Équateur. La répression des manifestations provoque une crise des droits humains
La répression par le gouvernement du président Guillermo Lasso des manifestations auxquelles appellent depuis le 13 juin, dans le contexte d’une grève nationale, des organisations autochones, professionnelles et sociales, provoque une crise des droits humains avec de multiples cas signalés de harcèlement, de recours excessif à la force, d’arrestation arbitraire, de mauvais traitements et de criminalisation de manifestant·e·s, de journalistes et de défenseur·e·s des droits humains, a déclaré Amnistie internationale le 20 juin.
« La répression de ces manifestations, décidée de façon déplorable par le président Lasso, provoque une crise des droits humains qui rappelle celle d’octobre 2019. Afin d’éviter que l’histoire ne se répète, le président doit mettre fin à la répression et remédier aux causes structurelles des manifestations, notamment en ce qui concerne la crise économique et les répercussions de sa politique sur les droits des groupes les plus affectés par la pandémie, comme les peuples autochtones et les personnes en situation de pauvreté », a déclaré Erika Guevara Rosas, directrice pour les Amériques à Amnistie internationale.
Depuis le 14 juin, l’Alliance pour les droits humains - Équateur a enregistré 79 cas de personnes arrêtées, 55 cas de personnes blessées et 39 cas de violations des droits humains incluant le recours excessif à la force, l’arrestation arbitraire de manifestants, l’agression de journalistes et des actes d’intimidation visant des organisations de la société civile, dans le cadre de la répression des manifestations par les autorités. D’autres organisations de défense des droits humains ont également tiré la sonnette d’alarme au sujet de cas de mauvais traitements et de criminalisation. De son côté, la police nationale a signalé des cas de violences commises par des manifestants.
Lors de la répression des manifestations d’octobre 2019, des organisations de défense des droits humains en Équateur ainsi qu’Amnistie internationale ont réuni des informations sur de semblables violations des droits humains, qui restent impunies.
Selon des informations rendues publiques, dans la nuit du 17 juin et dans les premières heures du 18 juin, au moins 16 personnes ont été blessées, subissant notamment des traumatismes crâniens et oculaires, lors de la répression d’une manifestation par la police nationale à Riobamba. Deux des victimes auraient subi des blessures causées par des tirs de grenaille.
Le 19 juin à 14 h 17, le commandant général de la police nationale a affirmé qu’une enquête interne allait être menée, mais il a nié l’utilisation par ses forces de la grenaille, et nié qu’elles aient tiré sur les victimes.
Des défenseur·e·s des droits humains et des dirigeant·e·s autochtones ont également dénoncé les actes de harcèlement et les attaques qu’ils disent avoir subis alors qu’ils effectuaient leur travail dans le cadre de ces manifestations.
Le 18 juin, la Confédération des nationalités indigènes de l'Équateur (CONAIE) a signalé que des individus non identifiés avaient tiré sur une vitre du véhicule de son président, Leónidas Iza, alors que personne ne s’y trouvait. Deux heures plus tard, le ministère de l’Intérieur a indiqué qu’il allait demander l’ouverture d’une enquête et qu’il ne tolérait aucun acte de violence « a fortiori si ces actes sont commis contre des personnes qui nous critiquent, de façon justifiée ou non ». La CONAIE avait déjà dénoncé auparavant une surveillance et des actes de harcèlement exercés par des individus non identifiés.
Le 19 juin à 18 h 34, la CONAIE a diffusé une vidéo où l’on voit deux camions militaires avec des agents de sécurité à leur bord stationnés, semble-t-il, non loin du siège de l’organisation à Quito.
La CONAIE, la Confédération des nationalités indigènes de l’Amazonie équatorienne (CONFENIAE) et l’Alliance pour les droits humains - Équateur ont dit avoir subi des attaques sur leurs sites web menés par des bots qui ont cherché à surcharger leurs serveurs les 13, 14 et 18 juin, respectivement.
« Afin d’éviter une aggravation de cette crise, Amnistie internationale demande au président Lasso de mettre fin à la stigmatisation et à la répression des personnes qui exercent leur droit de manifester pacifiquement, de publier des informations détaillées sur le nombre de personnes blessées et arrêtées, et sur les charges retenues contre elles, et de remédier aux causes structurelles qui ont conduit plusieurs secteurs de la société à manifester pour défendre leurs droits fondamentaux », a déclaré Erika Guevara Rosas.
Compte tenu du nombre inquiétant d’allégations de violations des droits humains commises par les forces de sécurité, il faut que le procureur général mène dans les meilleurs délais des enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales pour que les responsables présumés d’infractions pénales soient déférés à la justice, y compris les supérieurs hiérarchiques.
Informations complémentaires
Le 14 juin, à 12 h 29, les forces de sécurité ont arrêté Leónidas Iza, président de la CONAIE, dans la province de Cotopaxi. Il a été placé en détention au secret et accusé d’avoir « paralysé un service public », puis relâché dans la nuit. Sa détention pourrait avoir été arbitraire, et les poursuites judiciaires engagées contre lui pourraient constituer une criminalisation du fait de manifester.
Le 17 juin, le président Guillermo Lasso a pris le décret nº 455, qui instaure « l’état d’urgence en raison de graves troubles internes dans les provinces de Cotopaxi, Pichincha et Imbabura », et suspend les libertés d’association, de réunion et de circulation pendant 30 jours. Au titre de ce décret, le district métropolitain de Quito devient une « zone de sécurité » confiée aux forces armées, qui sont chargées d’assurer le « maintien de l’ordre » dans le cadre des manifestations en « complément » des actions de la police nationale.
Une précédente version de ce décret, qui comprenait la signature du président, incluait des dispositions préoccupantes autorisant l’utilisation de la « force meurtrière » (article 11) par les forces de sécurité et la restriction du droit à l’information (article 9), avec la suspension des « services de télécommunication fixes, mobiles et d’Internet » et une diffusion restreinte des « informations classifiées, réservées ou à diffusion limitée par les moyens de communication sociaux, les réseaux sociaux et dans les contenus des communications ». Par la suite, la présidence a indiqué qu’il s’agissait d’une simple « ébauche » et elle a produit une nouvelle version du décret ne comprenant pas ces dispositions.
Le 18 juin, alors même que l’instauration de l’état d’urgence avait entraîné la suspension de la liberté d’association et de réunion, la présidence a produit le Bulletin officiel 561 intitulé « La capitale des Équatoriens marche pour la paix » afin de promouvoir une marche menée par « des centaines d’habitantes et d’habitants de Quito (…) préoccupés par la situation dans le pays et par les actes de violence et le vandalisme ». Ce bulletin incluait le message suivant : « Le gouvernement national soutient cette initiative et se rallie à cette cause. » La page officielle où se trouvait ce document, ainsi que le tweet qui le promouvait, ont par la suite été supprimés. Dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux qui a probablement été enregistrée pendant cette marche, on voit un groupe de personnes en train de scander des messages racistes visant la population autochtone.