• Iran

Un militant soumis à une disparition forcée depuis plusieurs mois

CONTEXTE

Ebrahim Babaei, militant politique, a été soumis à une disparition forcée par les autorités iraniennes le 21 décembre 2021, alors qu’il tentait de fuir l’Iran pour échapper à des peines iniques d’emprisonnement et de flagellation. Sa famille ignore le sort qui lui a été réservé et le lieu où il se trouve, et il risque de subir des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements. 

Après la disparition d’Ebrahim Babaei, les passeurs, dans un premier temps, ont dit à sa famille qu’il se trouvait dans la ville de Van, en Turquie. Quelques jours plus tard, ils ont affirmé qu’il était mort chez l’un des passeurs, près de Van, et que son corps était sous la garde de la police turque, qui l’avait transféré dans un hôpital où une autopsie avait été pratiquée. Les passeurs ont finalement dit à Shima Babaei, sa fille, qu’il était mort à Ozalp, un village turc reculé situé à une quinzaine de kilomètres de la frontière avec l’Iran, et qu’elle devait venir y chercher sa dépouille. L’avocat de la famille en Turquie a fait des démarches auprès des autorités turques pour vérifier ces allégations, notamment auprès des morgues, des hôpitaux et des forces de sécurité de Van, du conseil municipal et de la police d’Ozalp, ainsi que des gardes-frontières turcs. Les autorités, selon lui, ont cependant affirmé n’avoir reçu aucun corps correspondant à la description d’Ebrahim Babaei pendant cette période. Elles ont également dit à l’avocat qu’Ebrahim Babaei, d’après les résultats de leurs investigations, n’était jamais entré en Turquie. 


Par le passé, l’exercice pacifique de ses droits humains a valu à Ebrahim Babaei des années d’arrestations et de détentions arbitraires, de procès iniques, d’actes de torture et d’autres mauvais traitements en Iran. Il lui était notamment reproché d’avoir mené des activités militantes politiques pacifiques, et d’avoir soutenu publiquement la campagne menée par Shima Babaei, sa fille, contre la législation iranienne abusive sur le port obligatoire du voile, avant qu’elle ne fuie l’Iran, en 2018. Ebrahim Babaei a été arrêté pour la première fois à Sari, dans la province du Mazandéran, le 2 février 1984. Il a passé 16 mois dans la prison de Sari après avoir été déclaré coupable de fausses accusations liées à la sécurité nationale, pour avoir lu des tracts « hostiles à la République islamique » et avoir été en possession de livres interdits. Au cours des vingt années qui ont suivi, les autorités l’ont convoqué à maintes reprises pour l’interroger sur ses activités militantes politiques, le retenant pendant plusieurs heures à chaque fois. 


Ebrahim Babaei a de nouveau été arrêté le 7 février 2010, pour avoir participé pacifiquement à des manifestations en décembre 2009. Il a été retenu dans une « planque » pendant plusieurs jours avant d’être transféré à la prison d’Evin, à Téhéran, où il a été détenu à l’isolement prolongé pendant environ quatre mois et a fait l’objet de transferts entre les sections 209 et 240 et l’unité générale de la prison. Sa santé s’est détériorée pendant sa détention, car il a été privé des soins médicaux spécifiques qui lui étaient nécessaires, notamment pour une blessure chronique à la jambe subie pendant son service militaire au cours de la guerre Iran-Irak. Il ne pouvait se déplacer sans dispositif d’aide à la marche et l’assistance d’autres détenus. Il a été libéré sous caution vers le mois de décembre 2010. Peu de temps avant cette libération, il a été déféré à un tribunal révolutionnaire siégeant à Téhéran, pour répondre d’accusations liées à sa participation pacifique aux manifestations de décembre 2009. En 2011, alors qu'il était encore en liberté sous caution, il a été condamné à cinq ans, neuf mois et un jour d’emprisonnement et à 74 coups de fouet pour « rassemblement et collusion en vue de commettre des crimes contre la sécurité nationale », « diffusion de propagande contre le régime » et « trouble à l’opinion publique ». Il a de nouveau été arrêté en octobre 2011 pour commencer à purger sa peine. Il a passé une partie de sa peine d’emprisonnement en « exil intérieur » dans la prison de Rajai Shahr, à Karaj, dans la province d’Alborz, et le reste de sa peine à la prison d’Evin. Sa peine de 74 coups de fouet a été appliquée le 13 août 2013 à la prison d’Evin. Il a été libéré en septembre 2013, après avoir été gracié en raison de son état de santé. 


Pendant qu’il était incarcéré dans la prison de Rajai Shahr, Ebrahim Babaei a découvert que les autorités avaient ouvert une autre affaire contre lui sans l’en informer, et l’avaient condamné par contumace à une peine de cinq ans d’emprisonnement avec sursis pour des activités pacifiques menées en prison. Il lui était notamment reproché d’avoir pris part à des grèves de la faim collectives observées par des codétenus emprisonnés pour des raisons politiques, et rédigé des déclarations communes sur les conditions de détention. En septembre 2018, il a également été condamné à 74 coups de fouet dans le cadre d’une affaire distincte, en raison du soutien qu’il avait apporté à Shima Babaei. Au cours des mois qui ont précédé sa tentative de fuite d’Iran, Ebrahim Babaei a vécu dans la clandestinité. Il craignait que les autorités ne cherchent à le localiser, à l’arrêter et à appliquer ses peines en instance.  


