• 18 fév 2021
  • Venezuela
  • Communiqué de presse

La procureure de la CPI doit ajouter de nouvelles exécutions extrajudiciaires à son enquête préliminaire

Dans une nouvelle enquête en source ouverte, intitulée Venezuela: Impunity in the face of lethal policy of social control, qui s’est appuyée sur des éléments authentifiés par le laboratoire Crisis Evidence, une équipe spécialisée dans l’analyse de preuves recueillies par des citoyens, Amnistie internationale explique qu’il est probable que 14 hommes morts entre les 6 et le 9 janvier 2021 dans la zone de La Vega, à Caracas, aient été victimes d’exécutions extrajudiciaires. L’organisation demande au bureau de la procureure de la Cour pénale internationale d’inclure ces informations à l’enquête préliminaire sur les crimes contre l’humanité commis par des représentants de l’État au Venezuela.

Bien que le voisinage eut signalé la présence de policiers dès le 6 janvier, deux jours plus tard, quelque 650 agents des forces vénézuéliennes de sécurité ont été déployés dans la paroisse de La Vega, dans le sud-ouest de Caracas, en raison d’affrontements présumés entre bandes criminelles et policiers. Les éléments déployés étaient des membres des Forces d’action spéciales et de la police nationale bolivarienne, qui ont été critiquées par le passé pour les exécutions extrajudiciaires systématiques de jeunes hommes vivant dans la pauvreté.

« Nous avons des raisons de penser qu’au moins 14 décès survenus à La Vega entre les 6 et 9 janvier étaient très certainement des exécutions extrajudiciaires, un crime de droit international susceptible de constituer un crime contre l’humanité. En dépit des nombreuses condamnations émanant d’organisations internationales et de la courageuse société civile vénézuélienne, ces crimes continuent d’année en année, et s’accompagnent de l’impunité la plus totale », a déclaré Erika Guevara-Rosas, directrice pour la région des Amériques à Amnistie internationale.

Amnistie internationale a pu confirmer l’authenticité de neuf vidéos filmées les 8 et 9 janvier attestant la présence de la police dans la zone de La Vega. Des vidéos filmées le matin du 8 janvier montrent un convoi de véhicules de police descendant l’avenue O’Higgins, à Caracas, vers le sud, en direction de la zone de La Vega. Une autre vidéo montre des policiers et leurs véhicules au bord de l’avenue Guzmán Blanco, aux abords de la paroisse de La Vega. Une vidéo publiée par un média local, également le 8 janvier, donne à voir une lourde présence policière près du Gimnasio Vertical de la paroisse de La Vega. Des véhicules de police, des armes, des gilets pare-balles et des badges de l’unité spéciale Opérations et tactique sont également visibles sur la vidéo. Une autre vidéo filmée le 8 janvier montre une scène se déroulant dans la rue los Bloques, près du centre de La Vega, dans laquelle on peut entendre des coups de feu. Une photo prise depuis le même poste d’observation révèle que les véhicules figurant sur la vidéo sont des camions de police et qu’une forte présence policière à été déployée sur place.

Une autre vidéo des événements survenus à La Vega a été filmée à proximité de la rue 1 de Mayo, au cœur de La Vega. Environ 20 secondes après le début de la vidéo, on peut entendre un coup de feu et voir un policier se baisser brusquement. À peu près 10 secondes plus tard, ce même policier vise quelque chose avec son arme tout en se mettant à l’abri là où d’autres policiers patientent. On peut clairement distinguer les insignes de la force nationale de police bolivarienne et de la police nationale sur certains des uniformes. D’autres vidéos montrent la même rue tandis que retentissent des tirs d’armes à feu ; sur l’une d’entre elles, des policiers armés patrouillent dans la zone. Sur une dernière vidéo, filmée depuis un immeuble, un pick-up de la police se dirige vers l’ouest, le long de la rue Zulia, s’éloignant de la paroisse de La Vega ; à l’arrière, il transporte ce qui ressemble à des corps.

Au moins 14 personnes sont mortes durant cette opération, qui a duré quatre jours, jusqu’au 9 janvier. Selon certaines sources, les agissements de la police ont causé la mort de 10 autres personnes. Deux des victimes avaient semble-t-il 17 ans.

Des organisations de défense des droits humains et des résident·e·s de La Vega ont nié que ces décès sont survenus lors d’affrontements, et ont affirmé qu’il s’agissait pour la majorité d’exécutions extrajudiciaires. D’autres homicides pourraient être dus à des « balles perdues ». À la connaissance d’Amnistie internationale, aucun membre des forces impliquées n’a été tué ni blessé.

Amnistie internationale a obtenu des images montrant semble-t-il les corps de 14 des personnes tuées à La Vega. Un expert légiste externe a pu confirmer de manière indépendante des informations relatives aux blessures observées, et a déclaré que sept corps présentaient plusieurs blessures par balle au niveau du cœur, et que deux autres corps présentaient une lésion provoquée par une seule balle juste au-dessus du coeur. Une blessure à la tête infligée par une seule balle a été relevée sur deux corps.

