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UN DÉFENSEUR DES DROITS HUMAINS CONDAMNÉ POUR AVOIR MANIFESTÉ

CONTEXTE

Alberto Nallar est un avocat spécialiste des droits humains qui a joué un rôle actif dans les manifestations ayant débuté le 15 juin dans la province de Jujuy. Traité en criminel, il a été privé de liberté et placé un mois en résidence surveillée jusqu’à sa remise en liberté le 18 août. Le 24 octobre 2023, il a été condamné à 42 mois d’emprisonnement pour « incitation à commettre des infractions, incitation à la violence collective et soulèvement ou mutinerie ». Il a été condamné à une saisie financière et frappé d’une interdiction d’exercer sa profession. Il va interjeter appel de cette décision.

Le 16 juin 2023, la Convention constituante de la province de Jujuy, en Argentine, a procédé à une réforme constitutionnelle, sans participation ni publicité, qui pourrait représenter une menace pour les droits collectifs et la vision du monde des peuples indigènes.

L’adoption de la réforme partiale de la Constitution provinciale a déclenché des manifestations violemment réprimées par la police dans la province de Jujuy, et cette répression a été marquée par de graves irrégularités, notamment des cas de détention arbitraire et d’usage excessif de la force par des fonctionnaires. La réaction des forces de sécurité de la province de Jujuy face aux manifestations a gravement bafoué les droits à la vie, à la liberté et à l’intégrité physique, ainsi que les droits de se réunir pacifiquement, de défendre les droits fondamentaux et de jouir de la liberté d’expression, qui sont reconnus et protégés par le droit international.

Des manifestations organisées par des communautés et des organisations sociales et de défense des droits humains se poursuivent dans la province de Jujuy, car la nouvelle Constitution n’a pas été annulée. En septembre 2023, une délégation d’Amnistie Internationale s’est rendue dans la ville de San Salvador de Jujuy et dans les départements de Tumbaya, Cochinoca, Humahuaca et Susques (province de Jujuy). Elle s’est entretenue avec au moins 107 victimes et témoins, dont des membres de plus de 15 communautés autochtones, des avocat·e·s, des organisations de défense des droits humains et des représentant·e·s des autorités locales.

Amnistie Internationale a mis en évidence le recours injustifié et excessif à la force, notamment l’utilisation de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc lors de manifestations, qui a occasionné de multiples blessures aux participant·e·s. L’organisation a également recueilli plusieurs récits selon lesquels des personnes avaient été arrêtées pour le simple fait d’avoir participé à des manifestations, ce qui s’apparente à une privation arbitraire de liberté. Il a également été signalé que les victimes de la répression d’État évitent de porter plainte, par peur d’être poursuivies pour avoir participé aux manifestations. Parallèlement, l’organisation a constaté un manque considérable de proactivité de la part des autorités s’agissant d’enquêter sur de possibles atteintes aux droits humains commises par les forces de sécurité durant les manifestations.

L’avocat et défenseur des droits humains Alberto Nallar a apporté un soutien sans faille à la mobilisation populaire contre la réforme constitutionnelle et fourni une aide et une assistance juridiques aux personnes arrêtées durant les manifestations et à leur famille. La sédition, infraction pour laquelle il a été condamné, est une disposition pénale fréquemment invoquée en Argentine pour criminaliser les personnes qui exercent le droit de contestation sociale, ainsi que le blocage de rues et de routes, l’incitation à commettre des infractions et la résistance à l’autorité, entre autres. Alberto Nallar a été condamné le 24 octobre par le tribunal pénal oral n° 3 de Jujuy. Il n’a pas été arrêté pour l’instant parce que la condamnation n’est pas encore définitive. Il va interjeter appel de cette décision.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Procureur général,

Je souhaite vous faire part de ma profonde inquiétude concernant la condamnation de l’avocat spécialiste des droits humains Alberto Nallar. Les charges pénales dont il fait l’objet s’apparentent à des représailles indues car il n’a fait que participer pacifiquement à une manifestation et exercer son droit de défendre les droits humains.

À Humahuaca et San Salvador, dans la province de Jujuy, de nombreuses interpellations et opérations dans des habitations privées ont eu lieu entre le 11 et le 13 juillet, visant des enseignant·e·s, des étudiant·e·s et des défenseur·e·s des droits humains qui ont participé aux mobilisations sociales concernant la réforme constitutionnelle menée dans la province ou les ont soutenues. Une délégation d’Amnistie Internationale s’est rendue dans la province de Jujuy et entretenue avec des manifestant·e·s et des défenseur·e·s. Elle a ainsi découvert qu’une grande partie des détentions étaient arbitraires et s’inscrivaient dans un « environnement hostile » à l’exercice du droit de manifester pacifiquement.

Alberto Nallar a été arrêté le 13 juillet 2023 et a passé 37 jours en résidence surveillée. Comme indiqué, il a été récemment déclaré coupable de sédition et condamné à une peine de 42 mois d’emprisonnement, assortie d’une saisie financière, et privé du droit d’exercer sa profession. Je suis vivement préoccupé·e par le fait que cette condamnation n’est pas seulement un acte de représailles à l’encontre d’Alberto Nallar mais aussi un moyen de dissuader l’exercice de la liberté d’expression dans la province, étant donné qu’Amnistie Internationale continue de recevoir des informations faisant état de mandats d’arrêt imminents visant d’autres défenseur·e·s.

Compte tenu des obligations internationales de l’État argentin qui lui imposent de respecter, protéger et garantir la liberté d’expression et de réunion et le droit de manifester pour tous et toutes, nous vous appelons à cesser de traiter Alberto Nallar et d’autres défenseur·e·s des droits humains en criminels.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur général, l’expression de ma haute considération.

APPELS À

Procureur général de la province de Jujuy
Sergio Lello Sánchez
Courriel : slello@mpajujuy.gob.ar

COPIES À

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca 

Son Excellence Mme Maria Josefina MARTINEZ GRAMUGLIA
Ambassadeur
Ambassade de la République argentine
81 Metcalfe Street, 7th Floor
Ottawa, ON K1P 6K7
Canada
Tel: (613) 236-2351 Fax: (613) 235-2659
Email: ecana@cancilleria.gov.ar
M. Diego Martin HOFMAN