La disparition forcée, qui constitue un crime en vertu du droit international, est l’arrestation, la détention ou l’enlèvement d’une personne par des agents de l’État, ou par des personnes qui agissent avec l’autorisation, l’appui ou l’acquiescement de l’État, suivi du déni de la reconnaissance de la privation de liberté ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue ou du lieu où elle se trouve, la soustrayant à la protection de la loi. Les lieux de détention non officiels en Iran échappent totalement à la protection de la loi et facilitent les disparitions forcées et d’autres crimes et violations des droits humains, notamment la torture et les autres formes de mauvais traitements. Il s’agit souvent de maisons ou d’immeubles d’habitation qui sont reconvertis illégalement en lieux de détention par les services de renseignement et de sécurité, le plus souvent par le ministère du Renseignement ou le service de renseignement des pasdaran (gardiens de la révolution). Ces centres de détention secrets ne sont pas entregistrés auprès de l’Organisation des prisons et les personnes détenues et leurs proches ne parviennent jamais à savoir à quel endroit précis ils se trouvent. Les membres des services de sécurité et de renseignement les appellent familièrement des « planques » (khanehay-e amn). La détention de personnes dans de tels lieux est rendue possible par un cadre juridique déficient, qui ne permet pas d’assurer une surveillance appropriée de l’ensemble des prisons et centres de détention et de garantir que les autorités présumées responsables de violations des droits humains soient soumises à l’obligation de rendre des comptes.
 

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Responsable du système judiciaire,    

Ebrahim Babaei, militant politique, 56 ans, fait toujours l’objet d’une disparition forcée, plus de quatre mois après avoir tenté de fuir l’Iran - où il était sous le coup de peines d’emprisonnement et de flagellation - pour demander l’asile en Turquie. Il a été en contact régulier avec ses proches et ses amis jusqu’au 21 décembre 2021, date à laquelle ses messages ont subitement cessé. Ce jour-là, il avait dit à sa famille et à ses amis qu’il se trouvait à Maku, dans la province de l’Azerbaïdjan occidental, et qu’il reprendrait contact dès que les passeurs l’auraient informé qu’ils allaient partir vers la frontière avec la Turquie. Personne n’a eu de ses nouvelles depuis lors, et les passeurs ont donné des informations contradictoires sur son sort à sa famille. Après sa disparition, ses proches à Téhéran se sont rendus à la prison d’Evin et au Service des enquêtes de la police iranienne (Agahi), à Téhéran, pour s’enquérir de son sort et du lieu où il se trouvait, mais le personnel a refusé de leur donner des informations et de leur dire s’il était détenu ou non. La police de Téhéran a également refusé d’enregistrer Ebrahim Babaei dans le fichier des personnes disparues. Ce n’est qu’au bout de plusieurs semaines qu’un proche établi à Miandorud, dans la province du Mazandéran, a enfin pu enregistrer sa disparition auprès des autorités locales, leur communiquant des informations détaillées sur sa disparition, y compris les coordonnées des passeurs. Depuis lors, les autorités judiciaires de Miandorud ont transféré le dossier à celles de Maku, mais les autorités n’ont ouvert aucune enquête et ont refusé d’interroger les passeurs. La famille d’Ebrahim Babaei a d’abord appris de manière non officielle, par un membre des services de renseignement, qu’il était vivant. Un autre membre des services de renseignement a par la suite dit à la famille de manière informelle qu’Ebrahim Babaei se trouvait dans des centres de détention secrets dits « planques » (khanehay-e amn), information qui a été confirmée par une troisième source étroitement liée aux services de renseignement et de sécurité. Pourtant, à ce jour, aucun organe de l’État n’a confirmé sa détention, et face aux démarches incessantes menées par ses proches pour obtenir des informations sur son sort et sur l’endroit où il se trouve, la réponse officielle des autorités a été qu’ils devaient s’en aller et attendre qu’elles les contactent. 

Amnistie internationale a déjà rassemblé des informations montrant que des personnes dissidentes étaient soumises à des disparitions forcées et à d’autres crimes et graves violations des droits humains par les services de renseignement et de sécurité dans les « planques », et notamment que la torture et d’autres mauvais traitements y étaient systématiquement utilisés pour extorquer des « aveux » destinés à servir de base à des condamnations lors de procès iniques. Ebrahim Babaei est un militant de longue date. Il a été condamné à une peine de prison et à une peine de flagellation dans deux affaires distinctes liées à ses activités militantes pacifiques. Le soutien qu’il a apporté à la campagne menée par la militante des droits des femmes Shima Babaei, sa fille, contre la législation iranienne discriminatoire, dégradante et abusive sur le port obligatoire du voile, a ainsi valu à cet homme une condamnation à 74 coups de fouet. Ebrahim Babaei a plusieurs problèmes de santé pour lesquels il a besoin de soins médicaux et de médicaments, notamment des troubles cardiaques, une blessure chronique à la jambe et des troubles de la santé mentale.

Je vous prie instamment de révéler immédiatement le sort qui a été réservé à Ebrahim Babaei et le lieu où il se trouve, et de libérer cet homme dans les meilleurs délais et sans condition, car il est détenu uniquement pour avoir exercé pacifiquement ses droits fondamentaux à la liberté d’expression, d’association et de réunion. Dans l’attente de sa libération, je vous engage à veiller à ce qu’il soit transféré dans un lieu de détention officiel et protégé contre la disparition forcée, la torture et les autres mauvais traitements, et à ce qu’il puisse régulièrement voir ses proches, consulter l’avocat de son choix et bénéficier d’une prise en charge médicale adaptée.

Veuillez agréer, Monsieur le Responsable du système judiciaire, l'expression de ma haute considération,
 

 

APPELS À

 

Responsable du pouvoir judiciaire
Gholamhossein Mohseni Ejei
c/o Embassy of Iran to the European Union
Avenue Franklin Roosevelt No. 15, 1050 Bruxelles, Belgique
 

COPIES À


Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  melanie.joly@parl.gc.ca