• Tunisie

DES FIGURES DE L’OPPOSITION INCARCÉRÉES ENTAMENT UNE GRÈVE DE LA FAIM

CONTEXTE

Le 26 septembre, une éminente figure de l’opposition, Jaouhar Ben Mbarek, a annoncé une grève de la faim pour protester contre sa détention inique dans une affaire de complot montée de toutes pièces. Le 2 octobre, cinq autres accusés détenus dans le cadre de la même affaire ont également annoncé une grève de la faim. Il s’agit de Khayam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi. Alors qu’ils ont été libérés en juillet 2023, les militant·e·s politiques Chaima Issa et Lazhar Akremi, qui ont passé près de cinq mois en détention arbitraire dans le cadre de la même affaire, se sont vus arbitrairement interdire de voyager et d’« apparaître dans des lieux publics ». Le parquet antiterroriste tunisien enquête sur ces huit personnes pour avoir tenté de « changer la forme du gouvernement » au titre de l’article 72 du Code pénal, qui prévoit la peine de mort. Nous demandons aux autorités tunisiennes de libérer immédiatement ces détenu·e·s, d’abandonner les charges retenues contre eux et de lever les restrictions arbitraires imposées à Chaima Issa et Lazhar Akremi.

 

Depuis février 2023, les autorités tunisiennes mènent une enquête pénale contre au moins 40 personnes pour des accusations infondées de complot. Amnistie Internationale a recensé les cas de huit personnes actuellement détenues dans le cadre de cette enquête, notamment l’homme politique Khayam Turki, arrêté le 11 février 2023 ; le dissident et homme politique Abdelhamid Jelassi, arrêté le 12 février ; l’avocat et dissident Lazhar Akremi, arrêté le 12 février ; le militant de l’opposition Issam Chebbi, arrêté le 22 février ; le militant de l’opposition Jaouhar Ben Mbarek, arrêté le 24 février ; et les avocats Ghazi Chaouachi et Ridha Belhaj, arrêtés le 25 février. La figure de l’opposition Chaima Issa, arrêtée le 22 février 2023, et le dissident Lazhar Akremi, arrêté le 13 février 2023, ont été remis en liberté provisoire le 13 juillet dernier, après avoir passé près de cinq mois en détention arbitraire.

Ces huit personnes font l’objet d’une enquête liée à des accusations fallacieuses de complot au titre de 10 articles du Code pénal tunisien, notamment l’article 72, qui prévoit la peine de mort obligatoire pour les tentatives visant à « changer la forme du gouvernement ». Elles sont également inculpées de plusieurs infractions au titre de 17 articles de la loi antiterroriste de 2015, notamment de son article 32, qui prévoit une peine allant jusqu’à 20 ans d’emprisonnement pour la formation d’« une organisation terroriste ». Amnistie Internationale considère ces accusations et l’enquête comme infondées. Les accusés ont été interrogés au sujet de leur relation entre eux et avec des diplomates étrangers et de réunions auxquelles ils ont participé ensemble, ainsi que sur le contenu d’objets saisis par les policiers durant leur arrestation, notamment des notes personnelles et des messages WhatsApp. Aucun élément de preuve n’a été présenté prouvant qu’ils ont commis des infractions reconnues par le droit international.

Le juge et la cour d’appel de Tunis ont dans un premier temps rejeté les demandes de mise en liberté provisoire soumises par les avocats des huit suspect·e·s. Cependant, en juillet, le tribunal a libéré Chaima Issa et Lazhar Akremi, leur interdisant de voyager à l’étranger et d’« apparaître dans des lieux publics ». Il a prolongé la détention préventive des six autres personnes en invoquant la nécessité de « garantir le bon déroulement de l’enquête ». Le 21 septembre 2023, la cour d’appel de Tunis a rejeté la demande de libération des six autres accusés dans le cadre de l’affaire du complot : Jaouhar Ben Mbarek, Khayam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi.

En septembre 2023, les autorités ont ouvert une procédure judiciaire séparée à l’encontre des avocat·e·s Dalila Msaddek Ben Mbarek et Islam Hamza, tous deux membres du comité de défense, pour des commentaires publics qu’ils ont faits au sujet de l’affaire dans des émissions de radio. Ils font l’objet d’une enquête pour diffusion de fausses informations au titre du Décret-loi n° 54 relatif à la cybercriminalité.

Le 14 février 2023, le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits humains, Volker Türk, s’est dit préoccupé par la récente vague d’arrestations visant des figures de la société civile et des personnes considérées comme des opposants, ainsi que par les attaques persistantes des autorités tunisiennes contre le pouvoir judiciaire. Un porte-parole du Haut-Commissaire a de façon spécifique mentionné les poursuites pénales engagées contre « des opposants présumés » accusés de « complot contre la sécurité de l’État ». Le Haut-Commissariat a appelé les autorités tunisiennes « à respecter les normes d’une procédure régulière et d’un procès équitable dans toutes les procédures judiciaires et à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, y compris toute personne détenue en relation avec l’exercice de ses droits à la liberté d’opinion ou d’expression ». Le 22 février 2023, le président Kaïs Saïed a déclaré que quiconque « osait exonérer » ce qu’il a décrit comme étant « des réseaux criminels » était fondamentalement leur « complice ». Cette déclaration, associée à la révocation arbitraire de 57 juges ordonnée par le président en 2022, contribue à renforcer le climat d’intimidation pour la magistrature.

Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed s’est octroyé les pleins pouvoirs, invoquant des pouvoirs d’exception prévus selon lui par la Constitution tunisienne de 2014. Depuis qu’il s’est emparé du pouvoir, le président Kaïs Saïed a dissous le Parlement de l’époque, pris des décrets-lois menaçant la liberté d’expression, supervisé la rédaction d’une nouvelle Constitution, et cherché à renforcer son influence sur le pouvoir judiciaire. Le 1er juin 2022, le président Kaïs Saïed a arbitrairement révoqué 57 magistrat·e·s accusés, notamment, de s’être abstenus d’enquêter sur des affaires de terrorisme et d’adultère et d’avoir organisé des soirées alcololisées. Le ministère de la Justice a rejeté une décision du Tribunal administratif tunisien ordonnant la réintégration de 49 d’entre eux.

Depuis le 25 juillet 2021, les autorités tunisiennes ont ouvert des enquêtes pénales contre au moins 74 figures de l’opposition et contre d’autres personnes considérées comme des ennemis du président, notamment 44 personnes accusées d’infractions liées à l’exercice de leurs droits humains.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Président,

Je vous écris afin de vous faire part de ma vive inquiétude au sujet du maintien en détention des figures de l’opposition Jaouhar Ben Mbarek, Khayam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi. Alors qu’ils ont été libérés en juillet, Chaima Issa et Lazhar Akremi sont toujours visés par une enquête et sont en butte à des restrictions iniques à titre de sanction pour leur militantisme politique. L’enquête sur ces huit personnes est due au fait qu’ils ont exercé leurs droits à la liberté d’expression, de réunion pacifique et d’association, qui sont pourtant protégés par des dispositions du droit international relatif aux droits humains contraignantes pour la Tunisie.

Le 26 septembre, les avocats de Jaouhar Ben Mbarek ont partagé une déclaration sur les réseaux sociaux afin d’informer la population de sa grève de la faim. Il a entamé sa grève le jour même, pour protester contre sa détention inique et les poursuites dont il fait l’objet. Jaouhar Ben Mbarek a annoncé qu’il ne cesserait sa grève de la faim que lorsque lui et les autres accusé·e·s dans l’affaire seront libérés. Le 2 octobre, cinq autres coaccusés dans cette affaire, Khayam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi, ont entamé une grève de la faim pour les mêmes raisons.

Le 13 juillet, les figures politiques Chaima Issa et Lazhar Akremi, qui font aussi l’objet d’une enquête dans le cadre de cette affaire, ont été remis en liberté provisoire après presque cinq mois de détention arbitraire. Le lendemain, on leur a interdit de voyager à l’étranger et d’« apparaître dans des lieux publics ». Le 14 novembre, Chaima Issa comparaîtra devant un tribunal militaire car elle est ausi poursuivie au titre de l’article 24 du draconien Décret-Loi 2022-54 relatif à la cybercriminalité, en raison de propos critiques qu’elle a tenus au sujet des autorités lors d’un entretien diffusé à la radio le 22 décembre 2022. Si elle est jugée et déclarée coupable, elle risque jusqu’à 10 ans d’emprisonnement au titre de ce décret-loi.

Je vous demande de libérer immédiatement Jaouhar Ben Mbarek, Khayam Turki, Issam Chebbi, Ghazi Chaouachi, Ridha Belhaj et Abdelhamid Jelassi, de lever toutes les restrictions visant Chaima Issa et Lazhar Akremi, et d’abandonner les poursuites engagées contre eux, qui découlent uniquement de l’exercice de leurs droits fondamentaux ou de leur dissidence pacifique. Dans l’attente de leur libération, je vous prie de veiller à ce qu’ils puissent bénéficier de soins médicaux adaptés, conformes à l’éthique médicale et respectant notamment les principes de confidentialité, d’autonomie et de consentement éclairé. Enfin, je vous demande de mettre un terme aux arrestations ciblées visant des détracteurs qui n’ont fait qu’exercer sans violence leurs droits à la liberté d’expression et d’association.

Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma très haute considération.

APPELS À

Président de la République, Kaïs Saïed
Route de la Goulette,
Site archéologique de Carthage, Tunisie
Courriel : contact@carthage.tn
Twitter : @TnPresidency

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca 

M. Maher TRIMECHE
Conseiller et Chargé d'affaires, a.i.
Ambassade de la République tunisienne
515 O'Connor Street
Ottawa, ON K1S 3P8, Canada
Tel: (613) 237-0330, -0332
Fax: (613) 237-7939
Email: at.ottawa@diplomatie.gov.tn
Mme Nacira AYED EP TRIMECHE