• Iran

Un homme risque d’être exécuté en lien avec les manifestations

CONTEXTE

Mojahed (Abbas) Kourkouri risque d’être exécuté sous peu en lien avec les manifestations qui ont secoué le pays. Début avril 2023, la justice iranienne a annoncé qu’un tribunal révolutionnaire d’Ahvaz avait condamné à mort Mojahed (Abbas) Kourkouri pour « inimitié à l’égard de Dieu » (moharebeh), « corruption sur terre » (efsad-e fel arz)  et « rébellion armée contre l’État » (baghi). Son procès manifestement inique a été entaché d’« aveux » extorqués sous la torture, pendant qu’il était soumis à une disparition forcée.

 

D’après les informations qu’a reçues Amnistie internationale, Mojahed Kourkouri n’était pas présent lors des manifestations qui se sont déroulées à Izeh le 16 novembre 2022. Les proches de Kian Pirfalak, le garçon de neuf ans abattu par des agents des forces de sécurité ce jour-là, ont répété publiquement que Mojahed Kourkouri n’avait rien à voir avec cet homicide et en ont attribué à plusieurs reprises la responsabilité aux forces de sécurité iraniennes.

Amnistie internationale a recueilli des informations sur le fait que des membres des forces de sécurité en civil ont tiré mortellement à balles réelles sur Kian Pirfalak lors des manifestations qui ont eu lieu à Izeh, dans la province du Khuzestan, le 16 novembre 2022. Les forces de sécurité ont ouvert le feu sur la voiture dans laquelle le garçon se trouvait avec sa famille. Lors des funérailles de Kian Pirfalak le 18 novembre 2022, sa mère, Mahmonir (Zeinab) Molaierad, a raconté publiquement les circonstances de sa mort en ces termes : « Je tiens à vous raconter ce qui s’est passé ce jour-là afin que [les autorités] ne puissent pas dire qu’il s’agissait de " terroristes ", parce qu’elles mentent. » Mahmonir Molaierad a expliqué qu’ils se rendaient à leur domicile, à Izeh, lorsqu’ils sont arrivés à un carrefour où étaient postés de nombreux policiers antiémeutes et agents en civil. Un agent leur a ordonné de s’arrêter et de faire demi-tour alors qu’ils avaient déjà passé les forces de sécurité. Le père de Kian Pirfalak, qui conduisait, a obéi. Soudain, plusieurs agents en civils ont ouvert le feu sur la voiture. Kian Pirfalak a été mortellement touché et son père grièvement blessé. Mahmonir Molaierad a indiqué que pendant les tirs, elle a ouvert la porte avant côté passager, alertant les agents en criant que ses enfants étaient à bord et leur demandant d’arrêter de tirer. Trois des agents en civil qui tiraient se sont alors approchés de la famille, ont sorti le corps blessé de Kian Pirfalak du véhicule et l’ont emmené dans un immeuble proche. Mahmonir Molaierad a déclaré : « Je ne sais pas pourquoi [ils nous ont tiré dessus] … Ils ont arrosé la voiture de balles… J’ai dit aux enfants de se cacher sous les sièges. Mon plus jeune s’est blotti sous le tableau de bord, mais Kian était dodu et ne passait pas sous le siège. » La mort de Kian Pirfalak a suscité un élan de colère et de solidarité, en Iran mais aussi dans le monde entier, particulièrement après la diffusion d’une vidéo où on le voit démarrer une présentation scolaire par les mots « Au nom d’un Dieu arc-en-ciel », puis de tester un bateau fabriqué en bâtonnets de glace. Le soir où Kian Pirfalak a été tué, des représentants de l’État, dont Valiollah Hayati, adjoint au gouverneur de la province du Khuzestan chargé de l’application des lois et de la sécurité, a affirmé que des « agents terroristes » étaient responsables de cet incident. Lorsque les médias iraniens officiels ont cité Mojahed Kourkouri comme le suspect arrêté en lien avec l’homicide de Kian Pirfalak fin décembre 2022, la famille du garçon a démenti publiquement son implication. Amnistie internationale a déjà dénoncé la pratique des autorités iraniennes consistant à couvrir et dissimuler systématiquement leurs crimes et à nier leur responsabilité dans les homicides illégaux d’enfants perpétrés par les forces de sécurité. Elles préfèrent propager des récits qui affirment que les mineurs ont été tués par des « terroristes » ou des « émeutiers », ou que leur mort n’était pas due aux manifestations, mais à des suicides ou des accidents.

Selon les investigations d’Amnistie internationale, le 16 novembre 2022, outre Kian Pirfalak, les forces de sécurité ont aussi tiré à balles réelles et tué au moins trois autres mineurs : Sepehr Maghsoudi et Artin Rahmani à Izeh, et Danial Pabandi à Saqqez, dans la province du Kurdistan.

Fin avril 2023, l’avocat indépendant de Mojahed Kourkouri a appris que son client était incarcéré à la prison de Sheiban à Ahvaz, dans la province du Khuzestan ; il n’a pu lui rendre qu’une brève visite. Selon les informations dont dispose Amnistie internationale, Mojahed Kourkouri n’a pas été autorisé à recevoir des visites de sa famille depuis son arrestation.

