• Algérie

LA CONDAMNATION D’UN JOURNALISTE A ÉTÉ CONFIRMÉE EN APPEL

CONTEXTE

Le 12 octobre 2023, la Cour suprême algérienne a rejeté deux recours déposés par les avocats d’Ihsane El Kadi, confirmant effectivement sa peine de sept ans, décomposée en cinq ans de prison et deux ans de mise à l’épreuve. Incarcéré depuis le 24 décembre 2022, Ihsane El Kadi avait été déclaré coupable en raison de ses écrits. Les autorités doivent veiller à le libérer immédiatement de la prison d’El Harrach, y compris à la faveur d’une grâce présidentielle.

Ihsane El Kadi est journaliste et est aussi le directeur et fondateur d’Interface Médias, qui comprend les médias Radio M et Maghreb Emergent. Il a rédigé plusieurs articles critiquant ouvertement les autorités algériennes, qui ont réagi en le harcelant et en s’en prenant à ses médias. Les sites Internet de Radio M et de Maghreb Emergent ont tous les deux été bloqués en Algérie en 2020. À plusieurs reprises depuis 2021, les services de sécurité ont convoqué Ihsane El Kadi, pour l’interroger, au centre Antar à Alger.

Le 24 décembre 2022, des agents des services de sécurité en civil ont arrêté Ihsane El Kadi à son domicile à Zemmouri, à 40 km à l’est d’Alger. Plus tard dans la journée, ils l’ont conduit, menotté, dans les locaux de ses médias en ligne, Radio M et Maghreb Emergent. Ils ont ordonné au personnel de quitter les lieux, saisi les ordinateurs ainsi que d’autres matériels et apposé les scellés sur les portes, sans fournir aucune explication ni l’informer des accusations motivant son arrestation. Les forces de sécurité ont détenu Ihsane El Kadi pendant cinq jours et l’ont interrogé au sujet de ses publications. Le 29 décembre 2022, un juge d’instruction du tribunal de première instance de Sidi M’hamed à Alger a ordonné son incarcération à la prison d’El Harrach à la suite de son inculpation par le parquet au titre de plusieurs dispositions du Code pénal, notamment pour avoir reçu des fonds susceptibles de « porter atteinte à la sûreté de l’État », pour avoir reçu des fonds étrangers « à des fins de propagande politique », et pour avoir diffusé ou vendu de la propagande dans le but de porter atteinte aux intérêts nationaux (ce dernier chef d’inculpation a par la suite été abandonné). Il a également été accusé d’avoir enfreint l’ordonnance n° 77-3 qui date de 1977 et qui prévoit l’obligation d’obtenir l’autorisation préalable du gouverneur ou du ministre de l’Intérieur pour pouvoir procéder à une collecte de fonds. Le 15 janvier 2023, un juge du tribunal de Sidi M’hamed a prolongé la période de détention provisoire d’Ihsane El Kadi en l’absence de son avocat, ce qui constitue une violation de ses droits à une procédure équitable.

Deux tribunaux algériens avaient auparavant poursuivi Ihsane El Kadi en février et mars 2022 pour « terrorisme », entre autres, parce qu’il avait des contacts avec Zaki Hannache et Tahar Khouas, deux défenseurs des droits humains qui ont été détenus en Algérie pendant plusieurs semaines. Les charges retenues contre lui ont été abandonnées, mais en juin 2022, il a été condamné à six mois d’emprisonnement dans une troisième affaire à cause d’un article qu’il avait écrit en 2021 au sujet du rôle du parti politique non reconnu Rachad dans le mouvement de protestation du Hirak, à la suite d’une plainte déposée contre lui par le ministre de la Communication.

Le 2 avril 2023, le tribunal de Sidi M'hamed à Alger a condamné Ihsane El Kadi à cinq années d’emprisonnement, dont deux avec sursis, ainsi qu’à une amende de 700 000 dinars algériens (environ 4 800 euros). Il a également prononcé la dissolution de son entreprise, l’un des derniers médias indépendants du pays. En outre, il a condamné cette société à payer à titre de dommages et intérêts à l’organe algérien de régulation de l’audiovisuel une amende de 10 millions de dinars (environ 68 000 euros), à l’issue d’une action au civil engagée par les autorités contre Interface Médias pour « exploitation d’un service de communication audiovisuelle sans autorisation ». Ihsane El Kadi a été déclaré coupable d’avoir investi dans son entreprise de médias de l’argent que sa fille lui avait envoyé et d’avoir exercé sa profession de journaliste. Le 18 juin 2023, la Cour d'appel d'Alger a rendu sa décision au terme du procès en appel d'Ihsane El Kadi, confirmant sa condamnation et faisant passer sa peine de cinq à sept ans de prison, dont deux avec sursis. La Cour d'appel n'a pas reconnu ni sanctionné les violations dont Ihsane El Kadi a été victime dès le moment de son arrestation.

