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Iran. Un militant soumis à une disparition forcée depuis plus d'un an

CONTEXTE

Ebrahim Babaei, militant politique, est soumis à une disparition forcée par les autorités iraniennes depuis 15 mois et risque de subir des actes de torture et des mauvais traitements. Malgré les preuves qui s’accumulent indiquant qu’il se trouve en détention aux mains de l’État iranien, les autorités refusent continuellement de le reconnaître et de révéler à sa famille le sort qui lui a été réservé et le lieu où il se trouve. Il a été victime d’une disparition forcée en décembre 2021 alors qu’il tentait de fuir l’Iran pour échapper à des peines iniques d’emprisonnement et de flagellation.

Après la disparition d’Ebrahim Babaei, les passeurs ont dit dans un premier temps à sa famille qu’il se trouvait dans la ville de Van, en Turquie. Quelques jours plus tard, ils ont affirmé qu’il était mort chez l’un des passeurs, près de Van, et que son corps était entre les mains de la police turque qui l’avait transféré dans un hôpital où une autopsie avait été pratiquée. Les passeurs ont finalement livré un autre récit à sa fille Shima Babaei et lui ont dit qu’il était mort à Ozalp, un village turc reculé situé à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec l’Iran, et qu’elle devait venir y chercher sa dépouille. L’avocat de la famille en Turquie a fait des démarches auprès des morgues, des hôpitaux et des forces de police et de sécurité de Van, du conseil municipal et de la police d’Ozalp ainsi que des gardes-frontières turcs. Ces autorités ont assuré n’avoir reçu aucun corps correspondant à la description d’Ebrahim Babaei pendant cette période, ajoutant que, d’après les résultats de leurs investigations, Ebrahim Babaei n’était jamais entré en Turquie.

Par le passé, l’exercice pacifique de ses droits humains a valu à Ebrahim Babaei des années d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès iniques, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements en Iran. Il a été arrêté pour la première fois à Sari, dans la province du Mazandéran, le 2 février 1984. Il a passé 16 mois dans la prison de Sari après avoir été déclaré coupable de fausses accusations liées à la sécurité nationale pour avoir lu des tracts « hostiles à la République islamique » et avoir été en possession de livres interdits. Au cours des 20 années qui ont suivi, il a été convoqué à maintes reprises pour être interrogé sur ses activités politiques et retenu pendant plusieurs heures à chaque fois.

Ebrahim Babaei a de nouveau été arrêté le 7 février 2010, pour avoir participé pacifiquement à des manifestations en décembre 2009. Il a été enfermé dans une « planque » pendant plusieurs jours avant d’être transféré à la prison d’Evin, à Téhéran, où il a été détenu à l’isolement prolongé pendant environ quatre mois et a fait l’objet de transferts entre les sections 209 et 240, et l’unité générale de la prison. Sa santé s’est détériorée pendant sa détention, car il a été privé des soins médicaux spécifiques dont il avait besoin, notamment pour une blessure chronique à la jambe subie pendant son service militaire au cours de la guerre Iran-Irak. Il ne pouvait se déplacer sans dispositif d’aide à la marche et l’assistance d’autres détenus. Il a été libéré sous caution vers le mois de décembre 2010. Peu de temps avant cette libération, il a été déféré à un tribunal révolutionnaire siégeant à Téhéran pour répondre d’accusations liées à sa participation pacifique aux manifestations de décembre 2009. En 2011, alors qu'il était encore en liberté sous caution, il a été condamné à cinq ans, neuf mois et un jour d’emprisonnement et à 74 coups de fouet pour « rassemblement et collusion en vue de commettre des crimes contre la sécurité nationale », « diffusion de propagande contre le régime » et « trouble à l’ordre public ». Il a de nouveau été arrêté en octobre 2011 pour commencer à purger sa peine. Il a passé une partie de sa peine d’emprisonnement en « exil intérieur » dans la prison de Rajai Shahr, à Karaj, dans la province d’Alborz, et le reste à la prison d’Evin. Sa condamnation à 74 coups de fouet a été appliquée le 13 août 2013 à la prison d’Evin. Il a été libéré en septembre 2013 après avoir été gracié en raison de son état de santé.

Pendant qu’il était incarcéré à la prison de Rajai Shahr, Ebrahim Babaei a découvert qu’une autre affaire avait été intentée contre lui sans qu’il n’en soit informé, et qu’il avait été condamné par contumace à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour des activités pacifiques menées en prison. Il lui était notamment reproché d’avoir pris part à des grèves de la faim collectives observées par des codétenus incarcérés pour des raisons politiques, et rédigé des déclarations communes sur les conditions carcérales. En septembre 2018, il a également été condamné à 74 coups de fouet dans le cadre d’une autre affaire en raison du soutien qu’il avait apporté à sa fille Shima Babaei, militante des droits des femmes qui faisait campagne contre les lois abusives et discriminatoires sur le port obligatoire du voile en Iran. Au cours des mois qui ont précédé sa tentative de fuite d’Iran, il a vécu dans la clandestinité, craignant que les autorités ne cherchent à le localiser, à l’arrêter et à appliquer ses peines en instance.

La disparition forcée, qui constitue un crime en vertu du droit international, est l’arrestation, la détention ou l’enlèvement d’une personne par des agents de l’État, ou des personnes agissant avec l’autorisation, l’appui ou le consentement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. Les lieux de détention secrète non officiels en Iran échappent totalement à la protection de la loi et facilitent les disparitions forcées et d’autres crimes de droit international et violations des droits humains, notamment la torture et les autres formes de mauvais traitements. Il s’agit souvent de maisons ou d’immeubles d’habitation reconvertis illégalement en lieux de détention par les services de renseignement et de sécurité, le plus souvent par le ministère du Renseignement ou le service de renseignement des pasdaran(gardiens de la révolution). Ces centres de détention secrets ne sont pas enregistrés auprès de l’Organisation des prisons et les personnes détenues et leurs proches ne parviennent jamais à savoir à quel endroit précis ils se trouvent. Les membres des services de sécurité et de renseignement les appellent familièrement des « planques » (khanehay-e amn). La détention de personnes dans de tels lieux est rendue possible par un cadre juridique déficient qui ne permet pas d’assurer une surveillance appropriée de l’ensemble des prisons et centres de détention et ainsi de garantir que les autorités présumées responsables de violations des droits humains aient à rendre des comptes.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Responsable du pouvoir judiciaire,

Le militant politique Ebrahim Babaei, 56 ans, fait toujours l’objet d’une disparition forcée, 15 mois après avoir tenté de fuir l’Iran et de passer en Turquie afin d’échapper à des peines d’emprisonnement et de flagellation pour ses activités militantes pacifiques, notamment son soutien à la campagne menée par les Iraniennes contre les lois discriminatoires sur le port obligatoire du voile. Sa famille a perdu tout contact avec lui à partir du 21 décembre 2021, date à laquelle ses messages ont subitement cessé. Depuis, sa famille et son avocat ont contacté plusieurs autorités judiciaires, d’enquête et pénitentiaires, mais toutes ont refusé de confirmer s’il était détenu ou non et de leur donner des informations sur ce qui lui était arrivé. Sur insistance de la famille, Ebrahim Babaei a été enregistré dans le fichier des personnes disparues, mais les autorités judiciaires de Maku dans la province de l’Azerbaïdjan occidental ont clos le dossier le 12 juin 2022, sans mener aucune investigation. Au lendemain d’un reportage sur sa disparition diffusé le 19 juin sur la BBC en persan, une personne a contacté la famille le 1er juillet et lui a dit avoir vu des agents du ministère du Renseignement arrêter Ebrahim Babaei et 25 personnes qui tentaient également de franchir la frontière avec des passeurs, le 21 décembre 2021. D’après ce témoignage, Ebrahim Babaei et deux autres ont été emmenés à la 103e chambre du Département de la Justice à Maku, puis il a été conduit au service du renseignement des gardiens de la révolution à Oroumieh dans la province de l’Azerbaïdjan occidental. D’autre part, un responsable a dit de manière non officielle à la famille d’Ebrahim Babaei que des agents de sécurité l’ont transféré d’Oroumieh vers un lieu inconnu à Tabriz, dans la province de l’Azerbaïdjan oriental avant de le transférer vers un lieu secret à Téhéran, le 30 décembre 2021. Cette source a ajouté qu’il portait un bracelet électronique et « avait l’air d’avoir été roué de coups ». Ebrahim Babaei a besoin de soins et de traitements pour plusieurs problèmes de santé, notamment une maladie cardiaque, une blessure chronique à la jambe et des troubles de la santé mentale, ce qui avive les inquiétudes quant à son état de santé et l’état général dans lequel il se trouve.

Peu après la disparition d’Ebrahim Babaei, deux sources officielles ont dit de manière informelle à sa famille qu’il était détenu dans un lieu secret, à savoir une « planque » (khanehay-e amn), information confirmée par une troisième source étroitement liée aux services de renseignement et de sécurité. Amnistie internationale a déjà rassemblé des informations montrant que des personnes dissidentes étaient soumises à des disparitions forcées et à d’autres crimes de droit international et graves violations des droits humains par les services de renseignement et de sécurité dans ces « planques », et notamment que la torture et d’autres mauvais traitements y étaient systématiquement utilisés pour extorquer des « aveux » destinés à servir de base à des condamnations lors de procès iniques.

Je vous prie de révéler immédiatement le sort réservé à Ebrahim Babaei et le lieu où il se trouve, et de libérer cet homme dans les meilleurs délais et sans condition, car il est détenu uniquement pour avoir exercé ses droits fondamentaux à la liberté d’expression, d’association et de réunion pacifique. Dans l’attente de sa libération, je vous engage à veiller à ce qu’il soit transféré dans un lieu de détention officiel et protégé contre la torture et les autres mauvais traitements, et à ce qu’il puisse régulièrement voir ses proches, consulter l’avocat de son choix et bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Responsable du pouvoir judiciaire, l'expression de ma haute considération.

APPELS À

Gholamhossein Mohseni Ejei
Responsable du pouvoir judiciaire
c/o Ambassade de l’Iran auprès de l’Union européenne
Avenue Franklin Roosevelt N° 15, 1050 Bruxelles, Belgique
 

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca