Thaïlande. Des manifestant·e·s mineurs risquent de « graves répercussions » pour avoir pris part à des manifestations de masse
Les autorités thaïlandaises ont arrêté, poursuivi, surveillé et menacé des mineur·e·s parce qu’ils avaient participé à des manifestations de masse sans précédent, a déclaré Amnistie internationale mercredi 8 février, en demandant l’abandon des charges et la fin du harcèlement visant à dissuader les jeunes de se joindre aux manifestations.
Le nouveau rapport d’Amnistie internationale, intitulé We are Reclaiming Our Future, s’appuie sur des entretiens menés auprès de 30 manifestant·e·s et militant·e·s mineurs du pays entier ayant pris part à des actions de protestation de grande ampleur entre 2020 et 2022.
Contrairement à de précédentes vagues de protestation en Thaïlande, un nombre très élevé des participant·e·s ont cette fois-ci été des lycéen·ne·s mineurs, qui réclamaient des réformes éducatives, politiques, économiques et sociales face à ce qu’ils considèrent comme un ordre établi paternaliste et rigidement conservateur. Les jeunes appartenant à la communauté LGBTI et/ou à une minorité autochtone, et les jeunes issus d’autres groupes ethniques minoritaires ont également joué un rôle important.
À ce jour, près de 300 mineur·e·s ont été inculpés, et certains encourent des années de prison pour sédition ou outrage à la monarchie. C’est, à la connaissance d’Amnistie internationale, la première fois que des charges de lèse-majesté ont été retenues contre des mineur·e·s en Thaïlande. La majorité de ces adolescent·e·s ont été accusés d’avoir enfreint des règles relatives aux rassemblements publics de masse figurant dans le décret d’urgence lié à la pandémie, qui a depuis lors été levé.
« Des enfants ayant toute la vie devant eux connaissent désormais de graves répercussions pour avoir simplement participé à des manifestations pacifiques », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong, spécialiste de la Thaïlande à Amnistie internationale. « La Thaïlande est légalement tenue de garantir le droit des mineur·e·s à la liberté de réunion pacifique. Au lieu de cela, exercer ce droit a un coût très élevé pour les manifestant·e·s, qui encourent des peines pouvant aller jusqu’à des dizaines d’années derrière les barreaux. »
Des tactiques néfastes
Amnistie internationale a recensé diverses tactiques utilisées afin de restreindre le droit de manifester. Les autorités ont systématiquement suivi ou surveillé des mineur·e·s ayant manifesté en faveur de la démocratie ; directement menacé des mineur·e·s issus de groupes ethniques minoritaires pour avoir pris part à des rassemblements publics ; et posé des questions injustifiées et indiscrètes lors de vérifications des antécédents, demandant par exemple si la personne en question avait des relations avec une autre personne du même sexe.
Chompoo*, une manifestante de 13 ans vivant à Bangkok, a déclaré à Amnistie internationale qu’elle était suivie par les autorités depuis le début de son action militante en mars 2022. De même, un militant LGBTI âgé de 16 ans a été suivi par les autorités jusqu’à son domicile et son établissement scolaire, ce qui a affecté sa santé mentale, lui valant des crises de panique, des insomnies et d’autres formes de stress causées par cette surveillance constante.
Dans certains cas, les autorités ont utilisé de manière abusive des pouvoirs officiels conférés par la loi relative à la protection des mineur·e·s, afin d’empêcher à tort des mineur·e·s de prendre part à des actions de protestation. Anna, une étudiante de Bangkok qui milite en faveur de réformes éducatives, a déclaré qu’elle-même et ses ami·e·s avaient été physiquement traînés hors d’un restaurant par des policiers et des fonctionnaires du ministère du Développement social et de la Sécurité humaine, le principal organe de protection de l'enfance, parce que les autorités craignaient qu’ils ne protestent devant le Monument de la démocratie car des membres de la famille royale devaient passer à proximité de cette zone.
