Europe. La non-reconnaissance des préjudices causés par la criminalisation du travail du sexe est une « occasion manquée »
L’arrêt rendu le 25 juillet 2024 par la Cour européenne des droits de l’homme à l’encontre de travailleurs et travailleuses du sexe demandant réparation pour la violation de leurs droits résultant de la criminalisation de leur travail est une occasion manquée de mieux protéger les travailleurs·euses du sexe contre les abus et les violences, a déclaré Amnistie internationale.
Dans l’affaire M.A. et autres c. la France, la Cour européenne a examiné l’impact sur les droits humains du « modèle nordique », un cadre juridique adopté par la France en 2016, qui rend illégal l’achat de services sexuels et criminalise les aspects organisationnels du travail du sexe.
« Cet arrêt ne reconnaît pas que le fait de criminaliser le travail du sexe augmente la discrimination et la stigmatisation, et met en péril la sécurité des travailleurs et travailleuses du sexe, qui comptent parmi les groupes les plus marginalisés de nos sociétés, a déclaré Anna Błuś, chercheuse sur les droits des femmes à Amnistie internationale.
« Le fait d’ériger en infraction l’achat de services sexuels les oblige à prendre plus de risques, tandis que les dispositions pénalisant la tenue d’une maison close les empêchent de travailler ensemble dans un même lieu en vue d’assurer leur propre sécurité. La criminalisation met également en péril leurs droits humains car elle crée des obstacles dans l’accès au logement, aux soins de santé et à d’autres services essentiels, et peut se traduire par des abus, des violences, des actes de harcèlement et d’extorsion. »
Amnistie internationale a soumis l’intervention d’une tierce partie et partagé les résultats de ses recherches menées en Argentine, en République dominicaine, à Hong Kong, en Irlande, en Norvège et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Ces recherches révèlent que la criminalisation oblige les travailleuses et travailleurs du sexe à travailler en catimini, ce qui compromet leur sécurité et les empêche de solliciter le soutien et la protection des pouvoirs publics.
« Nos recherches montrent que les lois censées les protéger les exposent à un risque accru d’abus et de violences, notamment de viols et d’agressions physiques, a déclaré Anna Błuś.
« Le jugement rendu aujourd’hui est un coup porté aux courageux travailleurs et travailleuses du sexe qui ont initié cette affaire. Nous continuons de nous tenir à leurs côtés, tandis qu’ils réclament que leurs droits fondamentaux soient protégés, que justice soit rendue pour les violations perpétrées contre leur communauté et que leurs droits soient mieux protégés à l’avenir. »
Complément d’information
En 2016, le Parlement français a adopté la Loi n° 2016-444 érigeant en infraction l’achat de services sexuels, même entre adultes consentants. Un groupe de travailleuses et travailleurs du sexe, ainsi qu’un de leurs syndicats et diverses associations humanitaires, ont contesté la loi devant les tribunaux français, affirmant qu’elle était contraire à la Constitution. Leur requête a été rejetée en 2019.
Par la suite, 261 travailleuses et travailleurs du sexe ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme. Ils ont pointé des violations des articles 2 et 3 – droit à la vie et droit de ne pas être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements – et de l’article 8 – droit au respect de la vie privée.
La Cour européenne des droits de l’homme a décidé de n’examiner que les allégations de violations au titre de l’article 8 et a jugé que la France devait bénéficier d’une large « marge d’appréciation » pour légiférer sur le travail du sexe. Elle a néanmoins souligné que les autorités nationales ont le devoir d’évaluer constamment leur approche, en particulier lorsqu’elle repose sur une interdiction générale et absolue de l’achat d’actes sexuels, afin de garantir que la législation puisse être modifiée au fur et à mesure de l’évolution des normes internationales dans ce domaine.