• Tunisie

Un ex-ministre et un ancien employé de l’état détenus de manière arbitraire

CONTEXTE

Le 31 décembre 2021, des hommes en civil ont arrêté Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, et Fathi Beldi, ancien employé du ministère de l’Intérieur, à Tunis, et les ont conduits dans des lieux tenus secrets. Noureddine Bhiri est également vice-président d’Ennahdha, qui fut le parti majoritaire au Parlement jusqu’à ce que le président Kaïs Saïed le suspende en juillet 2021 ; c’est le plus haut dirigeant d’Ennahda arrêté depuis cette suspension. Aucun des deux hommes n’a été formellement inculpé. Ils n’ont pas pu consulter leur avocat ni contester leur détention devant une autorité judiciaire. Ils doivent être libérés immédiatement.

Le 25 juillet 2021, le président Kaïs Saïed a suspendu le Parlement et limogé le Premier ministre Hichem Mechichi, invoquant les pouvoirs d’urgence au titre de l’article 80 de la Constitution. En septembre 2021, il a publié le décret présidentiel n° 117, qui suspendait la quasi-totalité de la Constitution, lui accordant le contrôle total sur la plupart des aspects de la gouvernance, notamment le droit de légiférer par décrets, et lui conférant le pouvoir exécutif suprême. Depuis, les autorités ont imposé plusieurs mesures répressives contre les juges, les hauts représentants de l’État et les parlementaires, telles que des assignations à résidence arbitraires et des interdictions de voyager. En outre, de plus en plus de civils, dont des opposants politiques et des détracteurs du président, ont été traduits en justice devant des tribunaux militaires. 

Noureddine Bhiri, 63 ans, est un ancien ministre de la Justice en fonctions de 2011 à 2013 au sein d’une coalition gouvernementale à la suite de l’éviction du président Zine el Abidine Ben Ali et de l’élection d’une Assemblée nationale constituante. Avocat et membre de l’Ordre des avocats tunisiens, il est également vice-président d’Ennahdha, l’un des plus puissants partis politiques du pays, et chef du groupe parlementaire de ce parti. Ennahdha a critiqué la concentration des pouvoirs entre les mains du président Kaïs Saïed depuis la suspension du Parlement en juillet 2021, parlant de « coup d’État ». Noureddine Bhiri souffre de diabète et d’hypertension, et prend un traitement régulier pour ces deux problèmes de santé. Sa santé est en danger, car il refuse d’ingurgiter de la nourriture, de l’eau ou des médicaments pour protester contre sa détention arbitraire et n’est alimenté que par solution intraveineuse. Fathi Beldi, 55 ans, est un ancien responsable du ministère de l’Intérieur au Département général en charge des frontières et des étrangers. Plusieurs médias ont relaté en novembre 2021 que l’actuel ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine a contraint plusieurs responsables à prendre leur retraite, dont Fathi Beldi. Les avocats de Noureddine Bhiri et de Fathi Beldi ont tenté de déterminer si les autorités judiciaires avaient ordonné leur placement en détention ou engagé des poursuites pour des infractions prévues par la loi, mais n’ont trouvé aucun élément allant dans ce sens.

Les autorités ont permis au dirigeant de l’Ordre national des avocats de Tunisie de rendre visite à Noureddine Bhiri dans son lieu de détention le 31 décembre, mais il a par la suite déclaré dans une interview radio qu’il n’avait pas pu reconnaître quel était ce lieu. Des membres de l’Instance nationale tunisienne pour la prévention de la torture (INPT) et des représentants du bureau tunisien du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme ont également pu rendre visite à Noureddine Bhiri et Fathi Beldi en détention.

Le 3 janvier, le ministre de l’Intérieur a déclaré lors d’une conférence de presse, en faisant semble-t-il référence à Noureddine Bhiri et Fathi Beldi, que les deux hommes avaient été interpellés au titre de l’article 5 du décret présidentiel de 1978. L’article 5 confère au ministre de l’Intérieur le droit d’ordonner l’« internement forcé » ou l’assignation à résidence d’une personne qui représente un danger pour la sécurité et l’ordre public. Le ministre de l’Intérieur a poursuivi en affirmant que les deux hommes étaient impliqués dans une affaire liée au terrorisme pour « délivrance illégale » de passeports à des non-Tunisiens en 2013, alors que Noureddine Bhiri était ministre de la Justice, et que le ministère de l’Intérieur les a arrêtés parce que les autorités judiciaires n’avaient toujours pas ordonné leur interpellation. Le 4 janvier, le bureau du procureur général du tribunal de première instance de Tunis a annoncé que le tribunal avait ouvert une enquête sur la question le 24 décembre, sans fournir d’autres détails.
En vertu du droit international, et plus particulièrement du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Tunisie est partie, certains droits humains ne peuvent pas être restreints, même en situation d’urgence – notamment le droit à la vie, l’interdiction de la torture et des mauvais traitements, l’interdiction de toute discrimination et la liberté de religion, ainsi que le droit à un procès équitable et l’interdiction de la détention arbitraire, en particulier le droit de chaque détenu de voir sa détention réexaminée par un tribunal indépendant.

Maintenir des personnes en détention secrète ou dans des lieux non divulgués viole le droit à la liberté et l’interdiction de toute arrestation ou détention arbitraire, inscrite à l’article 9 du PIDCP. Les personnes détenues dans des lieux tenus secrets étant détenues en dehors du champ d’application de la loi, aucune procédure établie par la loi ne leur est appliquée comme l’exigent les articles 9 et 14 du Pacte, elles ne sont pas officiellement informées des charges retenues contre elles et n’ont pas la possibilité d’examiner les éléments qui viennent étayer ces accusations, afin de leur permettre de préparer une défense efficace et de contester leur détention. En outre, l’article 17 (1) de la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées dispose que nul ne doit être détenu en secret et demande aux États de veiller à garantir, dans leur législation nationale, que toute personne privée de liberté soit placée uniquement dans des lieux de privation de liberté officiellement reconnus et contrôlés.
 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Président,

Je vous écris afin de vous demander de garantir la libération immédiate de Noureddine Bhiri, ancien ministre de la Justice, et de Fathi Beldi, ancien employé du gouvernement, tous deux étant détenus arbitrairement depuis le 31 décembre 2021. Leur détention contourne la procédure judiciaire et bafoue leurs droits à la liberté et à une procédure régulière.
 
Le 31 décembre 2021 vers 8h15, Noureddine Bhiri et son épouse, tous deux avocats, ont quitté leur domicile dans le quartier de Manar 1, à Tunis, et sont montés en voiture pour se rendre au bureau qu’ils partagent, lorsque quatre véhicules se sont arrêtés et ont bloqué leur voiture dans la rue. Une dizaine d’hommes en civil en sont sortis et ont frappé Noureddine Bhiri et son épouse à la tête, puis ont ordonné à Noureddine Bhiri de venir avec eux. Les hommes ont refusé de s’identifier et n’ont pas présenté de mandat d’arrêt. Noureddine Bhiri a été détenu au secret dans un lieu non divulgué jusqu’au 2 janvier, lorsque sa famille et ses avocats ont appris qu’il avait été transféré à l’hôpital de Bougatfa à Bizerte, une ville dans le nord de la Tunisie, où il est maintenu en détention. Les autorités ont depuis permis à la famille de Noureddine Bhiri de lui rendre visite à l’hôpital mais continuent de refuser les visites de ses avocats, en violation de ses droits à une procédure régulière.

Le 31 décembre 2021 vers 10h30, Fathi Beldi sortait sa voiture du garage à Ariana, près de Tunis, lorsque plusieurs véhicules se sont arrêtés ; des hommes en civil en sont sortis et l’ont arrêté sans présenter de mandat. Ils ont aussi saisi sa voiture. Plus tard ce jour-là, des membres de la Garde nationale à Borj El Amri, une ville située à 30 kilomètres de Tunis, ont appelé sa famille pour les informer de cette arrestation, mais ont refusé de dévoiler où il se trouvait, le maintenant en détention au secret sans communication avec sa famille ni ses avocats. Le 5 janvier, des membres de la Garde nationale ont conduit Fathi Beldi depuis son lieu de détention jusqu’au poste de police de Borj El Amri, où ils l’ont autorisé à voir sa famille. Toutefois, ils ont surveillé la rencontre et ne leur ont pas permis de parler du lieu où il était détenu. Tout au long de sa détention, il a été privé de la possibilité de consulter ses avocats. À ce jour, les avocats des deux hommes n’ont pas trouvé la preuve que leur détention découlait d’une décision judiciaire. Ne pouvant pas communiquer avec leurs avocats ni une autorité judiciaire, Noureddine Bhiri et Fathi Beldi n’ont pas pu exercer le droit de contester leur détention ni être rapidement informés des charges retenues contre eux, qui sont des droits fondamentaux pour un procès équitable.

Je vous exhorte à libérer immédiatement Noureddine Bhiri et Fathi Beldi car leur détention est arbitraire et représente une violation grave de leurs droits à une procédure régulière. Dans l’attente de leur libération, je vous prie de révéler immédiatement le lieu où se trouve Fathi Beldi et de veiller à ce que les deux hommes puissent communiquer de manière confidentielle et régulière avec leur famille et leurs avocats.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération. 

APPELS À

Président de la République, Kaïs Saïed
Route de la Goulette, Site archéologique de Carthage
Tunisie
Courriel : contact@carthage.tn
Twitter : @TnPresidency 

COPIES À

 

Son Excellence M. Mohamed Imed TORJEMANE (m)
Ambassadeur
Ambassade de la République tunisienne
515 O'Connor Street
Ottawa, ON K1S 3P8
Canada
Tel: (613) 237-0330, -0332 Fax: (613) 237-7939
Email: ambtun13@bellnet.ca

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca