Cameroun. Un an après la répression de manifestations, l’intransigeance continue
Les autorités du Cameroun devraient s’assurer que les responsabilités soient établies à l’égard de la répression menée en septembre 2020 par leurs forces de sécurité contre des dirigeants et partisans de l’opposition et des manifestants pacifiques, ont déclaré aujourd’hui Amnistie internationale et Human Rights Watch. Elles devraient remettre en liberté, immédiatement et sans conditions, toutes les personnes arrêtées pour avoir exprimé leur point de vue politique ou pour avoir exercé leur droit à la liberté de réunion pacifique, et mettre fin à la campagne de répression contre les manifestants pacifiques et les détracteurs du gouvernement.
« En septembre dernier, des Camerounais ont courageusement contesté les actions de leur gouvernement, qui a réagi avec violence et mépris », a déclaré Ilaria Allegrozzi, chercheuse senior sur l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Un an plus tard, la répression continue, des manifestations sont encore interdites et des manifestants pacifiques sont toujours en prison. »
Le 22 septembre 2020, les forces de sécurité du Cameroun ont tiré des gaz lacrymogènes et actionné des canons à eau pour disperser des manifestations pacifiques dans tout le pays. Elles ont arrêté plus de 500 personnes, pour la plupart des membres et sympathisants des partis d’opposition. Les autorités ont passé à tabac de nombreuses personnes lors de ces arrestations, ainsi que lors de leur détention.
Ces manifestations avaient été organisées après qu’un parti d’opposition, le Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), d’autres partis d’opposition et des organisations de la société civile, eurent lancé des appels à descendre dans les rues pour protester contre la décision du gouvernement d’organiser des élections régionales. Les partis d’opposition avaient exprimé leur préoccupation, estimant que ces élections ne pourraient pas se tenir de manière libre et équitable sans une réforme préalable du code électoral et sans que soit réglé le problème du manque de sécurité dans les régions anglophones du pays.
Le chef du MRC, Maurice Kamto, a été arrêté en janvier 2019 à la suite de manifestations pacifiques qui s’étaient déroulées dans tout le pays, avant d’être remis en liberté en vertu d’un décret présidentiel en octobre 2019. Il a été de nouveau arrêté le 20 septembre 2020 et de facto assigné à résidence jusqu’au 8 décembre, avec un fort déploiement de personnels de sécurité devant son domicile. Les autorités n’ont jamais inculpé Kamto, ni fourni d’explication pour sa mise en résidence surveillée.
Selon un collectif d’avocats du MRC, au moins 124 membres et sympathisants du parti, dont deux de ses dirigeants les plus en vue, Olivier Bibou Nissack et Alain Fogue Tedom, sont toujours détenus arbitrairement à Yaoundé, la capitale du Cameroun ; à Douala, dans la région du Littoral ; à Bafoussam, dans l’Ouest, et à Mfou, dans le Centre. En tout, 116 de ces personnes doivent comparaître devant des tribunaux militaires, pour répondre de chefs d’accusation liés à leur participation à des manifestations ou à leur activisme. Huit autres ont été condamnées par un tribunal civil pour des accusations similaires et purgent actuellement des peines de deux ans de prison.
Le 3 août, le procureur du tribunal militaire de Yaoundé a rejeté une plainte déposée le 13 janvier par les avocats d’Alain Fogue Tedom, dans laquelle ils affirmaient qu’il avait été torturé lors de sa détention, entre le 22 septembre et le 3 novembre 2020, au Secrétariat d’État à la défense (SED), qui sert de centre de détention à Yaoundé. Human Rights Watch a documenté le recours régulier à la torture dans des locaux du SED.
« Il est désormais clair que des civils ne peuvent pas bénéficier d’un procès équitable devant les tribunaux militaires, qui ne sont pas indépendants », a déclaré à Human Rights Watch une avocate camerounaise spécialisée dans les questions de droits humains, Michelle Ndoki. « Le recours aux tribunaux militaires pour juger des civils constitue une violation du droit international et le Cameroun devrait abandonner une fois pour toutes cette pratique inquiétante. »
Dans une déclaration le 9 septembre 2021, le collectif d’avocats du MRC a annoncé son « retrait des procédures en cours », car il ne pouvait « s’associer à l’arbitraire et à l’illégalité. » Dans une déclaration distincte, diffusée le même jour, les 124 détenus, se définissant comme les « otages politiques de Paul Biya » (le président du Cameroun), ont annoncé qu’ils refuseraient à l’avenir de comparaître devant les tribunaux camerounais car ils ne veulent pas se prêter à « une parodie de justice ».
Lors d’un autre incident, le 18 septembre 2020, des gendarmes ont arrêté quatre membres du collectif de la société civile Stand Up for Cameroon, qui avaient participé à une réunion au siège du parti d’opposition Cameroon People’s Party à Douala. Un an plus tard, ils sont toujours détenus arbitrairement à la prison New Bell de Douala, en attente de leur procès devant un tribunal militaire, sous les inculpations de tentative de complot, de révolution et d’insurrection. Le 15 septembre, le tribunal militaire de Douala a reporté pour la sixième fois l’ouverture du procès, au 13 octobre.
Les autorités camerounaises n’ont pas ouvert d’enquête sur les violations commises par les forces de sécurité et par d’autres agents du gouvernement lors de la répression de septembre 2020, et personne n’a été amené à rendre des comptes.
En fait, la répression par le gouvernement de l’opposition et de la contestation se poursuit. Les autorités ont interdit une manifestation du MRC qui était prévue pour le 25 juillet à Yaoundé, invoquant des préoccupations relatives à la pandémie de COVID-19 et au maintien de l’ordre public. Mais le même jour, une manifestation de partisans du parti au pouvoir a pu se dérouler à Bertoua, dans la région de l’Est.
Le 9 août, des gendarmes ont arbitrairement arrêté Rebecca Enonchong, une éminente entrepreneure dans le domaine technologique qui a souvent critiqué le président Biya, à Douala. Elle a été gardée à vue pour « outrage à magistrat » jusqu’au 13 août, avant d’être remise en liberté et la procédure a été classée sans suite. Elle avait précédemment soutenu des campagnes en faveur des droits humains et dénoncé les violations commises par les forces gouvernementales.
L'Union européenne a affirmé que « les droits civils et politiques continuent de faire l’objet de restrictions » au Cameroun, dans une déclaration devant le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies le 14 septembre.
« Un an après avoir violemment étouffé des manifestations pacifiques, les autorités camerounaises continuent de recourir à leurs vieilles tactiques répressives », a déclaré Fabien Offner, chercheur sur l’Afrique centrale à Amnistie internationale. « L’Union africaine, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, la Communauté économique des États d’Afrique centrale et les autres partenaires régionaux et internationaux du Cameroun devraient insister auprès du gouvernement pour qu’il fasse en sorte que des comptes soient rendus pour les violations commises par ses forces de sécurité, et exiger la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes détenues arbitrairement et le respect des libertés d’expression et de réunion pacifique. »