• 4 juin 2020
  • Afrique
  • Communiqué de presse

La COVID-19 offre à l’Union africaine une occasion unique de reconquérir son pouvoir mobilisateur et son rôle de coordination

Par Japhet Biegon

Le 7 avril, Donald Trump s’en est pris à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et à ses dirigeants, estimant que cette organisation était « trop favorable à la Chine », et il a menacé de suspendre la contribution américaine au financement de l’OMS. Dans le monde entier, de nombreuses personnes se sont alors promptement ralliées derrière l’OMS, condamnant les attaques du président des États-Unis. Cependant, la riposte immédiate et vive de l’Afrique a été particulièrement remarquée. 

Tout a commencé par un tweet sévère de Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine (UA). Il s’est dit surpris de la campagne lancée par le gouvernement américain contre les responsables de l’organisme mondial de santé publique et a exprimé le soutien de l’UA à l’égard de Tedros Ghebreyesus, directeur général de l’OMS. Ce tweet a déclenché une chaîne de messages de dirigeants africains, parmi lesquels Paul Kagame (Rwanda), Hage Geingob (Namibie), Muhammadu Buhari (Nigeria) et Cyril Ramaphosa (Afrique du Sud). Le président Cyril Ramaphosa a ensuite émis, en sa qualité de responsable politique de l’UA, une déclaration officielle détaillée dans laquelle il qualifiait Tedros Ghebreyesus de dirigeant exceptionnel et lui témoignait le soutien indéfectible de l’UA. 

La réaction de l’UA face aux attaques du président Donald Trump est révélatrice d’une tendance plus générale que l’on observe dans les efforts de lutte contre la COVID-19 que cette organisation déploie : celle-ci est de plus en plus à même, et ce depuis peu, de parler d’une seule voix, d’agir de manière coordonnée et d’avancer avec une certaine unité d’objectif. 

Se montrer à la hauteur de la situation

Bien qu’elle ait dû suspendre ou réduire la plupart de ses activités, l’UA a su se montrer à la hauteur de la situation et endosser le rôle crucial consistant à élaborer et à coordonner un plan régional de lutte contre la COVID-19.

De l’établissement de normes jusqu’à l’appel à la solidarité internationale, en passant par la collecte de fonds et la mobilisation des ressources, l’UA vit probablement ses meilleures heures depuis sa création, en 2002, en tant que successeur de l’Organisation de l’unité africaine (OUA). 

Depuis que le premier cas de COVID-19 a été signalé en Afrique, mi-février, différents organes et institutions de l’UA se sont réunis pour convenir de politiques et d’interventions à l’échelon continental. Une réunion d’urgence des ministres de la Santé de l’UA, tenue le 24 avril, a marqué le point de départ de ce mouvement d’ensemble, avec la décision qui a été prise d’élaborer une approche commune. Avec l’aide des centres africains de contrôle et de prévention des maladies, l’UA a alors défini une stratégie continentale conjointe afin d’assurer la coordination des efforts des États membres, ainsi que la synergie et la collaboration entre ses organes et services concernés.

Par ailleurs, elle a également mis sur pied le groupe de travail africain sur le coronavirus et lancé un fonds africain de lutte contre la COVID-19. Le 27 avril, les pays africains et des entités privées avaient déjà versé au fonds 61,5 millions de dollars des États-Unis. 

Par ailleurs, l’UA est aussi le porte-parole du continent en ce qui concerne les engagements souscrits auprès de ses partenaires internationaux, notamment la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI). Le 12 avril, le président Cyril Ramaphosa a nommé quatre envoyés spéciaux de l’UA chargés de mobiliser la communauté internationale afin qu’elle aide l’Afrique à faire face aux enjeux économiques liés à la COVID-19. Les appels répétés de l’UA en faveur d’un allégement, sous diverses formes, de la dette des pays africains ont déjà commencé à porter leurs fruits. 

Le rôle de mobilisation et de coordination de l’UA a également été étendu aux activités de liaison avec les communautés économiques régionales comme la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) et la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC). 

Soutenir la dynamique

L’UA a prouvé sa valeur en coordonnant et en rassemblant les parties prenantes dans le cadre de la lutte contre la COVID-19. Il faut maintenant qu’elle renforce son intervention et qu’elle use de son influence pour exiger que les droits humains soient au centre de toutes les initiatives de prévention, de préparation, d’endiguement et de traitement menées par les États membres. Pour commencer, l’UA doit appeler ses États membres à réduire le nombre de personnes détenues dans leurs prisons surpeuplées.  

Des pays tels que le Burkina Faso, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Niger, le Nigeria, le Sénégal, l’Afrique du Sud, le Togo et le Zimbabwe ont d’ores et déjà pris des mesures pour désengorger les prisons. Mais cela ne suffit pas : les pays africains doivent être plus nombreux à mettre en œuvre des mesures plus efficaces à cet effet.  

Une fois que la pandémie de COVID-19 aura régressé, le principal défi pour l’UA consistera à soutenir la dynamique actuelle et, plus encore, à réitérer cette belle réussite dans d’autres domaines relevant de sa compétence, en particulier en ce qui concerne les droits humains, la paix et la sécurité. Dans un rapport publié en 2017, Amnistie internationale a indiqué que le manque de coordination empêchait souvent l’UA de protéger et de promouvoir efficacement les droits humains dans ses initiatives en faveur de la paix et de la sécurité. À cet égard, le président Paul Kagame a prononcé, devant les autres chefs d’État présents à la Conférence de l’UA en janvier 2017, un véritable réquisitoire contre cette organisation : « Il s’agit d’une organisation dysfonctionnelle, à laquelle les États membres n’accordent que peu de valeur, que les partenaires mondiaux trouvent peu crédible et en laquelle nos citoyens n’ont pas confiance. »

Il suffit de se remémorer, par exemple, les réactions opposées qu’ont eues l’UA et la SADC début 2019, lorsqu’un différend a éclaté quant aux résultats de l’élection présidentielle en République démocratique du Congo (RDC). L’UA a appelé à suspendre l’annonce des résultats finaux en raison de « sérieux doutes », tandis que la SADC a entériné les résultats. Comme l’a alors résumé un confrère, les réactions de l’UA et de la SADC ont été « confuses, contradictoires et discordantes ». Repensons également aux graves violations des droits humains commises au Burundi à l’approche de l’élection présidentielle. Les ambassadeurs auprès du Conseil de paix et de sécurité de l’UA avaient décidé de déployer une force de protection pour stopper ces graves violations dans le pays, mais leur décision a par la suite été annulée par leurs présidents respectifs. 

Le 25 mai, Journée mondiale de l’Afrique, l’UA peut véritablement célébrer sa réussite en matière de coordination des plans d’action. Elle tient là une excellente occasion de mettre à profit la bonne volonté actuelle des États pour recouvrer pleinement son rôle de mobilisation et de coordination dans tous les aspects de son mandat.

Japhet Biegon est le coordonnateur régional des actions de plaidoyer pour l’Afrique à Amnistie internationale

Cet article a été publié initialement dans la version papier de l’hebdomadaire EastAfrican.  

 

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