« L’emplacement et le nombre des blessures par balles sur le corps des victimes de La Vega décrédibilisent encore davantage la version officielle selon laquelle ces homicides sont survenus lors d’un affrontement marqué par des tirs croisés. Ils tendent en revanche à confirmer les conclusions d’Amnistie internationale au sujet d’une politique systématique d’exécutions extrajudiciaires et d’autres crimes internationaux au Venezuela. Alors que rien ne semble indiquer qu’une enquête impartiale et indépendante sera menée sur ces événements, l’examen de la situation par la procureure de la Cour pénale internationale est plus que jamais nécessaire », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

Depuis la conclusion de l’enquête d’Amnistie internationale, ni le parquet, ni le bureau du médiateur n’ont fait de déclaration publique sur l’ouverture d’une enquête indépendante et impartiale afin de faire dans les meilleurs délais toute la lumière sur ce qui s’est passé et d’établir les responsabilités individuelles dans le cadre de ces événements. Et même si des mesures étaient prises en ce sens, leur crédibilité serait mise en doute compte tenu du manque d’impartialité et d’indépendance reproché depuis des années à la justice vénézuélienne par des organisations internationales, notamment Amnistie internationale.

« Les exécutions extrajudiciaires présumées sur lesquelles nous nous sommes penchés à La Vega pourraient constituer des crimes contre l’humanité impliquant les autorités au plus haut niveau, y compris Nicolás Maduro. Les politiques de répression et de contrôle social s’appuient sur l’impunité encouragée et favorisée par les autorités, qui ont elles-mêmes commis des violations massives des droits humains au Venezuela », a déclaré Erika Guevara-Rosas.

COMPLÉMENT D’INFORMATION

Des organisations locales avec lesquelles Amnistie internationale était en contact ont recueilli les propos de familles de victimes, et de nombreux témoignages confirment le mode opératoire identifié par Amnistie internationale à plusieurs reprises par le passé. Les forces de sécurité pénètrent dans un domicile sans présenter de mandat d’arrêt ni d’autorisation de perquisition, immobilisent la jeune personne se trouvant à l’intérieur, qui ne cherche pourtant aucunement à les affronter, et au moment de partir - et parfois alors qu’elles se trouvent encore sur les lieux - procèdent à une exécution en tirant une ou deux balles dans une zone hautement vulnérable de l’anatomie de la victime, comme le thorax ou la tête. Ces représentants de l’État modifient ensuite la scène du crime, faisant croire qu’un affrontement a eu lieu, ou transfèrent le corps afin d’éviter une enquête, et justifient l’homicide en affirmant qu’il a résulté d’une « résistance à l’autorité ».

Ces exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité de l’État et dont Amnistie internationale a pu confirmer qu’elles étaient bien établies, sont largement dénoncées par les organisations internationales et les organisation de défense des droits humains depuis des années. En particulier, Michelle Bachelet, la haut-commissaire aux droits de l'homme des Nations unies, a recommandé la dissolution des Forces d’action spéciales (FAES) en raison de nombreuses allégations d’exécutions extrajudiciaires depuis leur création. La mission d'établissement des faits des Nations unies au Venezuela a déterminé dans son premier rapport que : « les exécutions extrajudiciaires [perpétrées par les FAES et le groupe d’enquêtes judiciaires scientifiques] ne sont pas des actes isolés, commis par des individus agissant seuls. Certaines informations attestent qu’il s’agit d’une pratique concertée, consistant à tuer des personnes ayant des casiers judiciaires alors même qu’elles n’opposaient aucune résistance durant leur arrestation, afin d’afficher des "résultats" dans le cadre de la lutte contre la délinquance ». Cette mission a déterminé qu’entre 2014 et 2020, le Venezuela avait une « politique de lutte contre le crime prenant notamment la forme de l’élimination de personnes perçues comme des "délinquants", par le biais d’exécutions extrajudiciaires ».

Pour en savoir plus :

Venezuela. Impunity in the face of lethal policy of social control (rapport, 18 février 2021) http://www.amnesty.org/fr/documents/amr53/3632/2021/en/

Dying before a judge: The arbitrary detention, enforced disappearance, torture and death of Rafael Acosta Arévalo (rapport, 4 septembre 2020) www.amnesty.org/fr/documents/amr53/2909/2020/en/

Hunger for justice: Crimes against humanity in Venezuela (recherche, 14 mai 2019)

www.amnesty.org/fr/documents/amr53/0222/2019/en/

 'This is no way to live': Public security and the right to life in Venezuela (Recherche, 20 septembre 2018) www.amnesty.org/fr/documents/amr53/8975/2018/en/