Travailleuses du sexe en Irlande. «Une nouvelle loi a rendu ma profession plus dangereuse»
Poppy, travailleuse du sexe exerçant en Irlande
J’exerce en tant que travailleuse du sexe en Irlande depuis 2015.
En 2017, une loi a été introduite : son objectif publiquement affiché était de protéger les personnes comme moi. Mais en réalité, elle nous met en danger et a effectivement augmenté les risques de violences et d’isolement.
Les travailleuses et travailleurs du sexe avaient pourtant prévenu que cela arriverait. Mais ces personnes n’ont pas été écoutées lors de l’écriture de la loi. Au lieu de cela, d’autres personnes ont été autorisées à parler en notre nom. C’est pourquoi je prends la parole aujourd’hui.
La loi va être révisée cette année, et il est temps pour le gouvernement irlandais d’enfin nous écouter. La loi pénale de 2017 relative aux infractions à caractère sexuel a érigé en infraction l’achat de services sexuels. Elle a également augmenté les peines liées à la « tenue de maison close » et au fait de « vivre des revenus de la prostitution ».
On peut ne pas voir en quoi cela augmente les risques pour nous, je le comprends, mais j’encourage tout le monde à réfléchir à la véritable signification de ces lois.
La criminalisation de la « tenue de maison close » signifie que, si je travaille dans un appartement avec un ou une autre travailleur ou travailleuse du sexe, je deviens en théorie et aux yeux de la loi une infâme tenancière de bordel. La réalité est que la vaste majorité des travailleuses et travailleurs du sexe qui travaillent à plusieurs le font pour des raisons de sécurité.
Et ce n’est pas juste mon expérience personnelle. La récente recherche menée par Amnistie internationale en Irlande montre qu’en raison de ces lois, les travailleuses et travailleurs du sexe ont peur de travailler ensemble, ce qui nous isole encore davantage.
Et il y a un tout autre problème.
Être blanche et irlandaise me protège quelque peu, car depuis que les lois ont été introduites, elles ont majoritairement ciblé des migrant·e·s.
Criminaliser l’achat de services sexuels signifie aussi que nous avons moins de moyens pour nous protéger. Nous ne pouvons pas filtrer nos clients et nous devons prendre plus de risques quant à notre sécurité. Et la police n’est pas l’amie des travailleuses et travailleurs du sexe.
Pouvez-vous imaginer signaler un crime à une autorité qui pourrait faire une descente chez vous et vous accuser de « tenir une maison close » ? Qui pourrait vous signaler à votre propriétaire et vous faire expulser ?
Ces informations sont appuyées par les recherches d’Amnistie internationale, qui montrent également qu’il y a un profond « manque de confiance » vis-à-vis de la police, particulièrement de la part des migrant·e·s.
En plus de cette violence accrue, l’une des conséquences les plus frappantes de ces lois est qu’elles nous empêchent d’avoir des relations sociales normales.
Dans un monde idéal, je pourrais pouvoir dire ce que je fais pour gagner ma vie sans avoir peur d’être expulsée, et sans craindre que choisir d’exercer le travail du sexe me prive d’autres opportunités.
S’il vous plaît, prenez un moment pour imaginer ce que cela fait de savoir que, quand quelqu’un vous demande simplement « qu’est-ce que tu fais dans la vie ? », votre réponse suffit à faire en sorte que cette personne ne vous parle plus jamais. Au mieux.
Au pire, cette personne pourrait appeler les services sociaux et demander que vos enfants vous soient enlevés, ou prévenir votre propriétaire pour qu’on vous expulse. Imaginez maintenant que les lois lui donnent plus de pouvoir pour le faire, et établissent que ce n’est que justice.
Le « modèle nordique »
Mon expérience de ce qu’on appelle le « modèle nordique » a été l’isolement et l’hypervigilance.
Lorsque j’ai commencé à travailler, je vivais chez quelqu’un parce que je n’arrivais pas à trouver un logement à cause de la crise immobilière. J’avais postulé en vain à plusieurs emplois et, sans adresse permanente, j’étais de plus en plus attirée par le travail du sexe.
Je suis d’abord entrée dans l’industrie précisément à cause de la crise immobilière, car c’était la seule façon de travailler tout en ayant à constamment changer de logement temporaire. Cependant, à cause de ces lois, je vivais en permanence dans la crainte que mon propriétaire ne s’en aperçoive et m’expulse, comme la loi l’y autorise.
Et bien que ce risque de perdre mon logement soit énorme, j’ai été relativement chanceuse. Le travail du sexe implique de très importants risques de violence, et les autres travailleuses et travailleurs du sexe représentent nos seules réelles sources de protection et de soutien. Mais cela aussi est affecté par la loi.
Lorsque j’ai commencé, je ne pensais pas que je serais en sécurité si je contactais d’autres travailleuses et travailleurs du sexe, en raison de la stigmatisation et de la loi introduite en 2017. Rien que pouvoir parler avec un ou une collègue, sans jugement, aurait été un cadeau du ciel pour moi !
Je ne fais partie de cette communauté que depuis que j’ai commencé à travailler dans un club de strip-tease, des années après avoir commencé en tant qu’escorte. L’ironie est que ces clubs de strip-tease, légaux, fournissent à ces travailleurs et travailleuses un environnement sûr et la possibilité de former un réseau d’entraide.
À cause de la loi pénale en Irlande, les escortes ne peuvent pas avoir cette chance et doivent légalement travailler seules.
Le travail du sexe et la traite d’êtres humains
L’autre problème important est la confusion qui est souvent faite entre travail du sexe et traite d’êtres humains, alors que ce sont deux choses différentes. La traite est un crime horrible et l’Irlande ne protège pas suffisamment les personnes exploitées qui en sont victimes. Mais faire comme si c’était la même chose ne protège aucun ni aucune d’entre nous.
L’Irlande doit décriminaliser le travail du sexe, pour la sécurité des travailleuses et des travailleurs, et pour que ceux et celles qui veulent arrêter puissent le faire et avoir des opportunités sans craindre la stigmatisation et le casier judiciaire qui planent au-dessus de leur tête.
Nous devons être réellement et attentivement consulté·e·s lors de la révision de la loi par le gouvernement irlandais cette année. Nous devons financer des initiatives comme les Fonds Parapluie Rouge, guidés par et pour les travailleuses et travailleurs du sexe, ce qui signifie qu’ils offrent à la fois un espace sûr d’entraide et un refuge pour celles et ceux qui travaillent.
Nous avons besoin de lois qui autorisent les travailleuses et travailleurs qui le souhaitent à travailler ensemble, et qui fassent en sorte que les plus vulnérables de notre communauté ne soient plus privé·e·s de leurs droits par des amendes, des arrestations ou des expulsions.