• 27 Sep 2024
  • Malte
  • Article d'opinion

Ces deux femmes rendent l’avortement possible pour celles dont les gouvernements l’interdisent : « Notre objectif est de garantir des avortements légaux, gratuits et sûrs aux victimes de viol »

Verónica Cruz Sánchez, militante de longue date pour le droit à l’avortement au Mexique, a contribué à garantir que les filles et les femmes violées puissent accéder à des avortements en toute sécurité. Aujourd’hui, Veronica aide des femmes installées aux États-Unis à avoir accès aux pilules abortives au lendemain de l’annulation de l’arrêt Roe c. Wade

Il y a des années, à Guanajuato et dans tout le Mexique, les victimes de viol n’avaient pas accès à l’avortement. C’était techniquement légal, mais notre gouvernement ne fournissait pas les services dont les femmes et les filles avaient besoin. 

Nous avons créé notre organisation féministe Las Libres (Les Libres) en 2000 parce que nous voulions promouvoir les droits des femmes et être là pour celles qui avaient été violées. Cela paraissait totalement inhumain de penser qu’elles allaient devoir mener ces grossesses à terme. Nous voulions faire en sorte que leurs droits soient respectés, alors nous avons mis sur pied un réseau de gynécologues, de psychologues et d’avocat·e·s pour permettre de garantir le droit à un avortement gratuit et sûr. Nous voulions aussi aider les jeunes filles et les femmes qui souhaitaient mettre fin à des grossesses non désirées à la maison sans surveillance médicale, en proposant des pilules abortives gratuites.

En 2002, j’ai rencontré plusieurs jeunes femmes emprisonnées pour fausses couches, complications obstétriques et avortements. Elles étaient toutes jeunes, venaient d’avoir 18 ans et étaient déjà en prison. Certaines avaient été violées, la majorité vivaient dans la pauvreté et venaient de zones rurales marginalisées. L’une des filles que j’ai rencontrées était encore très pâle à cause des saignements – elle avait été envoyée en prison directement depuis l’hôpital. Je savais que je voulais aider. Sa place n’était pas derrière les barreaux.  

Après notre rencontre, elle m’a présenté des jeunes femmes qui avaient fait l’objet des mêmes poursuites. Avec mon équipe, nous avons commencé à animer des ateliers en prison car nous voulions comprendre leur situation et retracer ce qui s’était passé. L’une de ces femmes a finalement ouvert la voie de la liberté pour toutes. Contrairement aux autres, elle n’avait pas encore été condamnée, alors nous avons commencé à plaider son cas et elle a finalement été libérée. Cette victoire nous a aidées à sensibiliser à des affaires similaires et a suscité une très forte indignation au sein de la société. Peu après, toutes les autres femmes étaient sorties de prison. 

Depuis lors, nous avons fait des progrès et la Cour suprême mexicaine a statué en faveur de la dépénalisation de l’avortement dans tout le pays. Cependant, plusieurs États fédéraux continuent de le criminaliser dans de nombreux cas et les femmes continuent d’acquérir des connaissances sur leurs droits ; c’est donc mon travail de contribuer à les éduquer.

Alors que le Mexique progresse, il est fou de voir ce qui se passe aux États-Unis. C’était une référence pour le Mexique, et tout le monde souhaitait un arrêt tel que Roe c. Wade.  

Après l’annulation du droit constitutionnel à l’avortement aux États-Unis, une journaliste m’a donné l’idée de reproduire notre modèle et d’aider les femmes au Texas. Notre objectif était de transmettre notre expérience, le modèle et les ressources telles que les pilules abortives, qui n’étaient pas facilement disponibles là-bas. Lorsque les Américain·e·s ont entendu parler de notre travail dans les médias américains, leur réaction a été incroyable.  

Les dons ont commencé à affluer, même des petits dons de 10 dollars. Et nous avons pu acheter un stock d’un an de pilules pour les envoyer gratuitement aux États-Unis. 

À ce jour, nous avons aidé plus de 20 000 femmes directement aux États-Unis et formé plus de 200 réseaux de soutien à travers le pays. Nos réseaux sont anonymes, car les membres courent le risque d’être criminalisés. Dans la mesure du possible, si une femme veut se rendre dans une clinique, nous essayons de la mettre en contact avec quelqu’un dans une clinique en dehors de l’État.  

L’avortement est un droit dont l’ensemble de la société doit assumer la responsabilité et qui ne doit pas reposer uniquement sur les épaules des femmes, des jeunes filles et de tous ceux qui ont besoin ou veulent avorter. Lorsque l’État ne réagit pas, les organisations sociales comme Las Libres doivent se manifester et aider à résoudre ce problème. 

« Nous avons mis en place un service local et gratuit de doula pour l’avortement pour que les femmes puissent nous appeler avant, pendant ou après un avortement »

Malte a légalisé l’avortement il y a six mois, mais uniquement dans les cas où la vie de la femme est en danger : trois médecins spécialistes doivent se mettre d’accord sur une décision et être présents à l’hôpital. Dans les faits, cette légalisation signifie que la majorité des femmes à Malte n’ont toujours pas accès à l’avortement.  

En tant que seule gynécologue ouvertement favorable au libre-choix à Malte, Isabel Stabile trouve des moyens de soutenir les droits à l’avortement depuis de nombreuses années, malgré l’interdiction quasi totale en vigueur...

La plupart des jeunes à Malte sont élevés dans le catholicisme. J’ai 66 ans et j’ai suivi ma formation en gynécologie au Royaume-Uni. Bien que je n’aie pas pratiqué d’avortement, j’ai toujours été favorable au libre-choix et je m’occupais des femmes avant et après l’avortement. Quand je suis revenue à Malte il y a 20 ans pour reprendre ma pratique, j’ai réalisé à quel point la situation était difficile pour les femmes. Ce n’était pas juste et j’avais besoin de faire quelque chose.

Avec mes collègues, nous avons mis en place un service local et gratuit de doula pour l’accompagnement à l’avortement pour que les femmes puissent nous demander de l’aide avant, pendant ou après un avortement – et il est toujours en place aujourd’hui. L’avortement médical est une procédure sûre et peut être pratiquée sans surveillance médicale, à condition que vous soyez assez proche d’un hôpital et que vous ayez connaissance des informations pertinentes.

Dans la mesure du possible, nous parlons nous-mêmes aux patientes, en utilisant un langage approprié pour leur expliquer la procédure. Surtout, nous leur expliquons deux choses : premièrement, il faut qu’elles comprennent que ce que je leur dis est illégal. Si elles se font prendre, elles iront en prison pendant trois ans et nous irons en prison pendant quatre ans et perdrons notre licence d’exercer la médecine. Deuxièmement, elles doivent le faire elles-mêmes, car beaucoup souhaiteraient nous attraper, et la situation est donc très risquée. 

Nous essayons de limiter au maximum les risques, en apportant un soutien lors de l’avortement et en veillant à ce qu’elles sachent quelle quantité de saignement est normale et à quel moment il faut se rendre à l’hôpital. 

Je trouve que la situation actuelle à Malte est terrible, car nous sommes passés d’une interdiction complète à ce qui m’apparaît comme une situation presque pire. Il y a environ six mois, une nouvelle loi a été adoptée qui n’autorise l’avortement que si votre vie court un grave danger imminent. Cela nécessite l’accord de trois spécialistes, présents à l’hôpital. C’est dangereux. Les médecins attendent jusqu’à la dernière minute et ne suivent pas les protocoles médicaux. Par le passé, il aurait été possible pour un médecin, un gynécologue ou un obstétricien de décider si une grossesse mettait la mère en danger et d’aider à y mettre fin en privé – mais plus maintenant. 

Je me trouve dans une position difficile, d’autant plus que les femmes ont besoin d’aide. Une femme de 45 ans, qui ne parlait pas anglais, a appelé notre service de doula, disant qu’elle était enceinte. Elle avait trois enfants et voulait interrompre cette grossesse. Je lui ai dit où trouver les pilules abortives et je me suis assurée qu’elle savait que c’était illégal. Toutefois, elle ne savait pas utiliser Internet. 

Ce n’est pas toujours facile. Quand j’ai commencé, j’ai reçu beaucoup de courriels haineux, qui disaient : « J’aimerais que tu sois morte. Nous allons te tuer. » Je les ai signalés à la police, mais ils n’ont rien fait. Heureusement, les choses changent, en particulier chez les jeunes. Nous pouvons maintenant avoir des discussions ouvertes sur l’avortement, tandis qu’une enquête récente a révélé que la majorité des moins de 30 ans sont favorables à la dépénalisation de l’avortement. 

Nous sommes très peu à participer activement dans mon secteur professionnel. Oui, certaines personnes peuvent être méchantes, mais heureusement, il y a des gens bien dans le monde et ce sont eux qui aident à surmonter les problèmes. Ce n’est pas toujours facile lorsque l’on ne voit pas de changement immédiat, mais nous nous soutenons les uns les autres autant que possible. 

Veronica Cruz et Isabel Stabile figurent toutes deux dans la deuxième saison du podcast d’Amnistie internationale On The Side of Humanity. Il sera disponible en streaming à partir du 28 septembre 2024 sur Spotify, Apple et Deezer.