IL FAUT CESSER DE STIGMATISER LA SOCIÉTÉ CIVILE DU CATATUMBO

CONTEXTE
Le 3 mars dernier, le président Gustavo Petro a déclaré que les organisations de la société civile du Catatumbo sont « imprégnées » par les groupes armés, et « subordonnées » à ceux-ci. Outre le fait qu’elle est injustifiée et inacceptable, cette déclaration met en danger les membres de ces organisations et légitime la violence qu’ils subissent depuis la mi-janvier, de même que la population civile du Catatumbo en général. Plusieurs organisations colombiennes de défense des droits humains ont exhorté le président à revenir sur ces propos. Nous demandons au Président Petro de cesser de faire des déclarations stigmatisantes de ce type et d’accueillir au contraire le dialogue et la participation des organisations locales dans la mise en œuvre de solutions à la crise du Catatumbo qui soient axées sur les droits humains.
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Située dans le nord-est de la Colombie, dans le département du Norte de Santander, la région du Catatumbo s’étend entre les Andes orientales et les environs du lac Maracaibo, au Venezuela. Il s’agit d’une région riche en ressources naturelles, en particulier en pétrole, où l’extrême pauvreté, les degrés élevés de militarisation et de violence, ainsi que le manque d’accès à des services de santé, à l’alimentation, à l’éducation, à l’eau et au logement ont créé un environnement hostile pour les responsables associatifs et les activités de défense des droits humains. Cette région manque par ailleurs d’infrastructures et de liens avec le reste de la Colombie, et demeure l’un des principaux lieux de culture de feuilles de coca et de production de cocaïne dans le pays.
Amnistie Internationale recense depuis plusieurs années des violences visant les défenseur·e·s des droits humains dans cette région, visant en particulier le Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA). Depuis 2020, Amnistie Internationale souligne que le travail du CISCA en faveur des droits humains a été entravé par deux facteurs de risques collectifs majeurs : le degré élevé de violence dans sa zone d’influence, en particulier contre les dirigeant·e·s associatifs, et les mesures d’éradication forcée des cultures de feuilles de coca. Amnistie Internationale reconnait par ailleurs que l’extrême pauvreté et les entraves aux droits économiques et sociaux créent un environnement tendu et hostile dans la région, en particulier pour les dirigeant·e·s associatifs. L’organisation a constaté au mois de juillet 2023 que les autorités colombiennes avaient mis fin aux opérations d’éradication forcée des feuilles de coca et qu’il y avait une diminution relative de l’activité militaire dans la région, tant de la part des forces de sécurité de l’État que des groupes armés, mais la militarisation de longue date et l’impact humanitaire du conflit armé n’ont pas permis de favoriser un environnement sûr pour la mobilisation sociale et les activités de défense des droits humains, d’autant que les agissements des groupes armés se sont poursuivis, voire intensifiés, dans les régions voisines.
Depuis la mi-janvier 2025, des affrontements armés ont éclaté entre l’Armée de libération nationale (ELN) et des groupes dissidents des anciennes Forces armées révolutionnaires de Colombie - Armée du peuple (FARC-EP), connus sous le nom d’État-major général des blocs et des fronts (EMBF), avec de forts impacts négatifs sur la population civile. Le 18 janvier, le Bureau de la défenseure du peuple a signalé 60 homicides dans les municipalités de Convención, Ábrego, Teorama, El Tarra, Hacarí et Tibú, des déplacements forcés de peuples autochtones et de communautés paysannes, et a souligné le risque particulier auquel sont exposés les défenseur·e·s des droits humains, les responsables de la société civile et les anciens membres des FARC-EP démobilisés en 2016, compte tenu des déclarations publiques faites par l’ELN à leur égard. Le 18 février, le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a signalé qu’environ 80 000 personnes étaient concernées (dont au moins 47 000 enfants et 4 600 réfugié·e·s vénézuéliens) ; 52 000 d’entre elles ont été déplacées de force et 8 600 sont toujours confinées de force. Le HCR a déclaré que les affrontements entre groupes armé, et entre ceux-ci et les forces colombiennes de sécurité se poursuivaient, ce qui risque d’entraîner de nouveaux homicides, des déplacements forcés de masse, des confinements forcés et des disparitions forcées.
Les autorités colombiennes ont affirmé que leur priorité était la protection de la population civile, et ont procédé à des évacuations d’urgence. Les organisations de défense des droits humains du Catatumbo et au niveau national ont adressé des mises en garde contre le risque représenté par une réponse militarisée à cette crise, lançant des appels à la paix, au respect du droit humanitaire international, visant à inciter le président Petro à soutenir et mettre en œuvre des solutions structurelles basées sur une présence plus forte des institutions civiles de l’État, telles que le Pacte social pour la transformation territoriale du Catatumbo, qui a fait ces deux dernières années l’objet de discussions entre les représentants de l’État et la société civile locale, et finalement signé à Catatumbo le 6 mars.
Cependant, lors d’une réunion du conseil des ministres diffusée à la télévision nationale le 3 mars pour annoncer l’événement du 6 mars à Catatumbo, le président Petro a montré du doigt les organisations de la société civile de la région en déclarant qu’elles étaient « imprégnées » par les groupes armés, et « subordonnées » à ceux-ci, les mettant ainsi en danger. Les groupes armés accusent fréquemment la société civile locale de collaborer avec des factions rivales pour justifier les attaques contre elle. Le dénigrement des organisations sociales au niveau local s’est par ailleurs accru sur les réseaux sociaux ces dernières semaines.
Ces remarques du président, fermement condamnées par les groupes de défense des droits humains en Colombie, sont contraires aux préconisations internationales, notamment celles de la Commission interaméricaine des droits de l’homme qui, dans la cinquième recommandation de son deuxième rapport sur la situation des défenseur·e·s des droits humains dans les Amériques, déclare que « les représentants de l’État doivent s’abstenir de faire des déclarations qui stigmatisent les défenseur·e·s des droits humains ou qui laissent entendre que les organisations de défense des droits humains agissent de manière inappropriée ou illégale simplement parce qu’elles font leur travail de promotion et de protection des droits humains ». Ce principe a été réaffirmé par la Cour constitutionnelle de Colombie dans l’arrêt SU-546 de 2023, qui a rappelé le devoir de l’État de favoriser un environnement exempt de stigmatisation et de s’abstenir d’y contribuer. Le président Petro a même contredit sa propre directive présidentielle 07 du 13 décembre 2023, qui demandait à l’ensemble du gouvernement colombien de soutenir et de reconnaître le travail des défenseur·e·s des droits humains.
Depuis le début de cette crise, Amnistie Internationale a appelé à la protection de la population civile dans une première Action urgente et dans une déclaration publique.
LETTRE À ENVOYER
Monsieur le Président,
Je vous écris pour vous faire part de ma profonde inquiétude concernant les graves menaces pesant sur la vie et la sécurité de la population civile dans la région du Catatumbo en Colombie, en particulier sur les défenseur·e·s des droits humains et les membres des organisations locales de la société civile. Ces personnes et leurs organisations sont particulièrement visées par les propos que vous avez tenus lors du conseil des ministres du 3 mars, affirmant notamment que les organisations de la société civile du Catatumbo sont « imprégnées » par les groupes armés de la région et y sont « subordonnés ».
De tels propos mettent en danger les membres des organisations de la société civile, notamment les défenseur·e des droits humains, dans une région qui a connu des décennies de conflit armé, où les accusations de collaboration avec une faction ou une autre ont coûté la vie à de nombreuses personnes. Vos déclarations sont en contradiction avec la législation internationale et nationale qui recommande aux représentants de l’État de s’abstenir de faire des déclarations stigmatisant les défenseur·e·s des droits humains, qui contribuent à les exposer encore davantage au danger et ont un impact sur leur travail précieux. Vos déclarations contredisent également votre propre directive présidentielle 07 de 2023, qui demande à l’ensemble du gouvernement colombien de soutenir et de reconnaître le travail des défenseur·e·s des droits humains.
Depuis des années, défenseur·e·s des droits humains et organisations de la société civile sont confrontés à la violence et à l’hostilité en Colombie, notamment dans le Catatumbo, une région marquée par une extrême pauvreté, un degré élevé de militarisation et de violence armée, les effets négatifs de l’éradication forcée de la coca, l’absence de soutien aux solutions économiques de substitution et le manque d’accès à des services essentiels tels que les soins de santé, l’alimentation, l’éducation, l’eau et le logement. Les politiques de l’État n’ont pas garanti les droits économiques et sociaux de la population.
Ces dernières années, et en particulier depuis le début de la crise violente actuelle, à la mi-janvier, des organisations de la société civile locale du Catatumbo, notamment le Comité d’intégration sociale du Catatumbo (CISCA), l’Association paysanne du Catatumbo (ASCAMCAT), la Table de concertation permanente autochtone (MPC) et l’Union paysanne du Catatumbo (ASUNCAT), ont systématiquement appelé à la paix, au respect du droit humanitaire international et à des solutions structurelles basées sur une présence plus forte des institutions civiles de l’État, comme indiqué dans le Pacte social pour la transformation territoriale du Catatumbo, récemment signé.
Je vous exhorte à retirer vos propos et à vous abstenir de stigmatiser davantage les organisations de la société civile du Catatumbo. Je vous demande par ailleurs de reconnaître leur travail et de garantir leur participation active à la mise en œuvre de mesures visant à surmonter la crise dans cette région, en renforçant la présence civile de l’État, en fournissant des services publics attendus depuis longtemps aux habitant·e·s du Catatumbo et, enfin, en protégeant leurs droits fondamentaux.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
APPELS À
Gustavo Petro Urrego
Presidente de la República
Carrera 8 No. 7-26, Bogotá, Colombie
Courriel : contacto@presidencia.gov.co
X : @petrogustavo
COPIES À
Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: melanie.joly@parl.gc.ca
Son Excellence M. Carlos Arturo MORALES LOPEZ
Ambassade de la République de Colombie
360, rue Albert, bureau 1002
Ottawa, ON K1R 7X7
Canada
Tel: (613) 230-3760 Fax: (613) 230-4416
Courriel: ecanada@cancilleria.gov.co