Pérou. Le président Pedro Castillo doit garantir un usage proportionné de la force face aux mouvements sociaux et éviter les violations des droits humains
En raison de l’augmentation des prix des produits alimentaires, du carburant et des engrais, les secteurs liés au transport et à l’agriculture organisent, depuis le 28 mars, des manifestations dans plusieurs régions du pays. Dans de nombreux cas, ces mouvements de protestation prennent la forme de barrages routiers.
Le 5 avril, le président a suspendu par décret certains droits constitutionnels à Lima et à Callao, et face à cela, d’autres secteurs de la société ont organisé de nouvelles grèves. De plus, des pillages et des actes de violence ont été signalés dans plusieurs régions du pays.
« Nous attirons l’attention sur le risque d’usage inutile et disproportionné de la force de la part des forces de l’ordre contre les manifestant·e·s dans ce contexte de très forte tension sociale. Amnistie internationale a par le passé réuni des informations sur de graves violations des droits humains commises dans le cadre de mouvements de protestation au Pérou, a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale.
« Nous demandons au président Pedro Castillo de garantir le strict respect de la loi par les forces de l’ordre, ainsi que le respect plein et entier des normes du droit international dans toutes les régions du pays, afin d’éviter que d’autres personnes ne soient tuées ou blessées, et afin d’empêcher une aggravation de cette crise. »
Les médias ont indiqué que lors des manifestations, deux personnes au moins ont été tuées par des tirs de projectiles, quatre autres personnes sont mortes dans des circonstances qui n’ont pas encore été éclaircies, et plusieurs dizaines d’autres encore ont été blessées. Selon des informations officielles, au moins 18 personnes ont été arrêtées à Lima dans ce contexte. Par ailleurs, les autorités ont signalé que plusieurs dizaines de membres des forces de police ont été blessés et que plusieurs bâtiments publics ont été endommagés. Cependant, les chiffres officiels concernant le nombre de personnes tuées, blessées et arrêtées pendant les manifestations ne sont pas clairs. Des organisations de défense des droits humains dénoncent le recours par la police nationale à une force disproportionnée.
« Nous demandons à l’État péruvien de veiller à ce que des enquêtes exhaustives et impartiales soient menées sans délai sur les allégations de violations des droits humains qui auraient été commises par les forces de sécurité, notamment sur les cas de personnes tuées par des tirs de projectiles dans le cadre des manifestations. La force publique est certes chargée du maintien de l’ordre, et pour ce faire elle a la possibilité d’utiliser la force si nécessaire, en ultime recours et toujours de façon proportionnée, mais elle est tenue de toujours agir dans le strict respect des droits humains. L’usage des armes à feu à des fins de dispersion des manifestations est dans tous les cas illégaux, et les armes à feu ne peuvent être utilisées qu’en cas de danger grave et imminent pour la vie des fonctionnaires concernés ou pour celle de tierces personnes », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale.
Le gouvernement a publié un nouveau décret instaurant l'état d'urgence sur le réseau routier national, suspendant les droits à la liberté de circulation, de réunion et à la sécurité des personnes pendant 30 jours et restreignant les droits constitutionnels, et chargeant les forces armées d’assurer le maintien de l’ordre dans le pays, conjointement avec la police nationale.
« La volonté de mettre fin aux barrages routiers ne peut en aucun cas justifier le recours à une force excessive. Notre région présente des exemples bien trop nombreux de mesures néfastes de ce type, notamment avec l’intervention des forces armées qui n’ont pourtant pas été créées ni entraînées pour assurer le contrôle des manifestations », a déclaré Erika Guevara Rosas.
Amnistie internationale rappelle que les normes relatives aux droits humains protègent le fait de manifester pacifiquement et établissent que si certains groupes ou certaines personnes commettent des violences lors d’une manifestation, cela n’implique pas que cette manifestation est en soi et dans son ensemble violente, et n’autorise pas les forces de sécurité à la disperser en recourant à la force.
Le Comité des droits de l’homme de l’ONU a établi qu’il existe une présomption du caractère pacifique des manifestations et que si des violences sont constatées, les fonctionnaires chargés de faire respecter la loi ont l’obligation d’utiliser dans la mesure du possible des moyens non violents avant de recourir, si cela devient absolument nécessaire et en derniers recours, à la force. Le cas échéant, tout recours à la force doit être conforme aux principes fondamentaux de légalité, de nécessité, de proportionnalité, de précaution et de non-discrimination, et les personnes qui y recourent doivent répondre de leurs agissements. Le recours à une force excessive ou disproportionnée est contraire aux obligations internationales en matière de droits humains et si elle cause la mort d’une personne, elle peut alors constituer une violation du droit à la vie.
Complément d’information
Dans la nuit du 4 avril, le président Pedro Castillo a annoncé la suspension de droits constitutionnels, dans le cadre de l’état d’urgence, dans les provinces de Lima et Callao – où il n’y avait pas eu de manifestation ni de pillage –, notamment en ce qui concerne « l’inviolabilité du domicile, la liberté de circulation sur le territoire national, la liberté de réunion et la liberté et la sécurité des personnes », et il a imposé un couvre-feu (« immobilisation sociale obligatoire de toutes les personnes à leur domicile ») entre 2 heures du matin et 23 h 59 le 5 avril.
Dans la matinée du 5 avril, le Défenseur du peuple a demandé au pouvoir exécutif « l’arrêt immédiat de l’immobilisation sociale en raison de son caractère inconstitutionnel », et parce que cette mesure ne respectait pas les principes de nécessité et de proportionnalité. Et ce, parce que cette mesure n’était pas « dument motivée », car « aucune raison » n’avait été avancée « pour justifier une immobilisation sociale aussi stricte » et pour expliquer « en quoi elle pouvait contribuer à préserver l’ordre social ».