• Iran

Un ressortissant germano-iranien victime de disparition forcée

CONTEXTE

Jamshid Sharmahd, un dissident politique germano-iranien âgé de 66 ans, a été soumis à une disparition forcée en Iran et court un risque élevé de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements. Depuis le mois de septembre 2021, les autorités lui interdisent tout contact avec sa famille et dissimulent le lieu où il se trouve. Il est poursuivi pour « corruption sur terre » (ifsad fil Arz) et risque d’être condamné à mort par un tribunal révolutionnaire à l’issue d’un procès manifestement inique. 

Jamshid Sharmahd, qui vit aux États-Unis, a été le porte-parole de l’Assemblée du Royaume d’Iran (également connue sous le nom d’Anjoman-e Padeshahi-ye Iran), un groupe d’opposition iranien établi aux États-Unis qui prône le renversement du régime de la République islamique, y compris par la violence, et le retour à un Iran préislamique. Jamshid Sharmahd a également créé et géré le site Internet du groupe, Tondar, et animé ses émissions de radio et ses vidéos. Ce site Internet contient des déclarations dans lesquelles l’Assemblée du Royaume d’Iran revendique des attentats commis sur le sol iranien. La famille de Jamshid Sharmahd nie son implication dans les actes de violence qui lui ont été attribués par les autorités. Amnesty International craint que Jamshid Sharmahd ne soit condamné à la peine capitale car deux hommes, Mohammad Reza Ali Zamani et Arash Rahmanipour, ont été exécutés en Iran en janvier 2010, après avoir été condamnés à l’issue de procès manifestement iniques pour « inimitié à l’égard de Dieu » (mohareb), en raison de leur appartenance réelle ou supposée à l'Assemblée du royaume d'Iran.


Le 1er août 2020, le ministère du Renseignement a annoncé dans un communiqué que ses agents secrets, qualifiés de « soldats inconnus de l’imam Zaman », avaient arrêté Jamshid Sharmahd à la suite d’une « opération complexe », sans plus de précisions. Le même jour, le ministre iranien du Renseignement, Mahmoud Alavi, a déclaré que Jamshid Sharmahd était « fortement soutenu par les services de renseignement des États-Unis et d’Israël » et qu’il avait été « conduit » en Iran par le biais d’« opérations complexes » et placé sous la garde du ministère du Renseignement. De l’avis général, cela signifie qu’il a été enlevé par des agents des services iraniens de renseignement à l’étranger - Jamshid Sharmahd se trouvait aux Émirats arabes unis - et emmené de force en Iran. Les « aveux » forcés de Jamshid Sharmahd ont été diffusés à maintes reprises à la télévision d’État iranienne. Dans une vidéo de propagande diffusée en janvier 2021, ses « aveux » sont entrecoupés d’extraits d’émissions qu’il a réalisées pour l’Assemblée du royaume d’Iran, et le narrateur le désigne comme le chef du groupe et le qualifie de « terroriste ». Au cours d’un appel téléphonique, fin novembre 2020, Jamshid Sharmahd a dit à sa famille qu’il était incarcéré dans la prison d'Evin, à Téhéran ; cependant, lors d’appels ultérieurs, il a dit qu’il ne s’y trouvait plus, mais qu’il ignorait où il était détenu. Lors d’un autre appel téléphonique passé le 23 mars 2021, il a également indiqué, sans donner d’explications, qu’il avait perdu une vingtaine de kilos et qu’on lui avait arraché des dents pendant sa détention. 


Depuis 2019, Amnesty International a recueilli des informations sur deux autres cas de dissidents établis à l’étranger qui ont été enlevés par des agents des services iraniens de sécurité et de renseignement et ramenés de force en Iran. Le journaliste dissident Rouhollah Zam, qui avait obtenu l’asile en France, a ainsi été enlevé lors d’un voyage en Irak en octobre 2019 par les pasdaran (gardiens de la révolution), avec l’aide des services de renseignement irakiens, semble-t-il, et renvoyé contre son gré en Iran. Il a été exécuté en décembre 2020 à la suite d’un procès manifestement inique (pour de plus amples informations, cliquez ici). De même, le ressortissant irano-suédois Habib Chaab, un dissident politique appartenant à la minorité arabe ahwazie d’Iran, a été enlevé en Turquie en octobre 2020 et renvoyé de force en Iran, selon les autorités turques ; il fait l’objet d’une disparition forcée depuis octobre 2020 et les médias d’État iraniens ont diffusé ses « aveux » forcés, dans lesquels il se dit coupable de crimes passibles de la peine capitale. 


Tout État a le devoir de traduire en justice les responsables présumés d’actes criminels violents. Cependant, toute personne arrêtée ou détenue du chef d’une infraction pénale, y compris en ce qui concerne les infractions liées au « terrorisme », doit être traitée dans le plein respect des obligations de l’Iran en matière de droits humains, et notamment voir respectés les droits constitutifs du droit à un procès équitable. Il s’agit notamment du droit de choisir son avocat, de bénéficier des services d’un avocat dès l’arrestation, pendant la phase précédant le procès et pendant le procès, d’être présenté dans les meilleurs délais à un magistrat relevant de la justice civile ordinaire, de contester la légalité de la détention devant un tribunal indépendant et impartial, d’être présumé innocent, de garder le silence et de ne pas être forcé de témoigner contre soi-même ou de s'avouer coupable, d’avoir pleinement accès aux éléments de preuve pertinents, de ne pas être détenu sur la base d’accusations formulées en termes vagues, d’interroger les témoins à charge et d’obtenir l'interrogatoire des témoins à décharge, d’être entendu équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial et d’avoir un jugement argumenté prononcé publiquement. L’application de la peine de mort à l’issue d’une procédure contrevenant gravement aux normes d’équité des procès est une privation arbitraire du droit à la vie et s’apparente à une exécution extrajudiciaire, qui constitue un crime en vertu du droit international. Amnesty International a recueilli des informations faisant état de violations systématiques du droit à un procès équitable en Iran dès l’arrestation et tout au long de l’enquête, du procès et de la procédure d’appel. Les tribunaux, en règle générale, ne font aucun cas des allégations de torture et autres mauvais traitements, sur lesquelles ils n’ordonnent pas d’enquête, et s’appuient sur des « aveux » extorqués sous la torture pour prononcer des déclarations de culpabilité et des peines, y compris dans les affaires susceptibles d’aboutir à une condamnation à mort. 
 

 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Responsable du système judiciaire, 

Jamshid Sharmahd, 66 ans, titulaire de la double nationalité allemande et iranienne, est soumis à une disparition forcée depuis la fin du mois de septembre 2021 et risque d’être condamné à mort. Après son arrestation arbitraire à la fin du mois de juillet 2020, il a été autorisé à passer des appels téléphoniques peu fréquents à sa famille en présence d’agents des services de renseignement, mais depuis le mois de septembre 2021, il lui est interdit d’appeler sa famille. Il a comparu pour la dernière fois devant la 15e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran le 6 mars 2022 pour répondre de « corruption sur terre » (ifsad fil Arz), accusation liée à sa participation à l’Assemblée du Royaume d’Iran, un groupe d’opposition établi en dehors de l’Iran qui prône le renversement de la République islamique. Les autorités chargées des poursuites ont privé Jamshid Sharmahd de son droit d’être défendu par l’avocat de son choix, et il a dû accepter un défenseur figurant sur une liste approuvée par le responsable du pouvoir judiciaire. Cet avocat n’a été averti que 24 heures avant la première audience, qui a eu lieu le 6 février 2022, et n’a rencontré Jamshid Sharmahd qu’à deux reprises, en violation de son droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Les autorités refusent de révéler le lieu de détention de Jamshid Sharmahd à sa famille comme à son avocat ; en conséquence, il est soustrait à la protection de la loi et court un risque élevé de subir des actes de torture et d’autres mauvais traitements, notamment de se voir refuser des soins médicaux spécialisés et un traitement quotidien pour les graves problèmes de santé dont il souffre - diabète, troubles cardiaques et maladie de Parkinson, notamment. 

Depuis son arrestation, la télévision d’État, en violation du droit à la présomption d’innocence et du droit de ne pas témoigner contre soi-même, a diffusé des vidéos de propagande dans lesquelles Jamshid Sharmahd « avoue » avoir joué un rôle dans un attentat commis en avril 2008 à Chiraz (province du Fars), qui a fait 14 morts. La famille de Jamshid Sharmahd a démenti sa participation à des actes de violence. Les tribunaux révolutionnaires prononcent des condamnations à mort à l’issue de procès iniques, au cours desquels des « aveux » forcés sont utilisés à titre de preuve pour déclarer des personnes coupables, même lorsque celles-ci se rétractent devant le tribunal et disent avoir « avoué » sous la torture, ce qui avive les craintes que Jamshid Sharmahd ne soit condamné à mort à l’issue d’un procès inéquitable. Les autorités iraniennes utilisent de plus en plus souvent la peine de mort comme arme de répression politique, notamment contre les personnes dissidentes, et s’appuient sur des chefs d’accusation renvoyant à des infractions telles que la « corruption sur terre », qui ne sont pas clairement définies par la législation et sont contraires au principe de légalité. Une détention fondée sur des infractions définies de façon vague ou trop générale peut être considérée comme arbitraire en vertu du droit international.

Je vous prie instamment de révéler immédiatement où se trouve Jamhid Sharmah. Celui-ci, compte tenu de son âge et de ses antécédents médicaux, court un risque accru de maladie grave ou de décès s’il contracte le COVID-19 en détention. Aussi, et étant donné qu’il est soumis à une détention arbitraire, je vous appelle à le remettre en liberté. Dans l’attente de sa libération, je vous prie de veiller à ce qu’il puisse communiquer régulièrement avec ses proches, recevoir des soins médicaux adaptés, consulter l’avocat de son choix et bénéficier de l’assistance consulaire des autorités allemandes. Je vous engage également à veiller à ce que son procès soit mené de façon conforme aux normes internationales d’équité, sur la base d’infractions clairement définies et reconnues par le droit international, et dans le cadre de procédures excluant tant les « aveux » obtenus sous la contrainte que le recours à la peine de mort.

Veuillez agréer, Monsieur le Responsable du système judiciaire, l'expression de ma haute considération,

 

APPELS À

Responsable du pouvoir judiciaire
Gholamhossein Mohseni Ejei
c/o Embassy of Iran to the European Union
Avenue Franklin Roosevelt No. 15, 1050 Bruxelles, Belgique

COPIES À

 

Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca