• Colombie

IL FAUT ENQUÊTER SUR LES MENACES ET LES AGRESSIONS CONTRE DES DÉFENSEUR·E·S

CONTEXTE

Le 13 février, une grenade a été lancée à l’intérieur du domicile d’une membre du CREDHOS, blessant des membres de sa famille. Cette attaque fait suite à de graves menaces ayant visé des organisations de la société civile œuvrant à la défense des droits humains, du territoire, de la terre et de l’environnement dans la région du Magdalena Medio en Colombie, notamment le CREDHOS et la FEDEPESAN, au cours du mois de janvier et au début du mois de février. Nous appelons les autorités colombiennes à répondre à ces menaces et à ces attaques, notamment en menant des enquêtes solides et efficaces pour établir les responsabilités et traduire en justice les auteurs présumés, ainsi qu’en fournissant sans délai une protection complète à ces organisations.

Le Magdalena Medio est une vaste vallée située entre les chaînes de montagnes colombiennes et traversée par le principal fleuve de Colombie, le Magdalena. Le pétrole est l’une des principales sources d’activité économique de la région, et la plus grande raffinerie du pays est située dans la ville de Barrancabermeja, dans le département de Santander, au cœur du Magdalena Medio. La région est également engagée dans l’agro-industrie, l’exploitation minière et l’élevage, entre autres activités économiques. Du fait de son emplacement géographique et de l’abondance de ressources à la valeur élevée, telles que le pétrole et l’eau, la région est considérée comme stratégique et a fait l’objet de conflits continus entre l’État et des groupes armés présents dans le pays. Le Magdalena Medio est par ailleurs également le théâtre de processus soutenus de mobilisation populaire et de défense des droits humains depuis des décennies. L’association de syndicats, de mouvements féministes et populaires, et de la défense des droits humains a créé des scénarios d’affirmation et de résistance particulièrement puissants. Cette situation, conjuguée à la lutte pour le contrôle territorial, politique et économique de la région par des groupes d’intérêt et des factions armées, a créé un terrain propice à la violence et aux agressions contre les défenseur·e·s des droits humains, qui persiste depuis au moins les années 1980. En 2023, la population civile a été victime de violences à des niveaux alarmants dans le Magdalena Medio, en particulier d’homicides. Tout ceci se déroule dans un contexte de réorganisation d’au moins quatre groupes armés présents dans la région.

La Fédération des pêcheurs artisanaux, écologistes et touristiques du département de Santander (FEDEPESAN) mène ses activités autour du lac San Silvestre, à proximité de la ville de Barrancabermeja. La FEDEPESAN a signalé la pollution de l’eau par des entreprises régionales, ainsi que la présence d’organisations criminelles impliquées dans le trafic de stupéfiants et la traite des êtres humains. C’est dans ce contexte que la présidente de la FEDEPESAN, Yuly Velázquez, a été la cible de nombreuses menaces et agressions recensées par Amnistie Internationale, notamment des menaces en novembre 2020, des impacts de balles à son domicile en janvier 2021, des actes d’intimidation lors d’activités de protestation en août 2021, une agression à main armée en mai 2022, et une autre en juillet 2022 (durant laquelle un agent de sécurité de son dispositif de protection a été blessé). En février 2021, Amnistie Internationale a lancé une Action urgente à la suite de graves menaces proférées par l’Armée de libération nationale contre le vice-président de la FEDEPESAN. Amnistie Internationale a constaté des failles dans le fonctionnement du programme de protection fourni par l’État à Yuly Velásquez par l’intermédiaire de l’Unité de protection nationale, étant donné le niveau élevé de risque auquel elle est exposée.

Le Comité régional de défense des droits humains (CREDHOS), également établi dans la ville de Barrancabermeja, a été fondé en 1987 et est épaulé par Amnistie Internationale depuis plusieurs années. En 2000, la Commission interaméricaine des droits de l’homme a pris des mesures de précaution en faveur du CREDHOS en raison de menaces émanant de groupes paramilitaires. En 2016, l’Unité des victimes, instance du gouvernement colombien, a reconnu que le CREDHOS pouvait prétendre à des réparations collectives après avoir subi, en tant qu’organisation, de graves violations des droits fondamentaux dans le contexte du conflit armé.

Amnistie Internationale a confirmé que les menaces et les agressions contre des personnes appartenant au CREDHOS en tant que collectif ont persisté ces dernières années, dans le contexte de la présence d’organisations armées sur le territoire où il travaille. En avril 2021, Amnistie Internationale avait déjà lancé une Action urgente demandant la protection du CREDHOS, en raison des graves menaces dont ses membres étaient victimes à ce moment-là. La protection actuellement fournie par l’État est insuffisante compte tenu de la gravité des menaces pesant sur le CREDHOS à titre collectif ces dernières années. Le 9 février, Amnistie Internationale a lancé une première Action urgente demandant la protection du CREDHOS après que des tracts émanant de différents groupes armés de la région ont publiquement menacé le président de l’organisation. Le 14 février, le CREDHOS a dénoncé publiquement le fait que, dans la nuit du 13 février, une membre de l’organisation avait été attaquée quand deux personnes avaient lancé et fait exploser une grenade à l’intérieur de sa maison, blessant des membres de sa famille.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le directeur,

Je vous écris pour vous faire part de ma profonde inquiétude face à l’impunité qui subsiste après les menaces et attaques continues ayant visé des défenseur·e·s des droits humains, du territoire, de la terre et de l’environnement en Colombie, en particulier celles et ceux affiliés à la Fédération des pêcheurs artisanaux, écologistes et touristiques du département de Santander (FEDEPESAN) et au Comité régional de défense des droits humains (CREDHOS), organisations établies dans la ville de Barrancabermeja. Il est très perturbant de voir que ces organisations ont été directement menacées par des groupes armés actifs dans cette région du pays, qu’elles ont été déclarées « objectif militaire », et qu’elles sont encore plus stigmatisées après avoir été accusées de collaborer avec d’autres groupes criminels de la région, au motif qu’elles ont dénoncé la présence d’organisations se livrant au trafic de stupéfiants et à la traite des êtres humains, ainsi que des dommages environnementaux causés par des entreprises régionales. Nous sommes particulièrement préoccupé·e·s par l’attaque contre une membre du CREDHOS à Barrancabermeja dans la nuit du 13 février 2024, lorsqu’une grenade a été lancée à l’intérieur de son domicile, blessant des membres de sa famille.

Depuis 2020, Amnistie Internationale recueille des informations sur les risques encourus par des personnes défendant les droits humains en Colombie. Malgré des appels publics et la mise en avant de nos préoccupations, que ce soit lors de rencontres en face à face avec les autorités ou par le biais d’actions sur les réseaux sociaux et numériques, ces personnes et leurs organisations continuent d’être attaquées pour avoir simplement défendu leurs droits. Je déplore l’insuffisance de la réponse de l’État en matière de protection des défenseur·e·s des droits humains en danger, qui devrait viser à ce que les crimes qu’ils subissent ne restent pas impunis.

Je vous demande instamment de faire preuve de la plus grande diligence afin d’honorer véritablement l’obligation du bureau du procureur général d’enquêter sur les menaces et les attaques visant les membres du CREDHOS et de la FEDEPESAN, de sorte à établir qui a ordonné et exécuté ces attaques, et à traduire les responsables présumés en justice dans le cadre de procès équitables, dans le but d’empêcher d’autres attaques contre celles et ceux qui défendent les droits humains dans la région du Magdalena Medio.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le directeur, l’expression de ma haute considération.

APPELS À  

Hernando Toro
Director de la Unidad Especial de Investigación
Fiscalía General de la Nación
Avenida Calle 24 No. 52 – 01
Bogotá DC, Colombie
Courriel : hernando.toro@fiscalia.gov.co
 

COPIES À  

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca