Réaction : Amnistie internationale s’inquiète de la décision rendue par la Cour d’appel du Québec au sujet de la Loi 21
Amnistie internationale Canada francophone est vivement préoccupée du jugement de la Cour d’appel rendu hier au sujet de la Loi sur la laïcité de l’État (Loi 21), confirmant sa constitutionnalité. Dans un jugement étoffé de près de 300 pages, les magistrats indiquent que le mécanisme dérogatoire utilisé les a empêchés d’évaluer la compatibilité de la loi avec les chartes des droits et libertés canadienne et québécoise.
Ces deux chartes des droits et libertés sont des textes fondamentaux de notre système juridique mais l’utilisation de la disposition dérogatoire qui y est incluse permet aux législateurs de suspendre leur application. Selon France-Isabelle Langlois, directrice d’Amnistie internationale Canada francophone, « le recours à la disposition dérogatoire prive les personnes du droit humain fondamental de contester une loi ce qui, à terme, aura pour effet de réduire de façon significative la protection des minorités. »
Amnistie s’inquiète du recours de plus en plus fréquent, et à toutes les sauces, à la clause dérogatoire, dont les critères pour l’application sont malheureusement très peu contraignants. La banalisation de son application dans le but de contourner les droits humains est une tendance très préoccupante, qui évoque une dérive autoritaire.
Dans la décision de la Cour supérieure du Québec en 2021, il était établi que la Loi 21 brime les droits et libertés des personnes portant des signes religieux. Cette fois-ci, la Cour d’appel n’a pas voulu statuer sur de possibles atteintes au droit au travail, à la liberté de religion ou au principe d’égalité entre les sexes tels que définis par la Charte canadienne et la Charte québécoise, en raison du recours au mécanisme dérogatoire.
Cette volonté de miner nos protections constitutionnelles est aussi observable ailleurs au Canada. La Saskatchewan a récemment adopté une loi, en ayant recours à la disposition de dérogation, pour empêcher le personnel des écoles publiques d’utiliser le nom ou le genre préféré des jeunes trans et non-binaire sans le consentement de leurs parents. Le gouvernement de Doug Ford en Ontario a utilisé la même disposition en 2021 pour imposer une convention collective à des dizaines de milliers de travailleuses et travailleurs du milieu de l’éducation et leur retirer leur droit de grève.
« Cependant, la Cour d’appel reconnaît l’importance des ententes internationales comme sources pertinentes et persuasives notamment pour l’application de la charte canadienne, » souligne madame Langlois. Pour que le droit canadien soit conforme au droit international, les dispositions de dérogations des chartes doivent être interprétées conformément aux Pactes internationaux ratifiés par le Canada. Selon Amnistie internationale, pour concilier les obligations internes et internationales du Canada en matière de droits et libertés fondamentaux, il faut faire la démonstration que la dérogation n’est pas discriminatoire et qu’il existe un « danger public exceptionnel qui menace l’existence de la nation. » Amnistie souligne aussi que de toute façon, la dérogation à la liberté de religion que prévoit la Loi 21 est interdite par le droit international, la rendant par le fait même inconstitutionnelle.
Tout indique que ces mesures dérogatoires sèment aussi l’inquiétude chez les magistrats de la Cour d’appel du Québec. En effet, ils ont indiqué dans leur jugement que le fait « qu’un législateur puisse soustraire une loi à l’application de certaines dispositions de la Charte canadienne ou de la Charte québécoise et la soustraire de ce fait au contrôle judiciaire à cet égard est de nature à susciter la réflexion, si ce n’est l’inconfort. »
Amnistie internationale Canada francophone est intervenue dans le cadre du procès, à titre de tiers partie, afin de faire valoir le droit international, eu égard aux obligations dont sont parties le Québec et le Canada pour respecter les droits humains fondamentaux des personnes visées.