• 3 jan 2018
  • Bangladesh
  • Communiqué de presse

Il faut mener une enquête approfondie sur l’assassinat de Mithun Chakma, défenseur des droits fondamentaux des autochtones

Amnistie internationale appelle les autorités du Bangladesh à mener sans délai une enquête rigoureuse sur l’assassinat de Mithun Chakma, défenseur des droits fondamentaux des autochtones, et à veiller à ce que toute personne contre laquelle il existe des preuves dignes de foi soit poursuivie dans le respect des normes internationales relatives aux garanties d’une procédure régulière.

Mithun Chakma a été tué par balle le 3 janvier 2018 dans le sous-district de Sadar (district de Khagracchari), alors qu'il rentrait chez lui après une comparution devant un tribunal.

Mithun Chakma était un militant des droits des autochtones des Chittagong Hill Tracts, connu pour dénoncer les violations des droits humains commises contre les peuples autochtones. Placé en détention sans inculpation le 12 juillet 2016, il a été maintenu en détention durant trois mois avant d’être remis en liberté sous caution, le 18 octobre 2016.

Après sa libération, Mithun Chakma a été informé qu’il faisait l’objet de 10 autres procédures pénales. Certaines de ces procédures avaient été engagées au titre de la Loi de 2006 sur les technologies de l'information et de la communication (TIC), qui permet d’apporter des restrictions illégitimes au droit à la liberté d'expression, par exemple en limitant la possibilité d’évoquer, sur les réseaux sociaux, les violations des droits humains commises par les autorités publiques. Les poursuites s’appuyaient sur des captures d'écran de ses activités militantes en ligne, comme des articles et des tweets qu’il avait publiés.

Entre autres allégations, Mithun Chakma était accusé de publication d’informations mensongères mettant en cause les pouvoirs publics, d’utilisation des réseaux sociaux pour amener des organisations extrémistes à inciter à la violence, à enfreindre la loi et à porter atteinte à l'ordre public dans la région, et de réunion illégale. Il était également accusé d’avoir commis des violences, notamment d’avoir lancé des pierres sur des voitures et d’avoir blessé et menacé des représentants de l’État. Mithun Chakma avait contesté ces allégations, dont beaucoup n'étaient pas étayées par des preuves. Il n’avait été reconnu coupable dans le cadre d’aucune des actions à son encontre.

En raison du nombre de procédures engagées contre lui, Mithun Chakma comparaissait régulièrement devant le tribunal, ce qui limitait sa capacité à mener ses activités de défense des droits des autochtones.

Amnistie internationale craint que de telles affaires n’alimentent un climat de peur, dans lequel les défenseurs des droits humains n’osent pas dénoncer les violations des droits fondamentaux au Bangladesh. L’assassinat de Mithun Chakma renforce les inquiétudes quant à la gravité du danger auquel s’exposent les défenseurs des droits humains lorsqu'ils exercent leur droit à la liberté d'expression au Bangladesh.

Amnistie internationale a fait état de ces menaces croissantes pour la liberté d’expression dans un rapport d’avril 2017 (en anglais) intitulé Caught Between Fear and Repression: Attacks on Freedom of Expression in Bangladesh.[1]

Dans ce document, elle indiquait que, depuis 2013, un certain nombre d'attaques, qui s’étaient révélées fatales ou qui avaient failli l’être, avaient été menées contre des militants autochtones et des défenseurs de la laïcité.

La réponse des autorités bangladaises à cette vague de violence est préoccupante. Dans un certain nombre de cas, les auteurs présumés n'ont pas été soumis à l’obligation de rendre des comptes et les hauts responsables de l’État n'ont pas condamné ces homicides. De nombreux militants qui s’étaient tournés vers la police après avoir reçu des menaces de mort ont été éconduits lorsqu'ils ont demandé son aide. Ainsi, la police n'a rien fait lorsque Niloy Neel, un blogueur défenseur de la laïcité, a demandé sa protection ‑ il a été assassiné quelques jours plus tard.

La détention de Mithun Chakma en 2016 a été ordonnée au titre de l'article 57 de la Loi sur les TIC, qui prévoit des sanctions contre quiconque publie sous forme électronique des données portant atteinte à l'ordre public, à l'image de l'État ou d'une personne, ou encore au sentiment religieux.

