfice du doute à ces mécanismes et ont déposé des milliers de plaintes. En février 2018, la Commission vérité et réconciliation avait reçu 60 298 plaintes de violations des droits humains, et la Commission d'enquête sur les disparitions forcées 3 093 dossiers de personnes disparues. Les deux commissions ont affirmé avoir ouvert des enquêtes sur certains de ces cas, mais la qualité de ces investigations suscite de sérieux doutes et, à ce jour, aucun dossier n'a été transmis à la justice.
« Maintenant que le Népal est membre du Conseil des droits de l'homme de l'ONU, la communauté internationale a de grandes attentes à l'égard de son gouvernement », a déclaré Frederick Rawski, directeur régional Asie pour la Commission internationale de juristes. « Celui-ci doit s'engager à veiller à ce que ces institutions fonctionnent en toute indépendance, sans aucune ingérence politique, et dans le respect des normes internationales qui interdisent l'impunité pour les violations flagrantes des droits humains. La simple prolongation de leurs mandats sans résoudre les problèmes de fond ne saurait être une solution satisfaisante. »
Complément d’information
La Commission vérité et réconciliation et la Commission d'enquête sur les disparitions forcées ont été créées le 10 février 2015 en vertu de la Loi de 2014 relative à la Commission sur les personnes disparues, la vérité et la réconciliation. Leurs mandats de deux ans ont pris fin le 9 février 2017. Ils ont alors été prolongés d'un an par le gouvernement. Le 20 janvier 2018, le président a validé une ordonnance prolongeant une nouvelle fois le mandat des deux commissions. Le 5 février 2018, sur la base de cette ordonnance, le Conseil des ministres a prorogé d'une année supplémentaire les deux mandats.