Depuis la fin du mois d’avril 2023, les autorités iraniennes se livrent à une frénésie d’exécutions et ont ôté la vie à de nombreuses personnes, intensifiant le recours à la peine capitale comme outil de répression pour tenter d’instiller la peur au sein de la population et d’écraser les actes de résistance contre le pouvoir et la classe dirigeante. À ce jour, elles ont exécuté de manière arbitraire sept personnes en lien avec le soulèvement populaire, dont cinq en 2023.

 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Responsable du pouvoir judiciaire,

Mojahed (Abbas) Kourkouri risque d’être exécuté sous peu ; il a été condamné à mort par un tribunal révolutionnaire à Ahvaz à l’issue d’un procès manifestement inique. Début avril 2023, le porte-parole du système judiciaire a annoncé qu’il avait été déclaré coupable d’« inimitié à l’égard de Dieu » (moharebeh), « corruption sur terre » (efsad-e fel arz) et « rébellion armée contre l’État » (baghi), et condamné à mort. Les autorités l’ont accusé d’être impliqué dans l’homicide d’un enfant pendant les manifestations qui se sont déroulées à Izeh, dans la province du Khuzestan, le 16 novembre 2022. Toutefois, selon les investigations d’Amnistie internationale, des membres des forces de sécurité en civil ont usé d’une force meurtrière lors des manifestations à Izeh et ont tiré à balles réelles sur ce garçon, lui ôtant la vie. Les autorités ont tout de suite imputé la faute à des « terroristes », mais la famille du garçon a démenti maintes fois ces allégations publiquement et a pointé la responsabilité des autorités. Mojahed Kourkouri a été arrêté le 20 décembre 2022 près de Ghalehtol, dans la province du Khuzestan, par des agents du ministère du Renseignement, des gardiens de la révolution et du Commandement des forces de l’ordre de la République islamique d’Iran (plus connu sous son acronyme perse Faraja) au cours de ce que les médias d’État ont qualifié d’« affrontement armé ». Il a été blessé au genou par des balles réelles et au bras par des éclats de grenades au moment de son arrestation.

Depuis son arrestation jusqu’à début avril 2023, Mojahed Kourkouri a été soumis à une disparition forcée : ni sa famille ni son avocat choisi de manière indépendante n’ont pu avoir des informations sur le lieu où il se trouvait. Durant cette période, il a déclaré à sa famille lors de brefs appels téléphoniques, plutôt rares : « Elles [les autorités] vont me tuer ». Il a ajouté qu’il souffrait énormément, notamment de sa blessure au genou, et qu’il avait besoin de soins médicaux. En outre, il pensait que les autorités lui administraient de force des substances chimiques. Son procès a été entaché d’irrégularités flagrantes. Il n’a pas pu consulter son avocat choisi de manière indépendante. Ses « aveux » obtenus sous la torture ont été diffusés sur les médias officiels iraniens, dans les premiers jours suivant son arrestation, fin décembre 2022. Dans une vidéo de propagande, il a été filmé dans un lit, le bras visiblement en sang et bandé. Son appel est toujours en instance devant la Cour suprême. Le 22 juin, la famille de Mojahed Kourkouri a révélé que les forces de sécurité s'étaient rendues à leur domicile et qu'elles n'avaient aucune information sur Negar Kourkouri, la sœur de Mojahed Kourkouri, ce qui laisse craindre qu'elle ait été arrêtée arbitrairement après des mois de menaces pour avoir défendu la cause de Mojahed Kourkouri.

Je vous prie d’annuler immédiatement la déclaration de culpabilité et la condamnation à mort prononcées à l’encontre de Mojahed (Abbas) Kourkouri. S’il est inculpé d’une infraction pénale prévue par la loi, son procès devra respecter les normes internationales d’équité et exclure le recours à la peine de mort ainsi que les « aveux » obtenus sous la contrainte. Je vous demande de permettre sans délai à Mojahed (Abbas) Kourkouri de voir sa famille et son avocat choisi de manière indépendante, et de recevoir des soins adaptés. Je vous prie instamment de le protéger contre de nouveaux actes de torture et mauvais traitements, et de traduire en justice dans le cadre de procès équitables toute personne présumée responsable de tels agissements. Sa sœur, Negar Kourkouri, arrêtée arbitrairement pour avoir fait campagne en sa faveur, doit être remise en liberté sur-le-champ. Enfin, je vous demande d’autoriser des observateurs·trices indépendants à assister aux procès où les accusé·e·s encourent la peine capitale en lien avec les manifestations, et d’instaurer immédiatement un moratoire officiel sur les exécutions, en vue de l’abolition de la peine capitale.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma haute considération.

APPELS À

Gholamhossein Mohseni Ejei
Responsable du pouvoir judiciaire
c/o Ambassade d’Iran auprès de l’Union européenne
Avenue Franklin Roosevelt No. 15, 1050 Bruxelles, Belgique

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca