UN MILITANT CONDAMNÉ À LA SUITE D’UNE EXPULSION

CONTEXTE
Le 4 juillet, un tribunal d’appel d’Alger a confirmé la condamnation du militant amazigh Slimane Bouhafs à trois ans de prison et une amende de 100 000 dinars algériens (environ 734 dollars des États-Unis). Slimane Bouhafs avait obtenu le statut de réfugié en Tunisie en 2020. Il a pourtant été enlevé à son domicile à Tunis et jugé pour terrorisme en raison de ses liens supposés avec une organisation indépendantiste kabyle en septembre 2021 ; il se trouve depuis lors en détention à la prison de Koléa, près d’Alger. Non seulement les accusations portées contre Slimane Bouhafs sont fausses, mais l’ensemble de son procès est illégal au regard du droit international relatif aux droits humains. Il doit être libéré immédiatement et les charges retenues contre lui doivent être abandonnées.
Slimane Bouhafs, âgé de 56 ans, est un militant amazigh (berbère) et un chrétien converti. En 2016, il a été condamné à deux ans de prison en relation avec des publications sur Facebook, pour lesquelles il avait été déclaré coupable d’« offense au prophète » et de « dénigrement du dogme et des préceptes de l’islam ». En 2018, il a fui vers la Tunisie et s'est vu accorder le statut de réfugié par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés en 2020. Pourtant, en août 2021, il a disparu, avant de réapparaître quatre jours plus tard dans un poste de police d’Alger. En septembre 2021, un juge a ouvert une enquête contre Slimane Bouhafs en relation avec dix chefs d’accusation, dont « appartenance à une organisation terroriste » et « atteinte à l’intégrité du territoire national », en raison de ses liens présumés avec le Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) et de ses publications sur Facebook.
Le 20 septembre 2021, un groupe d’expert·e·s indépendants spécialistes des droits humains au sein des Nations unies a demandé aux gouvernements tunisien et algérien d’expliquer les mesures prises pour transférer Slimane Bouhafs de la Tunisie vers l’Algérie, ainsi que les fondements juridiques de l’enquête pénale ouverte à son encontre à Alger.
La mission permanente de l’Algérie à Genève a répondu aux experts de l’ONU dans une lettre envoyée par l’Algérie en octobre 2021. Elle y affirmait que Slimane Bouhafs avait publié sur Facebook des messages attaquant l’État algérien, ses symboles et ses institutions, et faisant l’éloge du MAK, une organisation que les autorités algériennes ont qualifiée de terroriste en 2021, et qu’il avait communiqué avec des membres de ce groupe. Les autorités algériennes n’ont cependant rien dévoilé publiquement quant au moment et aux circonstances de l’entrée en Algérie de Slimane Bouhafs. En vertu du droit international relatif aux droits humains, les autorités tunisiennes ont l’obligation de protéger Slimane Bouhafs contre l’enlèvement et le renvoi forcé de Tunisie. La Tunisie est tenue de respecter le principe de « non-refoulement », qui interdit les retours forcés, les expulsions ou les extraditions, de personnes réfugiées vers des pays où leur vie ou leur liberté pourrait être menacée, et de toute personne vers des pays où elle pourrait être soumise à la torture.
La répression exercée par les autorités algériennes contre celles et ceux qui les critiquent ne montre aucun signe de fléchissement. Ces deux dernières années, au moins 280 journalistes, blogueurs·euses, militant·e·s et défenseur·e·s des droits humains ont été harcelés et illégalement incarcérés pour des infractions liées à l’exercice de leurs droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique.
Depuis avril 2021, les autorités algériennes recourent de façon croissante à des accusations de « terrorisme » ou de « complot contre l’État » pour poursuivre en justice des défenseur·e·s des droits humains et des militant·e·s du Hirak. Le 18 mai 2021, le Haut conseil de sécurité, un organe consultatif chargé de conseiller le président de la République sur les questions de sécurité, a annoncé que l’organisation politique d’opposition Rachad et le MAK avaient été qualifiés d’« entités terroristes ». En juin, les autorités ont modifié le Code pénal afin d’élargir la définition du terrorisme de sorte à y inclure le fait d’« œuvrer ou inciter à accéder au pouvoir ou à changer le système de gouvernance par des moyens non constitutionnels. » Le 18 août 2021, le Haut conseil de sécurité, à la tête duquel siège le président Tebboune, a décidé d’arrêter l’ensemble des personnes appartenant à ces deux organisations, que les autorités accusent d’être impliquées dans les feux de forêt ayant fait des dizaines de morts en Kabylie, jusqu’à ce qu’elles soient totalement éradiquées.
LETTRE À ENVOYER
Monsieur le Président de la République,
Je vous écris pour vous faire part de ma vive préoccupation concernant le militant Slimane Bouhafs, qui est arbitrairement maintenu en détention à la prison de Koléa pour des motifs fallacieux depuis son enlèvement en 2021.
Le 4 juillet, le tribunal d’appel d’Alger a confirmé la condamnation de Slimane Bouhafs à trois ans de prison et à une amende d’une montant de 100 000 dinars algériens (environ 734 dollars des États-Unis), prononcée par le tribunal de première instance. Le 7 juin, le juge du tribunal de première instance avait acquitté Slimane Bouhafs de neuf chefs d’accusation, dont « appartenance à une organisation terroriste » (article 87 bis3) et « offense au Prophète [de l’islam] » (article 144 bis2), ne le condamnant que pour le chef d’accusation d’« atteinte à l’intégrité du territoire national » (article 79). Ce procès a fait suite à l’enquête ouverte sur Slimane Bouhafs le 1er septembre 2021, lorsqu’il a comparu devant le tribunal de première instance de Sidi M’Hamed, à Alger, où un juge d’instruction l’a placé en détention provisoire le temps d’une enquête sur 10 chefs d’inculpation au titre du Code pénal algérien. Slimane Bouhafs n’aurait jamais dû faire l’objet d’une enquête ni d’un procès, car il bénéficiait du statut de réfugié en Tunisie depuis 2020. En vertu du droit international relatif aux droits humains, la Tunisie a l’obligation de protéger les réfugié·e·s et de veiller à ce qu’ils ne soient pas renvoyés de force dans un pays où ils risquent d’être persécutés.
Slimane Bouhafs a été enlevé et emmené en Algérie pour y être jugé après que des hommes non identifiés l’ont forcé à monter dans une voiture devant son domicile à Tunis en août 2021. Sa famille était sans nouvelles de lui depuis quatre jours lorsqu’elle a appris qu’il était détenu dans un poste de police à Alger.
Slimane Bouhafs est actuellement détenu à la prison de Koléa, à 400 km du lieu de résidence de sa famille. Ses proches sont seulement autorisés à lui rendre visite deux par deux et pour une durée maximale de 15 minutes. Un aller-retour à la prison leur prend 10 heures, et ils doivent louer une voiture et loger dans un hôtel proche de la prison pour être sûrs d’arriver à l’heure. S’ils arrivent à peine en retard, ils ne sont pas autorisés à entrer. Sa famille pense qu’il est exposé à un grave risque d’abus dans les prisons algériennes en raison des mauvais traitements qu’il a subis précédemment, et elle est inquiète pour sa santé car il ne reçoit pas de traitement médical adapté pour sa goutte.
Je vous demande instamment de libérer Slimane Bouhafs immédiatement, d’abandonner toutes les charges retenues contre lui et de l’autoriser à quitter l’Algérie. En attendant, les autorités algériennes doivent veiller à ce que Slimane Bouhafs ne soit pas soumis au moindre mauvais traitement en prison.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
APPELS À
Président de la République algérienne
Abdelmadjid Tebboune
Présidence de la République
Place Mohammed Seddik Benyahia, El Mouradia,
Alger 16000, Algérie
Fax : +213021691595
Courriel : President@el-mouradia.dz
COPIES À
Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: melanie.joly@parl.gc.ca
M. Mokhtar ALLOUNE
Conseiller et Chargé d'affaires, a.i.
Ambassade de la République algérienne démocratique et populaire
500 Wilbrod Street
Ottawa, ON K1N 6N2
Canada
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