• Tunisie

DES DÉFENSEURS DES DROITS HUMAINS EN PROCÈS

CONTEXTE

Le 24 novembre 2025, les défenseurs des droits humains Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi seront jugés devant le tribunal de première instance de Tunis, aux côtés de quatre autres personnes. Mustapha Djemali, fondateur et directeur du Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), et Abderrazek Krimi, chef de projet au CTR, sont maintenus en détention provisoire depuis leur arrestation en mai 2024, pour avoir seulement effectué leur travail légitime et exercé leur droit à la liberté d’association. Le CTR, une organisation tunisienne et partenaire opérationnel du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), a fourni une assistance cruciale à des réfugié·e·s et des personnes en quête d’asile en Tunisie. Les autorités tunisiennes doivent immédiatement relâcher Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi, et abandonner toutes les charges retenues contre eux. Les autorités doivent veiller à ce que les défenseurs des droits humains et leurs organisations puissent accomplir leur travail dans un environnement sûr et propice, sans crainte de représailles.

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Début mai 2024, le gouvernement tunisien a lancé une opération répressive contre les réfugiés, les migrants, et les organisations de la société civile qui défendent leurs droits. Le 6 mai, dans le contexte de remarques publiques, le président Kaïs Saïed a attaqué des organisations travaillant sur la migration, les accusant de chercher à « installer » des migrant·e·s et les qualifiant de « traîtres » et d’« agents [étrangers] ». Il a déclaré : « Il y a des réseaux à l’intérieur qui sont connectés à des réseaux à l’étranger […] Des virements financiers sont reçus par […] ceux qui prétendent faussement qu’ils protègent [les migrants], une association, vous savez tous comment elle a lancé un appel d’offres pour héberger ces Africains […] qui résident [en Tunisie] illégalement. » Le 7 mai, un procureur de Tunis a annoncé l’ouverture d’une enquête sur plusieurs ONG pour « abus de leur mandat dans le but d’apporter un soutien financier » à des migrants illégaux. Les autorités ont depuis lors convoqué et arrêté les dirigeant·e·s, ancien employés ou membres d’au moins 20 organisations, avant de mener des enquêtes sur eux. Dix défenseurs des droits humains, membres d’ONG et anciens employés municipaux ayant travaillé avec celles-ci sont en détention provisoire sur la base d’accusations de soutien à des migrant·e·s en situation irrégulière ou de crimes financiers en relation avec des financements légitimement perçus par des ONG. Le même mois, les autorités ont mené des expulsions forcées de réfugié·e·s et de migrant·e·s, et ont condamné des propriétaires ayant loué des appartements à des migrant·e·s en situation irrégulière. Il s’agit d’un des durcissements les plus récents dans le cadre de la détérioration plus large des droits des réfugiés et des migrants depuis février 2023, marquée par des pratiques et des discours discriminatoires sur le plan racial. Un recours récurrent à des poursuites contre des défenseur·e·s des droits des réfugiés et des migrant·e·s a également été relevé en Europe et au-delà.

Le Conseil tunisien pour les réfugiés (CTR), une ONG tunisienne fondée en 2016, qui a travaillé avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et avec les autorités tunisiennes, dans le but de pré-enregistrer les personnes en quête d’asile et de fournir une assistance cruciale aux réfugié·e·s et aux demandeurs et demandeuses d’asile, a été l’une des premières organisations prises pour cible. Son fondateur Mustapha Djemali est un ancien haut représentant du HCR. Le 2 mai 2024, conformément aux exigences réglementaires locales en la matière et dans le cadre de ses activités régulières, le CTR a lancé un appel d'offres pour que des hôtels proposent des hébergements à des personnes en quête d’asile et des réfugié·e·s en situation précaire, en réponse à une demande d’assistance émanant du HCR et de la région de Sfax. Après sa publication, des médias tunisiens et des comptes de réseaux sociaux ont partagé des captures d’écran de l’appel d’offres, affirmant que la société civile conspirait afin d’« installer » des « Africains » ou des « migrants illégaux » en Tunisie, en utilisant souvent un langage xénophobe et raciste. Le 3 mai, la police a effectué une descente dans les bureaux du CTR à Tunis, a arrêté son directeur Mustapha Djemali et l’a placé en garde à vue. Le 4 mai, la police a arrêté et incarcéré Abderrazak Krimi, chef de projet au CTR. Des policiers ont interrogé ces deux défenseurs des droits humains sur le financement du CTR, les activités de l’organisation en ce qui concerne les migrants en situation irrégulière et l’appel d’offres. Après leur arrestation, le CTR a suspendu ses activités, ce qui a fortement perturbé l’accès aux procédures d’asile et à des services de base parmi lesquels l’aide médicale, l’hébergement et la protection des mineurs.

Le 7 mai, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Tunis a ordonné leur placement en détention provisoire pour une durée de six mois, en attendant les résultats d’une enquête pour « participation à une entente ou formation d’une organisation » contre quiconque aura « conçu, facilité, aidé ou se sera entremis ou aura organisé par un quelconque moyen, même à titre bénévole, l’entrée […] clandestine d’une personne [sur le] territoire tunisien » et l’aura hébergée, en vertu des articles 38, 39 et 41 de la loi n° 40 de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage. Ces accusations manquant de clarté sur le plan juridique n’incluent pas d’éléments relatifs au gain ou à l’exploitation financière ou matérielle qui caractérisent le trafic et la traite des êtres humains, et ne prévoient pas d’exemption concernant les droits humains et le soutien humanitaire, ainsi que l’exige la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et ses protocoles sur le trafic et la traite des êtres humains.

Le juge a renouvelé leur détention pour quatre mois en octobre 2024 et en février 2025. En vertu du droit tunisien, elle ne peut pas être renouvelée une troisième fois. Le juge a rejeté au moins quatre des demandes de libération conditionnelle présentées par leur avocat. Il a gelé les comptes bancaires de Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi, et celui du CTR dans l’attente des résultats de l’enquête. Le 18 mars 2025, un rapport d’expertise mandaté par le juge pour enquêter sur leurs comptes bancaires personnels et le compte du CTR a été soumis au tribunal ; il n’a pas décelé d’irrégularités. Le 25 mars, le juge a déclaré lors d’une audience d’instruction : « Vous avez fait entrer illégalement des personnes noires en Tunisie, vous les nourrissez et les hébergez, l’histoire et les lois tunisiennes vous le feront payer », ce qui a suscité des inquiétudes quant à son impartialité et au droit des accusés à un procès équitable. Le 30 avril, le juge d’instruction a clos l’enquête sur cette affaire, et le 3 juin, la chambre d’accusation s’est prononcée en faveur de l’ouverture d’un procès.

Crédit photo : CTR page Facebook  et famille

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Président,

Je vous écris afin de vous faire part de ma profonde inquiétude concernant les poursuites menées contre les défenseurs des droits humains Mustapha Djemali et Abderrazak Krimi, dont le procès s’est ouvert le 16 octobre et dont la prochaine audience est prévue pour le 24 novembre 2025. Ils sont visés par des accusations infondées de « formation d’une organisation » pour « aider à l’entrée clandestine » de migrant·e·s en Tunisie et « fournir un hébergement », infractions passibles de 13 ans de prison. Lors de la première audience, le 16 octobre, les avocats de Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi ont défendu le travail légitime de leurs clients et demandé leur mise en liberté provisoire, requête rejetée par le juge. Ils ont également demandé l’ajournement du procès, ce qui leur a été accordé jusqu’au 24 novembre. Enfin, leurs avocats ont demandé que le HCR soit représenté à titre de témoin, afin de confirmer que les activités du CTR sont conformes à l’accord de coopération entre la Tunisie et le HCR, ce que le juge a également refusé.

Les charges retenues contre Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi s’appuient uniquement sur l’exercice pacifique de leurs droits humains et leur travail légitime au sein du Conseil tunisien pour les réfugiés, une ONG tunisienne ayant travaillé avec les autorités tunisiennes et le HCR afin de pré-enregistrer les personnes demandeuses d’asile et de leur apporter une assistance de base. Leur détention est arbitraire car défendre les droits des réfugiés et des migrants, indépendamment de leur statut au regard de la loi, notamment en leur fournissant un hébergement, n’est pas un crime. Les autorités font un usage abusif du système pénal afin de criminaliser le travail humanitaire et en faveur des droits humains, ce qui est contraire aux normes internationales relatives aux droits fondamentaux des défenseur·e·s de ces droits, ainsi que le prévoit la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme. Le harcèlement judiciaire des défenseur·e·s des droits humains est lui aussi contraire aux droits à la liberté d’expression et d’association notamment garantis par la Charte africaine sur les droits de l’homme et des peuples, et par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auxquels l’Ethiopie est partie. La Tunisie est un État partie à la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés, qui accorde aux personnes réfugiées le droit à des documents d’identification et de voyage ; au travail, au logement, à l’éducation et à une assistance humanitaire ; et à une protection contre les sanctions liées à une entrée irrégulière sur le territoire.

Je vous exhorte donc, ainsi que votre gouvernement, à veiller à ce que Mustapha Djemali et Abderrazek Krimi soient immédiatement libérés, et à ce que toutes les charges retenues contre eux soient abandonnées. Je demande également à votre gouvernement de cesser immédiatement les arrestations ciblées de défenseur·e·s des droits humains, et de permettre à ces personnes de mener leur travail en faveur de ces droits dans un environnement sûr et favorable, sans faire l’objet de représailles.

 

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.

 

APPELS À  

Kaïs Saïed, Président de la République tunisienne

Route de la Goulette,

Site archéologique de Carthage, Tunisie 

Courriel : contact@carthage.tn 

Twitter : @TnPresidency – Facebook