États-Unis | Le système législatif fédéral et des États fédérés doit protéger l’accès à l’avortement face à l’interdiction extrêmement restrictive adoptée au Texas
Le Congrès des États-Unis doit protéger l’accès à l’avortement dans la législation fédérale, et les législateurs et législatrices au Texas doivent annuler l’interdiction extrêmement restrictive (Loi texane SB8) qui va avoir des répercussions désastreuses dans cet État sur la santé sexuelle et reproductive et sur les droits fondamentaux des femmes, des filles et des autres personnes qui peuvent avoir une grossesse, a déclaré Amnistie internationale le 15 septembre.
« Cette interdiction met gravement en danger des vies en sanctionnant pénalement la fourniture de soins de santé essentiels. En interdisant de façon arbitraire au personnel soignant de procéder à une interruption de grossesse après six semaines de grossesse, cette loi interdit de fait aux femmes et aux filles d’avorter avant même qu’elles n’aient pu réaliser qu’elles sont enceintes. Cette loi, qui remet en cause plusieurs décennies de décisions protectrices du bien-être et des droits, doit être condamnée catégoriquement. Les législateurs et législatrices au Texas doivent abroger cette loi lamentable et concentrer leurs efforts sur la fourniture d’une aide, et non d’une punition, aux femmes, aux filles et aux autres personnes enceintes, a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnistie internationale.
« Amnistie internationale est extrêmement préoccupée par le fait que cette interdiction va avoir des effets catastrophiques sur l’accès à l’avortement au Texas, et aussi par le fait qu’elle représente un dangereux précédent que d’autres États pourraient suivre. Elle s’inscrit dans le cadre de la stratégie à long terme des opposant·e·s à l’avortement et prive les femmes, les filles et les autres personnes qui peuvent avoir une grossesse de leur autonomie reproductive et de leurs droits sexuels et reproductifs. Face à cette menace, le Congrès doit de toute urgence prendre les mesures nécessaires pour protéger l’accès à l’avortement dans la législation fédérale. »
Dans une décision rendue par cinq voix contre quatre, la Cour suprême fédérale des États-Unis a refusé de bloquer l’application de la loi texane sur l’avortement, indiquant que sa décision était fondée sur des motifs de procédure et non sur la constitutionnalité de la loi, et que d’autres recours pouvaient être engagés. Cette loi texane est à présent la loi la plus restrictive du pays en matière d’avortement. L’interdiction entre en vigueur à un moment crucial, alors que la Cour suprême s’apprête à examiner une autre affaire d’importance majeure portant sur la question de l’avortement.
Ce refus de la Cour suprême des États-Unis d’intervenir représente un dangereux précédent que les opposant·e·s à l’avortement vont exploiter dans d’autres États pour contourner l’arrêt Roe c. Wade de la Cour suprême, qui garantit le droit à l’accès à un avortement sûr et légal.
Une interdiction presque totale de l’avortement
La loi interdit d’avorter dès six semaines de grossesse, avant même que la plupart des personnes concernées n’apprennent qu’elles sont enceintes.
Elle comporte en outre une disposition sans précédent qui permet à tout·e citoyen·ne d’engager des poursuites pour faire appliquer cette interdiction. Elle prévoit une indemnité financière de 10 000 USD assortie des dépens pour tout·e citoyen·ne qui remporte une action en justice contre des personnes qui fournissent un service d’avortement ou qui ont « prêté assistance » à une personne pour qu’elle obtienne un avortement après six semaines de grossesse.
Cela signifie que les centres de santé et leur personnel risquent d’être poursuivis en justice, tout comme les membres de la famille ou les amis des personnes ayant subi cette intervention, ainsi que toute personne qui emmène en véhicule dans un centre de santé une personne voulant obtenir un avortement, qui lui apporte une aide financière ou des conseils, voire même qui « a l’intention » de prendre une de ces initiatives. En effet, le corps législatif du Texas a confié aux citoyen·ne·s un rôle de chasseurs de prime, leur offrant une récompense en espèces quand ils engagent des poursuites judiciaires au civil pour punir leurs voisins s’ils subissent cette intervention médicale.
« En autorisant des particuliers à engager des poursuites judiciaires contre toute personne qui se rend « complice » d’un avortement après six semaines de grossesse, la loi sanctionne les médecins, les militant·e·s des droits à l’avortement, les membres des familles et les amis, entre autres, qui apportent une aide à des femmes, des filles et d’autres personnes qui veulent obtenir un avortement. Elle génère également un climat de peur et d’intimidation en encourageant les citoyen·ne·s à contrôler les droits d’autrui en contrepartie d’une récompense financière », a déclaré Agnès Callamard.
Les États-Unis reviennent sur les droits à l’avortement
Ces 25 dernières années, plus de 50 pays ont modifié leur législation pour faciliter l’accès à l’avortement, en reconnaissant parfois le rôle essentiel de l’accès à un avortement sûr pour la protection de la vie, de la santé et des droits fondamentaux des femmes, des filles et de toutes les autres personnes qui peuvent avoir une grossesse.
« Alors que, ces dernières années, des pays comme l’Argentine et l’Irlande ont réalisé des avancées historiques dans le domaine de la protection des droits sexuels et reproductifs des femmes en dépénalisant l’avortement, et alors qu’au Mexique la Cour suprême a rendu le 7 septembre un arrêt progressiste, les États-Unis font marche arrière », a déclaré Agnès Callamard.
Depuis qu’en 1973 la Cour suprême a décidé que l’avortement était légal, dans l’affaire Roe c. Wade, les responsables politiques et les militant·e·s anti-choix s’efforcent de renverser cette décision en créant des obstacles financiers et logistiques qui rendent difficile voire impossible l’accès à l’avortement, malgré ce que prévoit la loi.
L’adoption par certains États d’interdictions radicales de l’avortement qui constituent de toute évidence une violation de l’arrêt Roe c. Wade représente la dernière manœuvre en date des militant·e·s anti-choix dans le cadre de la stratégie délibérée visant à porter ces affaires devant la Cour suprême des États-Unis, car ils espèrent qu’une Cour de plus en plus conservatrice finira pas saper ou même annuler l’arrêt Roe.
Les lois anti-avortement n’empêchent ni ne restreignent les avortements : elles ne font que les rendre dangereux. Les États-Unis ont le taux de mortalité maternelle le plus élevé de tous les pays développés ; les États dotés des lois sur l’avortement les plus restrictives présentent déjà des taux plus élevés de mortalité infantile et maternelle. C’est pourquoi ces nouvelles lois mèneront droit au désastre s’agissant de la santé des femmes.
Cette interdiction constitue une violation flagrante des droits humains
L’interdiction de l’avortement décidée par le Texas viole le droit d’accéder à un avortement sûr et légal, ainsi que d’autres droits humains reconnus internationalement tels que les droits à la vie, à la santé, au respect de la vie privée, et les droits de ne pas subir de discriminations, de violences, d’actes de torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
L’accès à l’avortement est un droit humain et il est essentiel pour la protection et la promotion de l’ensemble des droits fondamentaux des femmes, des filles et des autres personnes pouvant avoir une grossesse. Le fait d'être en mesure de contrôler sa capacité de procréer et d'exercer son autonomie reproductive a une incidence sur tous les aspects de la vie des femmes, des filles et de toutes les personnes pouvant être enceintes. Les mesures visant à réprimer pénalement, à restreindre et à empêcher de toute autre manière l’accès à un avortement sûr ont des effets en cascade sur l'existence des gens et sur leur qualité de vie. Forcer une personne à poursuivre une grossesse non désirée ou la forcer à se faire avorter dans des conditions dangereuses constitue une atteinte à ses droits humains, notamment à ses droits à l’égalité, au respect de la vie privée et à l’autonomie corporelle.
Le droit international relatif aux droits humains et les normes connexes évoluent et reconnaissent de façon croissante que l’avortement fait intégralement partie des soins de santé sexuels et reproductifs, qui sont essentiels pour la réalisation de l’autonomie reproductive des personnes et de l’ensemble de leurs droits fondamentaux. Les experts indépendants et les organes de défense des droits humains de l’ONU considèrent également que l’accès à l’avortement est essentiel pour garantir l’égalité des genres ainsi que la justice sociale et économique, et critiquent les lois sur l’avortement qui restreignent et sape les droits des personnes enceintes de prendre des décisions de façon autonome. Le Comité des droits économiques, sociaux et culturels a ainsi explicitement précisé qu’un accès accru à l'avortement, ainsi qu'aux autres services de santé sexuelle et reproductive, fait partie de l'obligation qui incombe aux États de respecter le droit des femmes de prendre des décisions autonomes concernant leur santé. Les experts de l'ONU ont également souligné que les lois et politiques restrictives en matière d’avortement enfreignent le droit relatif aux droits humains et privent en outre les femmes de toute autonomie dans la prise de décisions concernant leur propre corps.
« La seule personne qui devrait être habilitée à prendre des décisions sur une grossesse est la personne enceinte. Or, cette interdiction la prive de la capacité de le faire. Au lieu d’essayer de contrôler le corps des gens, les autorités devraient protéger les droits des femmes, des filles et des autres personnes, notamment leur droit à l’avortement », a déclaré Agnès Callamard.
Elle a un impact disproportionné sur les personnes à faibles revenus et sur celles qui fournissent un service d’avortement
L’interdiction de l’avortement décidée par le Texas touche directement sept millions de femmes en âge de procréer au Texas. Mais elle a des effets disproportionnés sur les personnes à faibles revenus, y compris les personnes adolescentes, de couleur, migrantes ou réfugiées, qui ont déjà des difficultés à accéder aux soins de santé.
Les centres de santé qui pratiquent l’avortement au Texas ne vont plus pouvoir procéder à des interruptions de grossesse au-delà des six semaines de grossesse, et elles travailleront sous la menace de représailles, car elles sont prises pour cible même lorsqu’elles sont « soupçonnées » d’avoir violé la nouvelle interdiction. Selon des prestataires et des défenseur·e·s des droits à l’avortement, ce texte interdit de fait 85 % des avortements actuellement demandés au Texas.
Le Guttmacher Institute a indiqué qu’en moyenne, la distance pour un aller simple jusqu’à un lieu où il est possible d’obtenir un avortement en dehors de cet État va désormais être multipliée par 20. Cela implique également un accroissement des coûts et du temps nécessaires, ce qui entraîne d’importants délais pour les personnes qui ne peuvent pas facilement payer le trajet en raison d’obstacles financiers ou autres.
Cette loi va entraîner des frais de justice accrus pour les centres de santé, car ils doivent engager des avocat·e·s pour défendre leur personnel face aux poursuites judiciaires auxquelles ils s’attendent. S’ils perdent leur procès, ils doivent payer les frais de justice engagés par les personnes qui les ont poursuivis, et l’État peut en outre fermer leur établissement. S’ils gagnent, la loi les empêche de récupérer leurs propres frais de justice. La plupart des centres de santé vont probablement cesser de fournir des services d’avortement par crainte de telles actions judiciaires, et l’accès à l’avortement va de ce fait être très fortement restreint.
L’accès à l’avortement avait déjà été limité au Texas en raison de la Loi HB2 adoptée en 2013, qui avait considérablement accru les exigences administratives pour les centres de santé fournissant des services d’avortement. À cause de cette loi, la moitié des centres de santé pratiquant des avortements ont fermé et n’ont jamais rouvert, même après l’arrêt de la Cour suprême de 2016 la jugeant inconstitutionnelle.