Guinée | La récente libération de prisonniers ne doit pas faire oublier le maintien en détention de près de 60 autres depuis la période électorale
- La décision de non-lieu pour 40 détenus décrispe l’espace civique
- Des opposants politiques renvoyés devant le tribunal
- Le militant pro-démocratie Oumar Sylla doit être libéré
La décision de non-lieu ou de renvoi en procès concernant 97 personnes en détention provisoire depuis leur arrestation dans le contexte de la contestation de l’élection présidentielle d’octobre dernier est un pas positif vers le respect des libertés et des principes de procès équitable en Guinée, a déclaré Amnistie internationale jeudi 8 juillet 2021.
« Nous saluons l’avancée des procédures concernant les personnes arrêtées pendant la période électorale. C’est un pas positif pouvant contribuer à la décrispation de l’espace civique, caractérisé depuis le début de la période électorale par des arrestations arbitraires d’opposants et d’activistes, et une répression de presque toutes leurs manifestations », a déclaré Samira Daoud, directrice régionale d’Amnistie internationale pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale.
Une ordonnance de renvoi datée du 29 avril 2021, consultée par Amnistie internationale, a acté la libération de 40 personnes à la suite d’un non-lieu, sur un total de 97 en détention provisoire depuis octobre dernier pour différents chefs d’inculpation en lien avec des discours ou des actions prises durant la période électorale. Les 57 autres détenus ont été renvoyés devant le tribunal de Dixinn dans la capitale Conakry pour être jugés.
Par ailleurs, une grâce présidentielle a été accordée les 18 et 22 juin, à quatre personnes, dont trois s’opposaient au troisième mandat du président Alpha Condé. Il s’agit de Mamadi Condé, Souleymane Condé et Youssouf Diabaté. Leur libération intervient à la suite de demandes de pardon qu’elles ont exprimées après plusieurs mois de détention.
« Ces libérations ne doivent néanmoins pas faire oublier que des dizaines d’autres personnes sont en détention provisoire depuis plus de sept mois, dont des opposants politiques, et qu’un activiste pro-démocratie, Oumar Sylla, est détenu arbitrairement, simplement pour s’être exprimé. Ce dernier doit être libéré immédiatement et sans conditions, tandis que les autres personnes doivent être jugées sans délai selon des procédures justes et équitables, ou libérées », a déclaré Samira Daoud.
Parmi les personnes renvoyées devant le tribunal de Dixinn pour être jugées, se trouvent quatre responsables de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG, opposition), Ibrahima Chérif Bah, Ousmane « Gaoual » Diallo, Mamadou Cellou Balde et Abdoulaye Bah, ainsi qu’Etienne Soropogui, président du mouvement politique allié Nos valeurs communes. Amadou Djouldé Diallo, membre de la cellule de communication de l’UFDG, a lui aussi été renvoyé devant le tribunal.
Selon l’ordonnance de renvoi, les charges pour « meurtre et complicité de meurtre » ont été abandonnées contre eux mais ils sont inculpés chacun pour tout ou partie des charges suivantes : « atteinte aux institutions de la république », « trouble à l’État par la dévastation et le pillage », « participation à un mouvement insurrectionnel », « menace de violence ou de mort par le biais d’un système d’information », et « production, diffusion et mise à disposition d’autres de données de nature à troubler l’ordre public ou la sécurité publique. »
« Aucune date d’audience n’a encore été fixée, des visites leur ont été refusées, leur mandat de dépôt, arrivé à expiration, n’a pas été renouvelé, en violation du Code de procédure pénal », a déclaré à Amnistie internationale l’un des avocats du collectif de la défense.
Ce collectif avait annoncé en février 2021 la suspension de sa participation à la procédure, au motif du « caractère fallacieux des chefs d’inculpation, des détentions arbitraires prolongées, et de la violation répétée et intolérable des droits de la défense. »
Également parmi les 57 personnes renvoyées devant le tribunal, huit le sont pour l’attaque d’un train de la compagnie minière russe Rusal, le 23 octobre 2020 à Sonfonia (Conakry), au cours de laquelle quatre agents des services de défense et de sécurité ont trouvé la mort.
