La décision décevante sur le Japon ne rend pas justice aux « femmes de réconfort »
Réagissant à la décision rendue ce mercredi 21 avril par un tribunal sud-coréen, qui a rejeté une action en justice engagée contre le gouvernement japonais pour obtenir le versement d’indemnités aux femmes et aux jeunes filles réduites en esclavage sexuel par l'armée japonaise avant et pendant la Seconde Guerre mondiale, Arnold Fang, chercheur sur l'Asie de l'Est à Amnistie internationale, a déclaré :
« La décision d’aujourd’hui est une déception majeure et ne rend pas justice aux dernières survivantes de ce système d’esclavage militaire, ni aux victimes qui ont subi ces atrocités avant et pendant la Seconde Guerre mondiale mais sont déjà décédées, ainsi qu’à leurs familles.
« Ce jugement est contraire à une décision rendue par le même tribunal en janvier, qui exigeait que le Japon reconnaisse la responsabilité juridique de cet esclavage sexuel systématique assimilable à des crimes contre l'humanité et à des crimes de guerre. Ce qui était une victoire historique pour les survivantes après une trop longue attente est aujourd’hui à nouveau remis en question.
« Plus de 70 ans ont passé depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, et nous ne saurions trop insister en soulignant qu’il est urgent que le gouvernement japonais cesse de priver ces survivantes de leur droit de bénéficier d’une réparation intégrale et d’un recours utile de leur vivant. Seules quatre des 10 survivantes qui ont engagé cette procédure en 2016 sont toujours en vie. »
Complément d’information
Le terme « femmes de réconfort » est un euphémisme utilisé pour désigner les quelque 200 000 femmes et filles – dont une grande proportion de Coréennes – qui ont été contraintes à travailler dans des maisons closes gérées par l'armée japonaise avant et pendant la Seconde Guerre mondiale.
Le jugement de ce jour a été une surprise pour beaucoup, car une autre chambre du tribunal central du district de Séoul avait rendu en janvier une autre décision condamnant le gouvernement japonais à indemniser les survivantes de ce système d’esclavage sexuel. Cette première décision avait été rendue dans le cadre d’une action en justice distincte engagée par 12 autres survivantes en 2016.
La décision d’aujourd’hui met fin à un procès également intenté en 2016 par 20 personnes, dont des survivantes de ces atrocités. La première audience avait eu lieu en novembre 2019 et Amnistie internationale avait adressé une communication aux juges. Le jugement est susceptible d’appel.
Ces 30 dernières années, des victimes vivant en Corée du Sud, à Taiwan, aux Philippines, en Chine et aux Pays-Bas ont engagé au total 10 procédures judiciaires contre le gouvernement japonais devant des tribunaux japonais. Cependant, les survivantes ont finalement perdu dans toutes ces affaires avant de gagner dans celle de janvier en Corée du Sud.
Selon les termes de la décision de justice du 8 janvier 2021, qui accordait des indemnités aux plaignantes, les victimes de ce système ont subi « des souffrances psychologiques et physiques extrêmes et inimaginables ». Le tribunal avait également statué : « même si les actes dans cette affaire étaient des actes souverains, l'immunité de l’État ne peut s’appliquer ».
Dans le cadre de cet esclavage sexuel systématique, des jeunes filles et des femmes ont été violées, frappées, torturées et tuées, et beaucoup se sont suicidées. Les survivantes ont souvent vécu une grande partie de leur vie dans l'isolement, l'humiliation, la honte, la stigmatisation et fréquemment l'extrême pauvreté.
Le jugement d’aujourd’hui renforce la position du Japon, qui soutient que l’accord bilatéral conclu avec l’ancien gouvernement sud-coréen en 2015 a réglé la question de manière « irréversible » et que le principe de la souveraineté des États le protège de telles demandes devant des tribunaux étrangers. Toutefois, cet accord ne reconnaît pas les violations du droit relatif aux droits humains commises par le Japon ni aucune responsabilité juridique. Les victimes ont également déploré le fait qu'il ne contienne pas de véritables excuses et qu'il ait été négocié sans leur pleine participation.
Dans son rapport de 2005 intitulé Soixante ans après, les survivantes du système japonais d’esclavage sexuel exercé par l’armée continuent de réclamer justice, Amnistie internationale a recommandé aux États dont sont issues les survivantes de « promulguer des lois qui permettraient aux rescapées d’attaquer le Japon devant leurs tribunaux nationaux ».
Elle leur a également demandé de veiller à ce que ces lois interdisent toute immunité d'État pour des violations du droit international relatif aux droits humains et du droit international humanitaire.