Le 16 janvier 2023, plusieurs rapporteurs spéciaux de l'ONU, dont la rapporteuse spéciale sur le droit à la liberté d’expression et le rapporteur spécial sur le droit à la liberté de réunion et d’association, ont soulevé des inquiétudes quant à l’arrestation et à la détention d’Ihsane El Kadi dans une communication adressée au président algérien. Ils ont fait part de leur inquiétude quant à la possible violation des normes d’équité des procès, la base juridique ambiguë des accusations portées contre Ihsane El Kadi et la sévérité des peines prévues par les articles 95 et 95 bis du Code pénal, et se sont dits très inquiets face à l'utilisation abusive par les autorités algériennes de mesures de sécurité dans le but d’entraver la liberté d'expression dans les médias. La Mission permanente de l'Algérie auprès de l'ONU a répondu le 15 mars 2023, assurant que « l’intéressé a bénéficié de tous les droits qui lui sont reconnus par la loi en tant qu’inculpé, en application des principes de légalité, de procès équitable et de respect de la dignité et des droits de l’homme et conformément à l’article premier du Code de procédure pénale, et qu’il a été arrêté, car il était soupçonné d’avoir commis les faits susmentionnés et non en raison de son activité de journaliste. » La Mission a ajouté que l’Algérie s’efforce de garantir la conformité de ses lois internes avec le droit international relatif aux droits humains : « L’article 154 de la Constitution dispose que les traités ratifiés par l’Algérie ont la primauté sur les lois internes. » 

La condamnation la plus récente prononcée contre Ihsane El Kadi est un nouvel exemple de la répression croissante qui sévit en Algérie. Ces deux dernières années, des dizaines de journalistes, blogueurs·euses, militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains ont été harcelés, intimidés et arbitrairement détenus pour des infractions liées à l’exercice pacifique de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Président,

Je vous écris pour vous faire part de mes vives préoccupations au sujet de la détention du journaliste Ihsane El Kadi, à la suite de la décision de la Cour suprême algérienne de rejeter son recours et donc de confirmer ses peines de sept ans d’emprisonnement, dont deux ans de mise à l’épreuve, et de six mois de prison, toutes deux fondées sur des accusations fallacieuses et vagues qui ne cadrent pas avec le droit international relatif aux droits humains et dont se servent les autorités algériennes pour réprimer pénalement les activités journalistiques.

Le 12 octobre 2023, la Cour suprême algérienne, la plus haute instance du pays, a rejeté deux recours déposés par les avocats d’Ihsane El Kadi. Le premier pourvoi en cassation contestait sa condamnation pour avoir reçu des fonds étrangers dans l’intention de « porter atteinte à la sécurité de l’État », en raison du financement de sa société de médias indépendants.

Le second recours portait sur sa condamnation antérieure à six mois de prison pour un article qu’il avait écrit au sujet du rôle du parti politique non reconnu Rachad dans le mouvement de protestation du Hirak. En mars 2021, la gendarmerie de Bab Jdid a convoqué Ihsane El Kadi à la suite d’une plainte déposée contre lui par le ministre de la Communication pour cet article et, en juin 2022, un tribunal l’a condamné à six mois de prison et à une amende pour « publication de fausses informations », au titre de l'article 196 bis. La Cour suprême a statué qu'il n’y aurait pas de nouveau procès dans cette affaire, lors même que l’article 50 de la Constitution dispose : « Le délit de presse ne peut être sanctionné par une peine privative de liberté. ».

Ihsane El Kadi, 64 ans, est incarcéré de manière arbitraire depuis plus d'un an à la prison d’El Harrach pour des accusations forgées de toutes pièces qui ne correspondent pas au droit international relatif aux droits humains concernant le droit à la liberté d’expression. Cette détention prolongée est très éprouvante pour sa santé.

Je vous appelle à accorder à Ihsane El Kadi une grâce présidentielle. Je vous demande également de mettre fin à la censure et à la répression ciblée exercées contre les médias et journalistes indépendants en Algérie au moyen d’articles du Code pénal rédigés en termes vagues qui sont utilisés pour violer le droit à la liberté d’expression.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

APPELS À 

Président de la République algérienne
Abdelmadjid Tebboune
Présidence de la République
Place Mohammed Seddik Benyahia, El Mouradia,
Alger, 16000, Algérie
Fax : +213021691595 Courriel : President@el-mouradia.dz
 

COPIES À 

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca  

M. Mokhtar ALLOUNE
Conseiller et Chargé d'affaires, a.i.
Ambassade de la République algérienne démocratique et populaire
500, rue Wilbrod
Ottawa, ON K1N 6N2
Canada
Tel: (613) 789-8505; -0282 Fax: (613) 789-1406
Email: info@embassyalgeria.ca