Le militant pro-démocratie du Front national pour la défense de la constitution (FNDC) Oumar Sylla, demeure en détention arbitraire depuis bientôt 10 mois. Arrêté le 29 septembre 2020 à Conakry alors qu’il s’apprêtait à participer à une manifestation organisée par le FNDC pour protester contre la candidature du président Alpha Condé à un troisième mandat, il a été condamné lors de son procès en appel le 10 juin 2021 à trois ans de prison ferme pour « communication et divulgation de fausses informations, menaces notamment de violences ou de mort ».
Après trois mois de détention provisoire, Oumar Sylla avait entamé une grève de la faim le 25 décembre 2020 pour exiger la tenue de son procès.
« Les autorités doivent immédiatement et sans conditions libérer Oumar Sylla, ainsi que toutes les personnes arbitrairement détenues pour avoir voulu exercer leur droit à la liberté d’expression », a déclaré Samira Daoud.
La santé d’au moins quatre détenus menacée
Parmi les cinq responsables de l’UFDG et de Nos valeurs communes détenus, Ibrahima Chérif Bah, 73 ans, Abdoulaye Bah, et Ousmane « Gaoual Diallo », ont été hospitalisés ces derniers mois pour des problèmes de santé, tandis que Ismaël Condé, autre opposant en détention, a été admis à l’hôpital après s’être « volontairement ébouillanté le visage et le torse avec de l’eau chaude, » selon le ministère de la Justice.
Selon des membres de la famille de Ibrahima Chérif Bah – détenu depuis le 30 novembre 2020 - contactés par Amnistie internationale, une évacuation d’urgence à l’étranger lui a été refusée, bien qu’il ait « des difficultés à suivre son traitement car il est compliqué de lui faire parvenir ses médicaments en raison des restrictions de voyages. »
Le ministère de la Justice avait annoncé le 20 avril 2021 son admission à l’hôpital, en rapportant que son état avait été jugé « médicalement stable » par « une équipe médicale composée d’éminents cardiologues. »
Amnistie internationale s’associe à l’appel formulé le 25 mars 2021 par la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, demandant aux autorités d’examiner les moyens de libérer les personnes particulièrement vulnérables à la COVID-19, notamment les détenus les plus âgés et ceux malades.
Entre décembre 2020 et janvier 2021, Amnistie internationale avait documenté et communiqué sur la mort de quatre personnes, dont trois militants ou sympathisants de l’UFDG, pendant leur détention provisoire à la prison centrale de Conakry.
Des pressions et menaces continuent par ailleurs d’être exercées contre des opposants politiques.
Le président et l’un des vice-présidents de l’UFDG ont ainsi été interdits de sortie du territoire à plusieurs reprises, et le passeport du président du parti a été confisqué par les autorités sans base légale, en violation de leur droit à la liberté de mouvement.
Morlaye Sylla, militant de l’UFDG en Guinée-Bissau, a reçu en 2019, 2020 et 2021 des menaces de mort de la part d’un responsable de l’ambassade de Guinée et d’un proche du consul dans ce pays, en raison de ses activités politiques et de ses publications critiques envers le pouvoir.
En dépit d’une plainte déposée en 2020 à la police judicaire de Bissau suite à une agression, le militant a déclaré à Amnistie internationale qu’aucune suite n’a été donnée à ses alertes jusqu’à présent. Amnistie internationale appelle les autorités bissau-guinéennes à prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit à la liberté d’expression, et faire cesser ces menaces.
Complément d’information
Après les violences consécutives à la tenue de l’élection présidentielle contestée du 18 octobre 2020, le procureur général de la Cour d’appel de Conakry avait annoncé le 31 octobre 2020 l’interpellation de 325 personnes. D’autres avaient ensuite été arrêtées au mois de novembre, dont plusieurs membres de l’UFDG et de Nos valeurs communes.
Une semaine après l’élection présidentielle organisée dans un contexte de répression du droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique, Amnistie internationale avait conclu à des tirs à balles réelles sur des passants et des protestataires à Conakry la capitale et Labé au nord du pays, par les forces de défense et de sécurité.