DES DÉFENSEUR·E·S DES DROITS HUMAINS SONT DÉTENUS ARBITRAIREMENT

CONTEXTE
Au début du mois de mai 2024, les autorités tunisiennes ont arrêté de manière arbitraire Sherifa Riahi, alors qu’elle était en congé maternité et qu’elle allaitait son nouveau-né, ainsi que Yadh Bousselmi et Mohamed Joo - ancien et actuel membres du personnel de Terre d’Asile Tunisie, une ONG qui vient en aide aux réfugiés et aux migrants. Quelques jours plus tard, elles ont arrêté Imen Ouardani, ancienne responsable locale qui avait collaboré avec cette ONG. Les autorités les ont pris pour cible dans le cadre d’une répression plus large contre des groupes de la société civile soutenant les réfugiés et les migrants, alimentée par un discours raciste et xénophobe, et les maintiennent depuis lors en détention provisoire de manière arbitraire. Il faut immédiatement libérer ces personnes et abandonner toutes les charges retenues contre elles.
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À compter du 3 mai 2024, les autorités tunisiennes ont lancé une campagne répressive sans précédent contre des ONG travaillant avec les réfugié·e·s et les migrant·e·s, effectuant des descentes dans les locaux d’au moins trois organisations et menant des arrestations et des enquêtes visant le personnel d’au moins 15 organisations. Tout cela s’est déroulé parallèlement à une répression plus large contre les droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s, après une année de déclarations officielles racistes et xénophobes, souvent de la part du président Kaïs Saïed, affirmant que la présence d’Africain·e·s noirs en Tunisie relevait d’un complot : « Quiconque est derrière ce phénomène se livre à la traite d’êtres humains, tout en prétendant défendre les droits humains. » Quelques jours après les premières arrestations, le 6 mai, le président a qualifié le personnel des organisations travaillant sur les questions migratoires de « traîtres » et d’« agents [étrangers] » cherchant à « installer » les migrant·e·s. Le 7 mai, un procureur de Tunis a annoncé l’ouverture d’une enquête contre plusieurs ONG pour « soutien financier aux migrants illégaux ».
Terre d’Asile Tunisie, la branche tunisienne de l’organisation française de défense des droits des réfugié·e·s et des migrant·e·s France Terre d’Asile, a été l’une des premières ONG visées. Les 4 et 5 mai 2024, la police a perquisitionné ses bureaux et convoqué ses employé·e·s. Les 7, 8 et 13 mai, la police a arrêté et incarcéré Sherifa Riahi, Yadh Bousselmi et Mohamed Joo, respectivement ancienne directrice, directeur et directeur administratif et financier de cette ONG. Le 11 mai, la police a également arrêté deux anciens responsables municipaux de la ville de Sousse, dont Imen Ouardani, ancienne adjointe au maire et militante de la société civile. Le 16 mai, un juge d’instruction de Tunis les a placés en détention provisoire dans l’attente d’une enquête pour « assistance à des migrants illégaux » (articles 38 à 43 de la loi 40 de 1975 relative aux passeports et aux documents de voyage), abus de position en tant que responsable public « pour procurer un avantage injustifié ou pour causer un préjudice à l’administration » (article 96 du Code pénal), blanchiment d’argent, fraude et attaque d’une personne ou d’un bien. Les personnes mises en examen sont le représentant légal de l’ONG, six anciens et actuels employés de Terre d’Asile et 17 anciens responsables et employés municipaux. Le juge a ordonné le gel des comptes bancaires de l’organisation et de ces personnes dans l’attente des résultats de l’enquête, et a chargé un expert financier d’enquêter sur les « revenus injustifiés et inconnus » ; celui-ci a déclaré le 8 janvier 2025 qu’il n’y avait pas d’irrégularités. Depuis mai 2024, les autorités ont rejeté au moins trois demandes de libération conditionnelle.
Le 28 janvier 2025, le juge a conclu son enquête et renvoyé l’affaire en jugement uniquement pour six personnes - Sherifa Riahi, Yadh Bousselmi, Mohamed Joo, un quatrième employé de Terre d’Asile, Imen Ouardani et un autre ancien responsable local, après avoir abandonné plusieurs charges pénales, notamment celles de blanchiment d’argent et d’abus de position d’agent public. Après le recours formé par le ministère public, le 26 février 2025, une chambre des mises en accusation a décidé de poursuivre les six employés de Terre d’Asile et 17 responsables et employés de la municipalité pour avoir « participé à une entente » dans un but d’« hébergement de personnes entrant sur le territoire tunisien ou le quittant clandestinement » (articles 39 et 41 de la loi 40 de 1975), d’avoir « sciemment, aid[é] directement ou indirectement ou tent[é] de faciliter l’entrée, la sortie, la circulation ou le séjour irrégulier d’un étranger en Tunisie » (article 25 de la loi 68-7 de 1968 relative à la condition des étrangers), et d’avoir abusé de la position d’agent public. Ces accusations s’appuient uniquement sur le travail de Terre d’Asile et son partenariat avec la municipalité de Sousse dans le but de soutenir les réfugié·e·s et les migrant·e·s. Les autorités ont affirmé que des irrégularités de procédure administrative dans la signature du partenariat, accusations sans fondement, ont permis de déterminer qu’un bâtiment public avait été exploité de manière illégale pour la mise en œuvre d’un « plan [étranger] visant à permettre aux migrants irréguliers de se déplacer, de résider et de s’installer en Tunisie ». La chambre a également décidé de poursuivre, de manière injustifiée, Mohamed Joo pour avoir « fabriqué, sous le nom d’un fonctionnaire, un certificat de bonne conduite [...] ou toute autre pièce de nature à [...] à procurer un emploi, des crédits ou aides » (article 199 du Code pénal). Les accusés ont formé un recours contre ces accusations.