Amnistie internationale a également constaté que les autorités exerçaient des pressions sur des parents afin de décourager ou d’empêcher des mineur·e·s de participer à des manifestations. Cela a suscité au sein de certaines familles des tensions ayant mené dans deux cas relevés par Amnistie internationale à des violences domestiques contre des manifestant·e·s mineurs.
« Quand ma famille a découvert ma participation au mouvement de protestation, nous avons commencé à beaucoup nous disputer », a déclaré Satapat, qui a pris part à des manifestations en faveur de la démocratie en 2020 alors qu’il était un lycéen de 17 ans dans la ville de Pattani, dans le sud du pays. « Puis mes parents se sont mis à recourir à la violence physique et à faire pression sur moi en me confisquant mon argent de poche et mon téléphone portable. J’ai dû partir de chez moi et je suis allé vivre avec un ami. »
« Outre les poursuites, certains manifestant·e·s mineurs risquent par ailleurs d’être reniés ou maltraités par leurs propres parents en raison des pressions que les autorités exercent sur ces derniers », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong.
Environnement hostile
Amnistie internationale examine de près les conditions de sécurité des manifestations depuis 2020. Ces inquiétudes se sont accrues en 2021 après la multiplication des opérations répressives policières et l’intensification des violences sur le lieu d’actions de protestation.
Trois jeunes manifestants, âgés de 14, 15 et 16 ans à l’époque, ont été victimes de blessures par balles - semble-t-il tirées par des membres du public - devant le poste de police de Din Daeng, à Bangkok, le 16 août 2021.
L’un d’eux, Warit Somnoi, 15 ans, touché au cou, est resté dans le coma pendant plusieurs mois avant de succomber à ses blessures. Après sa mort, la police a manqué à plusieurs reprises à sa responsabilité de fournir des éléments de preuve, malgré les nombreuses demandes du parquet en ce sens, et a ainsi fortement retardé l’enquête. Le procureur a fini par accuser de meurtre un membre du public, mais aucun procès n’a encore eu lieu.
Amnistie internationale a par ailleurs parlé à un avocat spécialisé dans la défense des droits humains ayant représenté plusieurs mineurs. Cet avocat a décrit des mauvais traitements imputés à des policiers, tels que des coups et le recours à des moyens de contention lors d’arrestations, et l’emploi de balles de caoutchouc lors de la répression des manifestations.
Les autorités auraient utilisé des câbles afin d’empêcher un manifestant âgé de 12 ans de bouger lors d’une opération de répression contre une manifestation anti-gouvernementale près du carrefour de Din Daeng à Bangkok le 13 juillet 2021. Un autre manifestant nommé Sainam, alors âgé de 17 ans, a déclaré avoir été visé par des balles en caoutchouc durant une manifestation à Bangkok.
« Après que j’ai été touché, j’ai essayé de m’enfuir, mais des policiers antiémeutes m’ont pris en tenaille. Ils m’ont attrapé et m’ont fait tomber à terre. Et puis je me souviens qu’ils m’ont mis des coups de pied et ont utilisé quelque chose de dur - comme une matraque ou un pistolet - pour me frapper. Ils m’ont fouillé partout sur le corps, m’ont ligoté avec des câbles et ont continué à me rouer de coups de pied », a-t-il dit, ajoutant qu’il n’a pu voir de médecin que le lendemain matin lorsqu’il a été remis en liberté.
Amnistie internationale demande au gouvernement thaïlandais de lever toutes les poursuites visant des manifestant·e·s mineurs pacifiques ; de mettre fin à toutes les formes d’intimidation et de surveillance ; et d’abroger ou de modifier les lois invoquées afin de restreindre le droit des mineur·e·s de manifester, de sorte à ce qu’elles soient conformes au droit international relatif aux droits humains et aux normes associées.
« Qu’ils entrent à l’université ou postulent pour un emploi, de nombreux manifestant·e·s mineurs entament à peine la prochaine phase de leur vie. Notre message aux autorités thaïlandaises est simple : Cessez de les freiner et permettez-leur d’exercer leurs droits librement », a déclaré Chanatip Tatiyakaroonwong.
*Le nom complet de ces personnes n’a pas été divulgué pour des raisons de sécurité