Faute de preuves, de nouvelles poursuites contre des défenseurs des droits humains semblent infondées
Le 31 juillet 2018, une audience s’est tenue devant le tribunal de haut risque A pour la justice pénale, le trafic de stupéfiants et les infractions visant l’environnement, dans le cadre d’affaires impliquant six défenseurs des droits relatifs au territoire et à l’environnement dans le nord du département de Huehuetenango (Guatemala).
Deux défenseurs des droits humains sont poursuivis pour enlèvement ou séquestration et incitation à commettre une infraction. Ces infractions auraient été commises lors d’une manifestation devant le Centre d’administration de la justice (CAJ) de Santa Eulalia (département de Huehuetenango) les 19 et 20 janvier 2015 (affaire pénale n° 109-2015). Trois défenseures des droits humains sont quant à elles accusées d’agression, de contrainte, de menaces, d’incitation à commettre une infraction, d’entrave à la justice et d’enlèvement ou séquestration. Ces infractions auraient été perpétrées au cours d’une autre manifestation devant le CAJ, le 23 janvier 2014 (affaire pénale n° 268-2014). Enfin, un dernier défenseur des droits humains a comparu devant le tribunal pour réunion et manifestation illégales. Ces infractions auraient été commises pendant une manifestation qui a eu lieu le 22 avril 2013 à Santa Cruz Barillas (affaire pénale n°139-2014).
Amnistie internationale a pu consulter une partie des dossiers des cinq premiers accusés. Dans les documents auxquels elle a eu accès, l’organisation n’a pas trouvé de preuves suffisantes présentées par les services du procureur pour lier chacune de ces personnes à une infraction. Les allégations se fondent sur des témoignages qui ne font que confirmer la présence de ces défenseurs des droits humains aux manifestations concernées, ainsi que leurs rôles de dirigeants communautaires. En revanche, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve pour étayer les accusations portées contre eux.
Amnistie internationale exprime à nouveau la crainte que les autorités guatémaltèques ne détournent une fois de plus le système pénal pour réduire au silence et harceler les défenseurs des droits humains. En juillet 2016, sept autres défenseurs des droits humains ont également été accusés par les services du procureur d’avoir commis des infractions pendant des manifestations. Des procédures pénales ont été intentées contre eux dans le cadre d’affaires similaires à celles décrites ci-dessus, et pour les mêmes infractions.[1] Le 22 juillet 2016, la Premier tribunal pénal guatémaltèque pour le trafic de stupéfiants et les infractions visant l’environnement a acquitté les sept défenseurs des chefs de détention illégale, de menaces et d’incitation à commettre une infraction.[2]
Dans le jugement d’acquittement en date du 22 juillet, ainsi que dans l’avis motivé de la présidente du tribunal, Iris Yassmin Barrios Aguilar, le tribunal a estimé que des procédures judiciaires étaient utilisées pour traiter comme des infractions les actes de dirigeants indigènes et de membres de la communauté ayant joué un rôle important dans la défense de leurs droits fondamentaux. Les juges se sont inquiétés des allégations présentées par le bureau du procureur, qui se fondaient sur des informations erronées ou sur des comportements non constitutifs d’infractions. Le tribunal a réaffirmé le droit de toutes les personnes de manifester, de se réunir et de s’associer de manière pacifique. Aux termes du jugement, nul ne peut être inculpé uniquement en raison de sa participation à une manifestation ou de son appartenance à une organisation. Enfin, le tribunal a reconnu l’importance du rôle joué par les représentants ou dirigeants indigènes ou de communautés lors de médiations menées avec d’autres autorités et communautés pour résoudre tout conflit susceptible de se présenter.
Cependant, malgré les lignes directrices importantes établies par ce jugement, l’affaire visant les six autres défenseurs des droits humains montre que le bureau du procureur continue de formuler des allégations dans le but d’entraver et de délégitimer le combat des défenseurs pour le droit au territoire et à un environnement sain.[3] Il est inquiétant que cette série d’allégations émanant du bureau du procureur à l’encontre de défenseurs des droits humains se fonde uniquement sur leur rôle de dirigeants de communautés, les rendant automatiquement responsables de tout dommage causé par le fait qu’ils ont organisé les manifestations. Tout ceci va à l’encontre des normes internationales en matière de droits humains.
En l’absence de lien direct entre les accusés et les événements en question, Amnistie internationale appelle instamment le bureau du procureur à réexaminer dans les meilleurs délais les affaires en cours contre ces six défenseurs des droits humains, afin de veiller à ce que personne ne soit poursuivi uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits fondamentaux, conformément aux obligations internationales du Guatemala en matière de droits humains, ainsi qu’aux conclusions formulées dans le jugement considérant comme infondés ces mêmes événements et allégations.
Amnistie internationale demande également au bureau du procureur d’ajuster ses directives internes afin de veiller à ce que la justice pénale ne soit pas instrumentalisée pour attaquer et harceler les personnes qui défendent les droits humains, et à ce que des enquêtes pénales ne soient ouvertes que si le fond et les preuves sont suffisants.
[1] Procédures pénales intentées contre Rigoberto Juárez Mateo, Domingo Baltazar, Arturo Pablo Juan, Francisco Juan Pedro, Sotero Adalberto Villatoro Hernández, Bernardo Ermitaño López et Mynor López. Le chef d’« enlèvement ou séquestration » a été réexaminé et requalifié en « détention illégale ».
[2] Deux des juges ont considéré que le défenseur Ermitaño López Reyes s’était rendu coupable d’entrave à la justice lors de la manifestation du 23 janvier 2014. Ils ont également estimé que Rigoberto Juárez avait usé de contrainte à l’égard de fonctionnaires du CAJ lors des manifestations des 19 et 20 janvier 2015. Les deux procédures sont toujours en instance d’appel.
[3] https://www.amnesty.org/en/documents/amr34/6212/2017/en/