La détention de Sherifa Riahi et le fait que les autorités empêchent les visites de ses enfants soulèvent d’autres préoccupations concernant les discriminations fondées sur le genre et le statut parental, ainsi que le respect de l’intérêt supérieur des enfants. Elle est autorisée à recevoir des visites hebdomadaires, qui se déroulent de part et d’autre d’une paroi en verre et à l’aide d’un interphone, ce qui ne lui permet pas de prendre son bébé ni son fils de quatre ans dans ses bras. Depuis juin 2024, les autorités pénitentiaires ne lui ont accordé que trois visites dans une pièce permettant un contact physique direct, avec des délais pouvant aller jusqu’à trois mois pour obtenir une autorisation. En vertu des Règles de Bangkok pour le traitement des femmes détenues, les visites avec des enfants en prison doivent permettre un contact ouvert, et les femmes détenues doivent bénéficier d’un maximum de possibilités et de facilités pour rencontrer leurs enfants.
LETTRE À ENVOYER
Monsieur le Président,
Je vous écris pour vous faire part de ma vive inquiétude concernant la détention arbitraire prolongée, depuis mai 2024, des défenseur·e·s des droits humains Sherifa Riahi, Yadh Bousselmi et Mohamed Joo, de Terre d’Asile Tunisie, la branche tunisienne de l’ONG française France Terre d’Asile, et d’Imen Ouardani, ancienne adjointe au maire de la ville de Sousse, dans l’est du pays. Cette ONG est enregistrée et fonctionne de manière transparente, fournissant une assistance essentielle à des réfugiés et migrants vulnérables, en collaboration avec les autorités locales et nationales, notamment la municipalité de Sousse. Ces personnes n’auraient jamais dû être arrêtées, et nous demandons aux autorités judiciaires de mettre rapidement fin à leur détention provisoire, dont la nécessité n’a pas été démontrée et qui n’est actuellement pas soumise à un contrôle judiciaire, jusqu’à ce que tous les chefs d’accusation soient abandonnés.
Les autorités ont enquêté sur ces personnes ainsi que sur trois autres employés de Terre d’Asile pour leur travail et sur 16 anciens responsables et employés municipaux pour leur collaboration avec cette ONG, en particulier l’ouverture d’une structure de Terre d’Asile dans un bâtiment municipal. Cette enquête, qui repose sur l’idée d’un complot de la société civile soutenu par l’étranger pour « installer définitivement » des migrant·e·s d’Afrique subsaharienne en Tunisie, viole leurs droits à la liberté d’association et d’expression, criminalise la collaboration légitime entre la société civile et les autorités locales, et bafoue les obligations internationales de la Tunisie à l’égard des réfugié·e·s et des migrant·e·s, en entravant le travail de protection et d’assistance. L’aide aux migrant·e·s, quel que soit leur statut au regard du droit, est protégée par le droit international et ne doit pas être assimilée au trafic ou à la traite d’êtres humains, conformément à la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, ratifiée par la Tunisie.
Les autorités ont par ailleurs empêché les enfants de Sherifa Riahi de lui rendre visite. En vertu du droit international et des normes internationales, la détention provisoire - en particulier en ce qui concerne les femmes ayant des enfants - ne doit être utilisée qu’en cas de stricte nécessité afin d’empêcher les suspect·e·s de s’enfuir, d’interférer avec l’enquête ou de commettre un crime grave.
Je vous demande instamment de veiller à ce que les autorités libèrent immédiatement Sherifa Riahi, Yadh Bousselmi, Mohamed Joo et Imen Ouardani, et abandonnent toutes les charges retenues contre eux. En attendant, les autorités doivent répondre dans les meilleurs délais aux requêtes déposées par Sherifa Riahi pour voir ses enfants, et respecter l’intérêt supérieur de ceux-ci. Je demande également à votre gouvernement de cesser de s’en prendre aux défenseur·e·s des droits humains au seul motif qu’ils ont exercé le droit de défendre les droits.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
APPELS À
Président de la République, Kaïs Saïed
Route de la Goulette,
Site archéologique de Carthage,
Tunisie
Courriel : contact@carthage.tn
X : @TnPresidency – Facebook
COPIES À
Anita Anand
Ministre des Affaires étrangères
229, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: Anita.Anand@parl.gc.ca
Son Excellence M. Lassaad BOUTARA
Ambassade de la République tunisienne
515, rue O'Connor
Ottawa, ON K1S 3P8
Canada
Tel: (613) 237-0330, -0332 Fax: (613) 237-7939
Courriel : tunisianembassycanada@diplomatie.gov.tn