Cette infraction était auparavant passible d’une peine d'emprisonnement d’une durée maximale de 10 ans. Cependant, une modification apportée à cet article en 2013 a porté cette durée à 14 ans, et a également permis que des personnes soient arrêtées sans mandat, comme cela a été le cas pour Mithun Chakma.

Amnistie internationale n’ignore pas que le gouvernement envisage d'abroger l'article 57 de la Loi sur les TIC pour le remplacer par une nouvelle loi sur la sécurité numérique. Cependant, il est à craindre que les dispositions de ce projet de loi ne permettent aux autorités de continuer à traiter la liberté d'expression comme une infraction et à la sanctionner.

Conformément aux recommandations formulées dans son rapport intitulé Caught Between Fear and Repression: Attacks on Freedom of Expression in Bangladesh, Amnistie internationale appelle les responsables politiques du Bangladesh à abroger toutes les lois qui portent atteinte au droit à la liberté d'expression, de réunion et d'association pacifiques, et à veiller à ce que les projets de loi actuellement en cours d'examen soient modifiés de façon à être mis en conformité avec le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes.

Complément d’information

En vertu du droit international relatif aux droits humains, le Bangladesh est tenu de garantir le droit à la liberté d'expression. L'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel le Bangladesh est partie, dispose que ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, par tout moyen de son choix.

L'exercice de ce droit ne peut faire l'objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont manifestement nécessaires et proportionnées à la réalisation de l’objectif consistant à protéger des intérêts publics déterminés (la sécurité nationale, l'ordre public, ou la santé ou la moralité publiques) ou les droits et la réputation d'autrui.

Dans ses Observations finales sur le rapport initial du Bangladesh (en anglais), le Comité des droits de l'homme des Nations unies s'est dit préoccupé par les restrictions à l’exercice du droit à la liberté d'opinion, d'expression et d’association par les blogueurs et les défenseurs des droits humains au Bangladesh.[2]

Il a notamment fait part de son inquiétude quant aux insuffisances constatées en matière de protection policière, d'enregistrement des plaintes, d’enquêtes et de poursuites dans les affaires d’assassinats de blogueurs défenseurs de la laïcité commis par des groupes extrémistes, ainsi que dans les cas de menaces de mort, d’agressions physiques, d’actes d’intimidation et de harcèlement visant des journalistes, des blogueurs et des défenseurs des droits humains.[3]

Le Comité a également exprimé des préoccupations au sujet de l'arrestation de défenseurs des droits humains, en 2016, au titre de la Loi de 2006 sur les technologies de l'information et de la communication (modifiée en 2013), une loi de facto sur le blasphème qui limite la liberté d'opinion et d'expression en utilisant des termes vagues et excessivement généraux pour ériger en infraction la publication en ligne d'informations qui « heurtent le sentiment religieux » ou qui portent atteinte à « l'image de l'État » et qui la sanctionne par une peine d’emprisonnement d’une durée comprise entre 7 et 14 ans.[4]

Le Comité a recommandé au Bangladesh de prendre immédiatement un certain nombre de mesures pour protéger les droits des blogueurs et des défenseurs des droits humains.

Il s’agit notamment des mesures suivantes : assurer une protection contre les homicides illégaux, les agressions physiques et le harcèlement, veiller à ce que les fonctionnaires de police et autres reçoivent une formation adéquate en matière de protection des défenseurs des droits humains, enregistrer les plaintes et enquêter de manière approfondie sur toutes les atteintes à la vie, à l'intégrité physique et à la dignité de ces personnes, traduire les auteurs présumés en justice et offrir aux victimes des réparations adaptées.[5]

Le Comité a également recommandé que des lois telles que la Loi sur les TIC soient abrogées ou modifiées afin d’être mises en conformité avec le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. En particulier, le Comité a souligné que le Bangladesh devait clarifier la définition, par trop vague, large et sujette à interprétation, de termes clés figurant dans ces lois, et veiller à ce que celles-ci ne soient pas utilisées pour limiter la liberté d'expression au-delà des restrictions étroites autorisées à l'article 19 du Pacte.[6]

 

[1]Amnistie internationale, Caught Between Fear and Repression: Attacks on Freedom of Expression in Bangladesh (Index AI : ASA 13/6114/2017)

[2]Comité des droits de l'homme des Nations unies, Concluding observations on the initial report of Bangladesh, 2017

[3]Ibid., par. 27(a)

[4]Ibid., par. 27(b)

[5]Ibid., par. 28(a)

[6]Ibid., par. 28(b)