• Cameroun

Un militant détenu sans inculpation depuis 200 jours

CONTEXTE

Le militant pacifiste Abdul Karim Ali est détenu arbitrairement depuis le 11 août 2022. Il a été interrogé à plusieurs reprises au sujet d’une vidéo qu’il a enregistrée le 9 juillet 2022, dans laquelle il accusait un responsable militaire camerounais d’avoir torturé des civil·e·s. Deux de ses amis sont également détenus en raison de leurs liens avec lui. Tous trois ont été officiellement placés en détention provisoire le 2 février 2023 pour « hostilité à l’égard de la patrie », « non-signalement », « sécession » et « rébellion ». La détention d’Abdul Karim Ali semble être motivée uniquement par sa vidéo du 9 juillet ou son militantisme en faveur de la paix, en violation de son droit à la liberté d’expression. Les autorités camerounaises doivent abandonner les charges retenues contre ces trois hommes si elles ne sont pas en mesure de fournir rapidement des éléments fiables laissant soupçonner une infraction reconnue par le droit international.

Abdul Karim Ali, Rabio Enuah et Yenkong Sulemanu ont comparu à trois reprises devant le tribunal militaire de Yaoundé. Lors de la troisième audience, ils ont été officiellement placés en détention provisoire par un juge d’instruction pour « hostilité à l’égard de la patrie », « non-signalement », « sécession » et « rébellion ». 

La famille proche d’Abdul Karim Ali a été contrainte d’entrer dans la clandestinité après avoir reçu des menaces. Amnistie internationale a appris que son épouse avait été menacée au moyen d’appels téléphoniques anonymes qui l’ont amenée à fuir leur domicile. Au cours de ces appels, elle a été sommée de ne pas alerter des personnes en dehors du Cameroun sur la situation de son mari, et il lui a été demandé d’apporter les passeports de celui-ci et du reste de la famille aux militaires qui le détenaient.

Ce n’est pas la première fois qu’Abdul Karim Ali est détenu vraisemblablement en raison de son militantisme. Il avait déjà été arrêté le 25 septembre 2019 et conduit au centre de détention du Secrétariat d’État à la Défense où il avait été incarcéré initialement sans pouvoir consulter un avocat pendant cinq jours, avant d’être finalement libéré quelques semaines plus tard, le 1er novembre 2019, sans avoir été inculpé.

Depuis 2016, les autorités du Cameroun ont emprisonné des centaines de personnes qui n’ont fait qu’exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique. Parmi elles, cinq journalistes sont actuellement détenus, de même que 62 personnes ayant participé à des manifestations organisées par le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), un parti politique d’opposition. Des centaines d’arrestations ont également eu lieu lors de manifestations pacifiques contre la discrimination ressentie à l’égard des régions anglophones du pays. Beaucoup de personnes détenues ont été déclarées coupables par des tribunaux militaires sur la base d’accusations, érigeant en infraction l’exercice de la liberté d’expression et de réunion pacifique, en violation des normes internationales relatives aux droits humains.

La détention de personnes ayant simplement exercé leurs droits aux libertés d’expression et de réunion pacifique est arbitraire, car elle est contraire à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples  et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques qui ont été ratifiés par le Cameroun.

De plus, le Cameroun est signataire de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées dont l’article 2 définit la disparition forcée comme « l’arrestation, la détention, l’enlèvement ou toute autre forme de privation de liberté par des agents de l’État ou par des personnes ou des groupes de personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. » Étant partie à cette Convention, le Cameroun « doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but ».

 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Ministre,

Je vous écris pour requérir votre attention de toute urgence sur le cas d’Abdul Karim Ali, militant pacifiste camerounais de renom qui est détenu sans inculpation depuis le 11 août 2022. Abdul Karim Ali a dirigé le Centre de recherche pour la paix et faisait régulièrement des discours et des formations sur la paix et la sécurité, y compris à l’échelle internationale. Il s’est exprimé en faveur du processus de médiation chapeauté par la Suisse qui vise à sortir de la crise anglophone. Deux de ses amis sont également détenus en raison de leurs liens avec lui.

Le 11 août 2022, Abdul Karim Ali a été arrêté, sans mandat, et placé en détention à Bamenda, dans le nord-ouest du Cameroun, où il est resté détenu 84 jours – dont quatre au secret – à la gendarmerie dans des conditions inhumaines ; il y a notamment été privé de nourriture et d’eau pendant plusieurs jours et a dû se contenter d’un seul seau pour faire ses besoins et se laver. Aucune raison officielle n’a été fournie pour expliquer sa détention, mais il a été interrogé à plusieurs reprises au sujet d’une vidéo qu’il a enregistrée le 9 juillet 2022, dans laquelle il accusait un responsable militaire camerounais surnommé « Moja Moja » d’avoir torturé des personnes civiles. Deux amis d’Abdul Karim Ali et son frère ont aussi été arrêtés par la gendarmerie sur la base de vagues allégations selon lesquelles ils lui auraient servi de chauffeurs. Tandis que son frère a été libéré après avoir versé une grosse somme d’argent, ses amis Rabio Enuah et Yenkong Sulemanu sont toujours détenus et ont été interrogés sur le fait qu’ils n’avaient pas dénoncé Abdul Karim Ali à la police. En novembre 2022, les trois hommes ont été transférés au centre de détention du Secrétariat d’État à la Défense (SED) à Yaoundé, la capitale. Le 2 février 2023, ils ont été officiellement placés en détention provisoire à la prison centrale de Kondengui, à Yaoundé, pour « hostilité à l’égard de la patrie », « non-signalement », « sécession » et « rébellion ».

Après 200 jours de détention, les autorités n’ont toujours pas fourni d’informations satisfaisantes sur les motifs de leur privation de liberté, en violation de la législation camerounaise, du droit international relatif aux droits humains et des normes en la matière.

À la lumière de ce qui précède, je vous prie instamment de veiller à ce que les charges retenues contre Abdul Karim Ali, Rabio Enuah et Yenkong Sulemanu soient abandonnées et qu’ils soient libérés immédiatement si les autorités ne sont pas en mesure de présenter rapidement des éléments fiables indiquant qu’ils ont commis une infraction reconnue par le droit international, étant donné qu’ils semblent être détenus uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d’expression.

Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

APPELS À

Joseph Beti Assomo
Ministre de la Défense de la République du Cameroun
Ministère de la Défense
Boulevard de la Réunification
B.P. 1162
Yaoundé, Cameroun
Courriel : defcamer@gmail.com

 

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca 

M. Philippe Aime Landry FOUDA TSILLA OTTO
Ministre-conseiller et Haut-commissaire intérimaire
Haut-commissariat de la République du Cameroun
170 Clemow Avenue
Ottawa, ON K1S 2B4
Canada
Tel: (613) 236-1522, -1524, -1569 Fax: (613) 236-3885
Email: office@hc-cameroon.ca