Égypte | Douze dissidents risquent d’être exécutés, tandis que les forces de sécurité jouissent d’une totale impunité pour le massacre de Rabaa
Les autorités égyptiennes n’ont pas amené un seul membre des forces de sécurité à rendre des comptes pour le massacre d’au moins 900 personnes lors de la dispersion violente des sit-ins organisés places Rabaa al Adawiya et al Nahda, a déclaré Amnistie internationale le 13 août 2021, à la veille du huitième anniversaire de ces événements. Douze hommes risquent d’être exécutés de manière imminente et des centaines d’autres purgent de lourdes peines de prison en raison de leur participation aux manifestations, ce qui illustre les priorités biaisées du soi-disant système judiciaire égyptien.
En juin 2021, la plus haute cour d’appel d’Égypte, la Cour de cassation, a confirmé les condamnations à mort prononcées contre les 12 hommes, dont de hauts responsables du mouvement des Frères musulmans, déclarés coupables à l’issue d’un procès collectif inique impliquant 739 personnes en 2018, dans le cadre de l’affaire dite « de la dispersion de Rabaa ». Leur exécution peut avoir lieu à tout moment, sans avertissement, car le président Abdel Fattah al Sissi a ratifié leurs sentences capitales définitives.
« Depuis huit ans, il apparaît de plus en plus clairement que les autorités égyptiennes souhaitent soustraire les forces de sécurité à toute obligation de rendre des comptes pour leur rôle dans le massacre de Rabaa. Elles préfèrent exercer leur vengeance sur les victimes, les familles des victimes et toute personne qui ose critiquer la difficile situation des droits humains dans l’Égypte d’aujourd’hui, a déclaré Lynn Maalouf, directrice adjointe pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnistie internationale.
« Les 12 hommes qui risquent d’être exécutés sont détenus dans des conditions cruelles et inhumaines, attendant leur mort, condamnés à l’issue d’un procès collectif manifestement inique et motivé par des considérations politiques. Nous engageons les autorités égyptiennes à annuler ces déclarations de culpabilité et ces condamnations à mort injustes. Elles doivent aussi prendre des mesures attendues de longue date pour traduire en justice les responsables présumés du massacre de Rabaa.
« Si cette impunité perdure, l’Égypte sera à jamais hantée par les terribles événements de cette journée. Au regard du climat général d’impunité, la communauté internationale doit aussi soutenir les efforts visant à instaurer un mécanisme de suivi de la situation des droits humains en Égypte au Conseil des droits de l’homme des Nations unies. »
Depuis leur arrestation entre 2013 et 2015, ces hommes sont détenus dans des conditions déplorables qui bafouent l’interdiction absolue de la torture et des mauvais traitements, et sont délibérément privés d’accès à des soins de santé adéquats. Certains n’ont pas été autorisés à recevoir des visites de leur famille pendant plus de cinq ans.
Parmi les prisonniers qui risquent d’être exécutés figure Mohamed el Beltagy, ancien parlementaire et leader du mouvement des Frères musulmans, détenu à l’isolement dans la tristement célèbre prison du Scorpion, au Caire, depuis qu’il a été arrêté en août 2013. Sa famille n’a pas été autorisée à lui rendre visite depuis 2016. Les autorités carcérales ont refusé que ses proches lui donnent une photo de sa fille Asmaa, âgée de 17 ans lorsqu’elle a été tuée au cours de la dispersion de la place Rabaa al Adawiya.
Les frères Mohamed et Mostafa Abdelhai Hussein al Faramawy partagent une petite cellule sombre et mal aérée, dépourvue de toilette, à la prison de Wadi el Natroun. Ils ont été arrêtés le 15 juillet 2013, un mois avant que les manifestants ne soient dispersés place Rabaa al Adawiya, et ont pourtant été condamnés à mort en raison de leur implication présumée.
Les autorités égyptiennes n’annoncent pas les exécutions prévues à l’avance, n’informent pas les familles et n’accordent pas de droits de visite d’adieu, en violation de la loi égyptienne, ce qui fait craindre que les exécutions n’aient lieu de manière imminente. Récemment, on a constaté une hausse alarmante du nombre d’exécutions recensées en Égypte – en 2020, le nombre d'exécutions a triplé comparé aux années précédentes. La vague d’exécutions s’est poursuivie en 2021, au moins 81 exécutions ayant été enregistrées depuis le début de l’année.
« Les autorités égyptiennes doivent mettre fin à cette utilisation impitoyable de la peine de mort contre des opposants politiques dans le but d’instiller la peur et de consolider leur mainmise sur le pouvoir. La communauté internationale doit intensifier sa pression publique afin de demander au président Abdel Fattah al Sissi de commuer ces condamnations à mort et de sauver la vie de ces hommes », a déclaré Lynn Maalouf.
Amnistie internationale s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception, quelles que soient la nature du crime commis, les caractéristiques de son auteur et la méthode d’exécution utilisée par l’État. La peine de mort est une violation du droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
Complément d’information
Ces 12 hommes ont été déclarés coupables de participation à des manifestations illégales, de l’homicide de sept membres des forces de sécurité et de 10 autres personnes, de tentative de meurtre et d’autres chefs d’accusation en lien avec leur participation au sit-in sur la place Rabaa al Adawiya, ainsi que lors d’autres manifestations et affrontements entre partisans et opposants de l’ancien président Mohamed Morsi, événements qui ont eu lieu entre le 21 juin et le 14 août 2013.
Tous les accusés ont été déclarés coupables de toutes les charges retenues contre eux, sans établir de responsabilité pénale individuelle. La procédure a été entachée de violations des droits constitutifs du droit à un procès équitable, notamment du droit à une défense adéquate, du droit de ne pas témoigner contre soi-même, du droit d'être jugé par un tribunal compétent, impartial et indépendant, du droit de citer et d’interroger des témoins et du droit à un véritable réexamen. En outre, les tribunaux n’ont pas ordonné d’enquête sur les allégations de certains accusés qui affirment avoir été victimes de disparitions forcées et d’actes de torture après leur arrestation.
Depuis la destitution de Mohamed Morsi en 2013, les autorités égyptiennes se livrent à une répression acharnée contre toutes les formes de dissidence. Elles ont arrêté des dizaines de milliers de détracteurs et d’opposants avérés ou présumés. Des milliers de personnes sont maintenues en détention arbitraire uniquement parce qu’elles ont exercé des droits garantis par le droit international, notamment les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique, ou sur la base de procès manifestement iniques, notamment des procès collectifs ou militaires. Des dizaines de personnes ont été exécutées à l’issue de procès manifestement iniques.