Irak. Une universitaire enlevée doit être libérée
Son enlèvement s’inscrit dans une série de disparitions forcées
Le gouvernement irakien doit prendre des mesures pour garantir la libération immédiate et sans condition d’Elizabeth Tsurkov, une chercheuse établie aux États-Unis qui a été enlevée en Irak le 21 mars 2023, ont déclaré quatre organisations, dont Human Rights Watch et Amnistie Internationale, vendredi 8 septembre.
Elizabeth Tsurkov, qui possède la double nationalité russe et israélienne, est actuellement doctorante au département d’études politiques de l’Université de Princeton, aux États-Unis. Selon New Lines Magazine, elle menait des recherches de terrain sur les mouvements chiites en Irak lorsqu’elle a été enlevée à Bagdad, dans le quartier de Karrada. Sa famille a indiqué qu’elle avait été opérée en urgence de la colonne vertébrale pour traiter une hernie discale huit jours avant son enlèvement.
« L’enlèvement d’Elizabeth Tsurkov s’inscrit dans une série d’enlèvements ciblés en Irak par des acteurs étatiques et non étatiques, toujours commis en toute impunité, a déclaré Adam Coogle, directeur adjoint pour le Moyen-Orient chez Human Rights Watch. Il incombe au gouvernement irakien de faire tout son possible pour assurer sa sécurité et sa libération, ainsi que pour amener ses ravisseurs à rendre des comptes. »
Les autorités irakiennes ont ouvert une enquête sur son enlèvement en juillet, mais elles n’ont encore rendu publique aucune conclusion ni avancée. Toutes les personnes soupçonnées d’être pénalement responsables de son enlèvement doivent être traduites en justice dans le cadre de procès équitables, ont souligné les quatre organisations.
Elizabeth Tsurkov, qui est entrée en Irak avec son passeport russe le 28 janvier, a publié de nombreux articles sur des pays du Proche-Orient, notamment l’Irak, la Syrie, Israël et la Palestine. Elle a plus de 10 ans d’expérience du bénévolat et du travail sous d’autres formes pour des organisations de défense des droits humains actives dans cette région du monde qui militent pour les droits des Palestiniens et Palestiniennes, des personnes réfugiées et migrantes, des victimes de torture et de traite des êtres humains, et des minorités ethniques et religieuses.
D’après sa famille, sa thèse de doctorat porte sur le Mouvement sadriste (mouvement politique dirigé par le chef religieux chiite Moqtada al Sadr) et le mouvement Tishreen (à la tête des manifestations massives qui se sont déroulées en Irak entre 2019 et 2021). Elizabeth Tsurkov est également chercheuse associée au sein du Newlines Institute for Strategy and Policy, un organisme de recherche établi à Washington D.C., et du Forum for Regional Thinking, une organisation israélo-palestinienne siégeant à Jérusalem qui mène également des recherches.
« Ma sœur est une personne gentille, une brillante universitaire et une militante engagée pour les droits humains, a déclaré sa sœur Emma aux quatre organisations. Son travail a toujours été ancré dans la foi en l’humanité commune à toute personne, l’écoute attentive et la compréhension de la façon dont des gens très différents d’elle donnent un sens à leur vie. »
Emma Tsurkov a par ailleurs indiqué que sa sœur avait commencé à apprendre l’arabe après avoir terminé sa licence en 2011. « Elizabeth est fermement convaincue que la véritable valeur de la recherche universitaire est d’améliorer la compréhension entre les personnes historiquement opposées par des conflits, a-t-elle précisé. C’est ce qui l’a amenée en Irak et la raison pour laquelle elle tient à apprendre l’arabe. »
Selon Emma Tsurkov, sa famille s’inquiète pour la santé et le bien-être d’Elizabeth. « Elle a été enlevée seulement huit jours après avoir été opérée en urgence de la colonne vertébrale, a-t-elle déclaré. Elle avait encore des points de suture dans le dos et prenait des médicaments sur ordonnance. Nous sommes très inquiets pour elle et nous voulons qu’elle rentre aux États-Unis. »
Le premier article faisant état de l’enlèvement en identifiant Elizabeth Tsurkov par son nom est paru le 14 juin sur le site 1945, spécialisé dans les questions militaires.
Les services du Premier ministre israélien ont publié le 5 juillet une déclaration publique affirmant qu’Elizabeth Tsurkov était détenue par Kataëb Hezbollah, bien que cette organisation ait démenti l’information. Également appelée Hezbollah irakien, celle-ci fait partie des Unités de mobilisation populaire, groupe armé placé officiellement sous l’autorité du Premier ministre d’Irak depuis 2016. Elle gère les 45e, 46e et 47e brigades de ce groupe. Elle reçoit des fonds publics et sa chaîne de commandement remonte jusqu’au Premier ministre.
Les miliciens de Kataëb Hezbollah ont souvent désobéi aux ordres du gouvernement malgré leur statut juridique d’organe de l’État irakien. En 2009, les États-Unis ont inscrit cette organisation sur leur liste d’entités étrangères considérées comme terroristes en raison de ses attaques contre l’armée américaine et de ses actions déstabilisant l’Irak. Elle est aussi impliquée dans le meurtre d’un analyste irakien renommé, Hisham Al Hashemi, en juillet 2020, ainsi que dans la vague de disparitions forcées et d’homicides de militant·e·s et de manifestant·e·s qui a eu lieu pendant la révolte menée par le mouvement Tishreen.
Les disparitions forcées ont été utilisées pour réduire au silence les militant·e·s et les manifestant·e·s et ont eu un effet paralysant sur la liberté d’expression en Irak, indiquent les quatre organisations.
En tant qu’État partie à la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, l’Irak est tenu de criminaliser les disparitions forcées, d’enquêter, de traduire les responsables en justice et de garantir des réparations aux victimes. Actuellement, la disparition forcée n’est pas inscrite dans le droit pénal irakien. Les disparitions forcées bafouent plusieurs droits fondamentaux, notamment le droit à la sécurité et à la dignité de sa personne, le droit de ne pas être soumis à la torture ni à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ou encore le droit à des conditions de détention humaines.
La Russie et les États-Unis doivent user de leur influence sur l’Irak pour contribuer à obtenir la libération immédiate d’Elizabeth Tsurkov.
Les organisations suivantes appellent à sa libération :
Amnistie Internationale
Democracy for the Arab World Now (DAWN)
Human Rights Watch
Scholars at Risk