• 4 Aoû 2020
  • États-Unis
  • Communiqué de presse

Un nouveau rapport expose les violations des droits des manifestant·e·s Black Lives Matter par les forces de l’ordre

Amnistie internationale États-Unis a recensé 125 cas de violences policières perpétrées contre des manifestant·e·s, des soignant·e·s, des journalistes et des observateurs·trices dans 40 États et dans le district de Columbia pendant le mouvement de contestation en mai et en juin.

Alors que les manifestations Black Lives Matter pourraient bien devenir le plus grand mouvement social de l’histoire américaine, le rapport relate l’expérience de plus de 50 personnes touchées par les violences policières.

Ce mardi 4 août, Amnistie internationale États-Unis publie un rapport faisant état de violations graves et généralisées des droits humains commises par des policiers contre des manifestant·e·s, des soignant·e·s, des journalistes et des observateurs·trices qui se sont rassemblés pour dénoncer les homicides illégaux de personnes noires par la police et pour réclamer une réforme structurelle, pendant les mois de mai et juin 2020. Intitulé The World is Watching: Mass Violations by US Police of Black Lives Matter Protesters’ Rights, ce rapport s’appuie sur la carte interactive créée par Amnistie internationale ainsi que sur de nouvelles informations faisant état du recours à une force meurtrière par la police. Il s’agit de l’analyse la plus complète réalisée à ce jour sur les violences policières visant des manifestant·e·s sous l’angle des droits humains. 

Le rapport est le fruit de plus de 50 entretiens conduits par Amnistie internationale États-Unis en juin 2020, révélant ce qu’ont vécu des gens dans le contexte des manifestations déclenchées par l’homicide de Georges Floyd. Il contient également des recommandations adressées aux organes chargés de faire respecter la loi à l’échelon local, des États et fédéral, aux représentant·e·s du gouvernement et aux membres du Congrès, afin qu’ils respectent les bonnes pratiques rédigées par la section américaine pour assurer le maintien de l’ordre pendant les manifestations ; qu’ils amènent les forces de l’ordre à rendre des comptes pour les violations des droits humains commises contre des manifestant·e·s, des soignant·e·s, des journalistes et des observateurs·trices ; et qu’ils adoptent des lois et des réglementations pour garantir le droit de manifester pacifiquement.

« L’usage injustifié et parfois excessif de la force dont se sont rendus responsables des policiers contre des manifestant·e·s met en évidence le racisme et l’impunité structurels que justement ces hommes et ces femmes entendaient dénoncer en descendant dans la rue. Les recherches menées montrent que des personnes qui ne faisaient qu’exercer leur droit à manifester pacifiquement ont été réprimées avec une telle violence qu’elles ont parfois perdu la vue, été violemment frappées, prises de convulsions ou gravement blessées », a déclaré Ernest Coverson, responsable de la campagne Halte à la violence armée d’Amnistie internationale États-Unis.

« Le gouvernement de Donald Trump renforce désormais les interventions de type militaire à l’encontre des manifestant·e·s, le ministre de la Justice William Barr défendant le recours à l’armée fédérale à Portland et menaçant de déployer d’autres agents dans d’autres villes. Les actions du Président Trump représentent une dérive dangereuse vers l’autoritarisme, et doivent cesser immédiatement. Il faut que le pays adopte une approche complètement différente du maintien de l’ordre pendant les manifestations à l’échelon local, des États et fédéral », a déclaré Justin Mazzola, chercheur à Amnistie internationale États-Unis.

 

Recours injustifié à la force

Les forces de l’ordre ont fait usage à plusieurs reprises de la force physique, de substances irritantes telles que le gaz lacrymogène et le gaz poivre, ainsi que de projectiles à impact cinétique, et ce comme tactique principale d’intervention contre des manifestant·e·s pacifiques et non comme un moyen de répondre à des menaces ou violences réelles. Des violations des droits ont également eu lieu lors de l’arrestation et du placement en détention de personnes. L’utilisation de gaz lacrymogène pendant la pandémie de COVID-19 est particulièrement irresponsable. Alors que des personnes étaient descendues dans la rue pour manifester, en portant un masque et en tentant de respecter les mesures de distanciation sociale, des policiers ont tiré du gaz lacrymogène et du gaz poivre, multipliant les risques de complications respiratoires et de libération dans l’atmosphère de particules aéroportées susceptibles de propager le virus.

Entre le 26 mai et le 5 juin 2020, Amnistie internationale États-Unis a recueilli des informations sur au moins six cas d’utilisation de matraques par des policiers et 13 cas de tir de projectiles à impact cinétique (balles en éponge et en caoutchouc) dans 13 villes américaines. La section américaine a également recensé de très nombreuses situations où du gaz lacrymogène et du gaz poivre ont été pulvérisés de façon injustifiée et en premier recours pour disperser des groupes de manifestant·e·s pacifiques : 89 cas d’utilisation de gaz lacrymogène dans les villes de 34 États, et 21 cas d’utilisation illégale de gaz poivre dans 15 États et dans le district de Columbia. Ces méthodes d’intervention, excessives et injustifiées, ont également été employées par les forces de l’ordre pour cibler des soignant·e·s, des observateurs·trices et des représentant·e·s des médias.

Témoignage de Danielle Meehan, infirmière en soins intensifs, qui s’est occupée d’une étudiante de 26 ans, Aubreanna Inda, touchée à la poitrine par une grenade assourdissante à Seattle : 
« Aubreanna m’a dit avoir l’impression de mourir. Son pouls a disparu à trois ou quatre reprises après que mes collègues et moi-même l’avons prise en charge, et nous l’avons réanimée à chaque fois.»

Témoignage de Lizzie Horne, une manifestante qui suit des études rabbiniques, qui a été aspergée de gaz poivre et de gaz lacrymogène alors qu’elle s’était retrouvée piégée avec de nombreux autres manifestant·e·s sur l’accotement d’une voie rapide à Philadelphie : « Sans crier gare, ils ont commencé à asperger la foule de gaz poivre […] puis de gaz lacrymogène. Un homme qui se trouvait en première ligne a été touché à la tête par une grenade lacrymogène et s’est mis à rebrousser chemin en courant. Nous avons tenté de lui venir en aide, en lui aspergeant les yeux avec de l’eau, puis il s’est évanoui et a commencé à faire une crise. »

Témoignage d’Elena Thoman (17 ans), qui a été aspergée de gaz lacrymogène par la police à Denver : « Au début, c’est un peu comme si on épluchait des oignons, puis cela s’amplifie au point que la peau brûle… J’avais de nombreuses brûlures sur la peau, et j’ai eu mal pendant une heure. Le gaz lacrymogène m’a également beaucoup fait tousser ; j’ai dû enlever mon masque car il en était plein… alors qu’il y a la COVID-19. »

Témoignage d’Ed Ou, photographe de presse travaillant pour NBC News, attaqué avec d’autres journalistes par des policiers à Minneapolis : « Ils ont eu suffisamment de temps pour secouer leurs bombes de gaz poivre et le pulvériser alors que nous ne cessions de crier : “Presse, presse !” » Le groupe de journalistes a été encerclé et repoussé dans une voie sans issue, dans l’impossibilité de fuir alors que des policiers les frappaient à coups de matraque et lançaient des grenades, du gaz lacrymogène et du gaz poivre dans leur direction. Ed Ou saignait à la tête. À plusieurs reprises, il a demandé de l’aide, mais plusieurs agents des forces de l’ordre sont passés devant lui sans lui prêter assistance. Il a été soigné dans un hôpital situé à proximité ; sa blessure à la tête a nécessité quatre points de suture. « J’ai passé la plus grande partie de ma carrière dans des lieux où je devais dissimuler ma profession et faire attention à qui j’en parlais. S’il y a bien un lieu où je devrais pouvoir dire que je suis journaliste, c’est ici. »

Témoignage de Jack*, observateur, frappé par la police à Chicago : « Trois ou quatre agents qui se trouvaient derrière moi m’ont poussé contre un muret et jeté par-dessus, je suis tombé sur le dos de l’autre côté, sur une rampe d’accès pour personnes en fauteuil roulant, j’ai perdu mon chapeau. J’ai essayé de voir où j’étais quand trois ou quatre autres agents se sont mis à me donner des coups de matraque. Un autre manifestant a tenté de les arrêter, mais ils l’ont frappé. “C’est un observateur”, criaient les gens. J’étais recroquevillé sur le sol, tentant de me protéger, et je leur disais : “Je ne résiste pas, je ne résiste pas.” »

* Son nom a été modifié afin de préserver son anonymat.

 

Recommandations relatives au maintien de l’ordre pendant les manifestations

Amnistie internationale États-Unis demande au Congrès d’adopter la loi de 2020 relative à la protection des manifestant·e·s (H.R. 7315). La section demande également à l’ensemble des organes chargés de faire respecter la loi de réviser les lignes de conduite et les pratiques qu’ils appliquent pour maintenir l’ordre lors des manifestations, et de se conformer aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment au Code de conduite des Nations unies pour les responsables de l’application des lois et aux Principes de base des Nations unies sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois, principes directeurs qui doivent sous-tendre toutes les opérations menées avant, pendant et après les manifestations.

Le ministère de la Justice et le ministère public de tous les États doivent examiner, efficacement, promptement et impartialement toutes les allégations de violations des droits humains commises par des agents de police lors des rassemblements publics, notamment les allégations touchant à l’usage illicite de la force ; amener tous les auteurs présumés de ces violations, y compris les personnes gradées, à rendre des comptes via des procédures pénales ou disciplinaires, selon les cas ; et fournir une pleine réparation aux victimes.

 

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