Le renouvellement de l’engagement en faveur des droits humains doit se traduire par des actes, pas seulement des paroles
La semaine prochaine, les chefs d’État des 46 États membres du Conseil de l’Europe, principal organe de protection des droits humains en Europe, se réuniront pour la quatrième fois seulement depuis sa création, en 1949. Compte tenu de la crise des droits humains dont l’Europe est le théâtre et du conflit de grande ampleur faisant rage sur le continent, ce sommet est vital.
La dernière réunion de ce type, en 2005, avait pour objectif de « construire une Europe sans clivages » et une « Europe plus humaine et plus inclusive » ; elle avait même tracé la voie à suivre pour la Convention d’Istanbul contre les violences faites aux femmes. Le Sommet qui s’annonce est présenté comme une occasion pour les États membres de « réaffirmer leur engagement en faveur des droits humains ».
Cela est opportun, car l'an dernier à peine, la Russie a été exclue du Conseil de l’Europe pour avoir commis des violations choquantes des droits humains à très grande échelle lorsqu’elle a lancé une invasion de grande envergure contre l’Ukraine. Mais cet engagement renouvelé sonnera faux si le Conseil de l’Europe ne tire pas d’enseignements de ses échecs face au mépris affiché de longue date par la Russie vis-à-vis de ses obligations légales, avant de se tourner vers le futur.
Avec le recul, les États membres se sont montrés complaisants à l’égard de la Russie, manquant à leur devoir d’agir afin d’empêcher la régression des droits humains quand les autorités russes ont engagé leurs forces dans une guerre brutale en Tchétchénie, ont affronté la Géorgie, et ont occupé la Crimée, tout en étouffant la société civile nationale. Récemment, sa réaction plus robuste - qui a consisté à exclure la Russie après son attaque contre l’Ukraine - a pourtant fait naître l’espoir que l’Europe s’engage de nouveau en faveur des droits humains, conformément à l’esprit fondateur du Conseil.
Il faut en finir avec la complaisance, notamment lorsqu'il s’agit de la Turquie, qui fait marche arrière sur le terrain des droits humains depuis trop longtemps, s’en prenant à la société civile, ignorant des jugements contraignants rendus par la Cour européenne des droits humains, et se retirant de la Convention d’Istanbul. Il est flagrant que la Turquie ne respecte pas les obligations fondamentales qui sont les siennes au regard des droits humains, en sa qualité de membre du Conseil de l’Europe.
L’absence de la situation d’Osman Kavala sur le programme du Sommet est particulièrement flagrante. Ce prisonnier d’opinion et défenseur des droits humains languit injustement en prison en Turquie depuis 2017, en dépit d’arrêts rendus par la Cour européenne des droits humains en 2022 et 2019 ordonnant sa libération immédiate. Les autorités turques ont pourtant lancé de nouvelles poursuites contre lui sur la base de charges ridicules et l’ont condamné à la réclusion à perpétuité, adressant ainsi un message terrifiant à tous les défenseur·e·s des droits humains en Turquie.
Notre collègue Taner Kiliç, président d’Amnistie internationale Turquie à l’époque, a lui-même été maintenu en détention arbitraire pendant plus d’un an. S’il ne se trouve plus en détention, il continue à risquer de faire l’objet d’une nouvelle enquête sur des charges liées à la lutte contre le terrorisme après l’annulation de sa déclaration de culpabilité par la Cour de Cassation en Turquie l’an dernier, malgré un arrêt rendu par la Cour européenne des droits humains condamnant son placement en détention provisoire en relation avec son travail en faveur des droits humains.
Les outils dont se sert le Conseil de l’Europe pour réagir aux manquements des États membres au respect des règles doivent être renforcés. Les remises en question de l’autorité de la Cour, en particulier le non-respect d’un jugement contraignant à la suite d’une procédure d’infraction, comme dans le cas d’Osman Kavala, devraient systématiquement être discutées pendant le Sommet et lors des réunions ministérielles annuelles.
Les organes de suivi et la commissaire aux droits humains doivent bénéficier d’une invitation permanente afin de pouvoir se rendre dans des États et d’effectuer un travail de suivi, et, si nécessaire, de dénoncer les violations des droits et d’essayer d’y mettre fin, ainsi qu’à l’impunité persistante.
Trop souvent en politique, les grands discours ne sont pas suivis de grands actes. Et cela n’a jamais été aussi vrai que dans le cas de l’urgence climatique. Le Conseil de l’Europe a un rôle essentiel à jouer sur ce terrain, car la crise climatique, causée en grande partie par l’Europe, perpétue une crise des droits humains. Amnistie internationale propose l’adoption d’un instrument juridique contraignant afin de reconnaître le droit à un environnement sain et durable, et la création d’une commission d’expert·e·s indépendants qui émettront des recommandations en termes de lignes directrices et effectueront un suivi de la mise en œuvre par les États. Les arguments juridiques et financiers contre des initiatives de ce genre semblent cependant gagner du terrain.
L’inaction face à l’urgence climatique pousse des milliers de personnes, en particulier des jeunes, à participer à des manifestations pacifiques et à faire pression sur les gouvernements. À travers la région, cependant, des restrictions croissantes sont imposées aux militant·e·s, journalistes et organisations de la société civile qui sont déterminés à s’exprimer et à résister aux violations des droits humains. Les participant·e·s au Sommet doivent s’engager à faire en sorte que les droits aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association soient garantis pour tous et toutes.
Il est à prévoir que de nombreuses victimes de crimes de guerre en Ukraine s’adressent à la Cour afin de réclamer justice, vérité et réparations pour les violations flagrantes des droits humains commises contre elles avant septembre 2022, quand la Russie a cessé d'être partie à la Convention européenne des droits humains. Des ressources supplémentaires doivent être allouées à la Cour afin de pouvoir traiter ces cas.
Il appartiendra aux États membres de décider ce que signifie « la réaffirmation de l’engagement en faveur des droits humains ». Le Sommet de Reykjavík symbolisera la conscience de l’Europe, capable de se mobiliser contre la guerre abjecte de la Russie en Ukraine mais affichant une indifférence glaçante face au désespoir de migrant·e·s et réfugié·e·s venus d’ailleurs, tandis que les libertés fondamentales des défenseur·e·s des droits humains sont restreintes. L’effet positif du Sommet sur les droits des personnes en Europe dépendra des engagements pris par les personnes qui y assisteront, et sera fonction de leur mise en œuvre et de la forme prise par celle-ci.