Deux femmes risquent une lourde peine de prison pour « atteinte aux bonnes mœurs »
CONTEXTE
Deux influenceuses égyptiennes, Hanin Hossam et Mawada el Adham, sont détenues arbitrairement depuis que le tribunal pénal du Caire, en juin 2021, les a déclarées coupables d’incitation à des contenus « contraires aux bonnes mœurs », de traite d’êtres humains et d’autres charges infondées et les a condamnées à de lourdes peines de prison. L’appel formé par Mawada el Adham contre sa condamnation est en instance. Hanin Hossam fait actuellement l’objet d’un nouveau procès, comme le prévoit le droit égyptien pour les personnes déclarées coupables en leur absence. Ces deux femmes doivent être libérées immédiatement, car elles sont sanctionnées uniquement pour avoir exercé pacifiquement leurs droits humains.
À partir du mois d’avril 2020, les autorités égyptiennes ont intensifié la répression contre les influenceuses sur les réseaux sociaux, dans le but évident de contrôler le comportement et le corps des femmes et de limiter leur aptitude à gagner leur vie de manière indépendante. Depuis lors, 10 influenceuses TikTok ont été arrêtées et inculpées d’infraction à la législation draconienne sur la cybercriminalité et à d’autres dispositions légales très vagues ayant trait aux « bonnes mœurs » et à l’« incitation à l’immoralité ». Les influenceuses poursuivies ont toutes de nombreux abonné·e·s sur les réseaux sociaux, allant de centaines de milliers à plusieurs millions. Neuf de ces 10 femmes ont été condamnées à une peine allant de deux à 10 ans de prison et à de lourdes amendes sur la base de charges infondées, entre autres liées à la morale, et au moins sept d’entre elles étaient toujours injustement emprisonnées au moment de la rédaction de la présente mise à jour. Elles ont été arrêtées à la suite de plaintes déposées principalement par des créateurs masculins de contenu soi-disant outrés par leur comportement, et d’investigations menées par le service du ministère de l’Intérieur en charge des bonnes mœurs. Selon le rapport d’enquête de la police concernant Hanin Hossam, qu’Amnesty International a pu consulter, le rôle de ce service consiste à « poursuivre les personnes qui utilisent des applications en ligne et des sites Internet dans le but de publier des contenus incitant les citoyens, particulièrement les jeunes, à agir d’une manière qui va à l’encontre des coutumes et des traditions, ou à diffuser des idées et des actes d’immoralité et de débauche au sein de la société ». Le parquet, le 29 avril 2020, a publié une déclaration « réaffirm[ant] sa détermination à poursuivre le combat contre les crimes honteux qui bafouent les principes et les valeurs de notre société », et a fait savoir de nouveau, le 2 mai 2020, que l’Égypte protégeait « la nouvelle cyberfrontière [...] piétinée par les forces du mal ».
Les autorités, dans un premier temps, ont appréhendé Hanin Hossam le 21 avril 2020 et Mawada el Adham le 14 mai 2020, et les ont déférées à la justice pour « violation des principes et des valeurs de la famille » et incitation aux « atteintes aux bonnes mœurs » et à la « débauche ». Le 27 juillet 2020, un tribunal chargé des affaires économiques au Caire les a déclarées coupables et condamnées à deux ans de prison et à une amende de 300 000 livres égyptiennes chacune (environ 16 300 euros). Le 12 janvier 2021, une cour d’appel a acquitté Hanin Hossam pour manque d’éléments à charge et a commué la peine de Mawada el Adham en une amende.
Cependant, le parquet a retenu d’autres chefs d’inculpation à leur encontre, notamment celui de traite d’êtres humains, et les a renvoyées devant un tribunal pénal. Selon le jugement rendu par le tribunal pénal du Caire le 20 juin 2021, le tribunal s’est appuyé sur des vidéos qualifiées d’« immorales » pour les déclarer coupables, notamment sur une vidéo de Mawada el Adham « dansant en public vêtue d’une tenue contraire aux bonnes mœurs pour séduire » et sur une vidéo publicitaire de Hanin Hossam « incitant à l’immoralité [...] pour en tirer profit ». Dans la vidéo Instagram qui lui a valu d’être condamnée, Hanin Hossam, qui compte plus d’un million d’abonné·e·s sur TikTok, encourageait les femmes de plus de 18 ans à poster des vidéos d’elles-mêmes sur l’application Likee, qui est monétisée en fonction du nombre de vues. Mawada el Adham, qui cumule plus de trois millions d’abonné·e·s sur TikTok, a été condamnée sur la base de vidéos TikTok la montrant en train de danser avec une fillette de six ans et de lui demander en plaisantant si elle a un petit copain. Au tribunal, les parents de la fillette ont soulevé la question de leur consentement s’agissant de poster les vidéos en ligne.
Après le jugement rendu par le tribunal pénal du Caire le 20 juin 2021, Hanin Hossam est apparue dans une vidéo sur Instagram, dans laquelle elle a exprimé son désarroi face à la lourde peine à son encontre et s’est adressée au président : « Qu’est-ce que j’ai fait ? Dix ans ! Depuis que j’ai été libérée [après neuf mois de détention provisoire], je ne me suis pas exprimée, je ne me suis pas plainte et je n’ai pas dit que j’étais détenue injustement ni que j’avais souffert. […] Pourquoi voulez-vous me remettre derrière les barreaux ? » Elle a également dit ne pas comprendre pourquoi elle était sanctionnée pour avoir participé à la promotion de l’application Likee, celle-ci étant légale en Égypte. Hanin Hossam, qui avait été libérée sous caution le 2 février 2021 après avoir été mise hors de cause dans la première affaire, a de nouveau été arrêtée le 22 juin 2021.
Selon le rapport de police sur cette affaire en date du 23 avril 2020, qu’Amnesty International a pu examiner, 10 suspects ont été accusés de « constitution d’un groupe criminel », dont quatre cadres chinois de l’entreprise Bigo Limited, qui détient l’application Likee. L’entreprise est enregistrée légalement en Égypte et les investigations menées sur ses cadres sont closes. Lors d’une rencontre avec l’ambassadeur de Chine au Caire le 30 août 2020, le parquet a confirmé qu’aucune action judiciaire n’avait été intentée contre l’entreprise et ses cadres « à la lumière de la différence entre responsabilité personnelle et responsabilité de l’entreprise ». L’ambassadeur de Chine a exprimé son respect pour les coutumes et les traditions de la société égyptienne. Le 20 juin 2021, trois hommes égyptiens ont été déclarés coupables et condamnés à six ans de prison et à une amende de 200 000 livres égyptiennes (environ 11 000 euros) chacun dans le cadre de la même affaire, supposément pour avoir aidé Hanin Hossam et Mawada al Adham à se livrer à la traite d’êtres humains.
LETTRE À ENVOYER
Monsieur le Président de la République,
Les influenceuses Hanin Hossam, 23 ans, et Mawada el Adham, 21 ans, purgent de lourdes et injustes peines de prison, auxquelles le tribunal pénal du Caire les a condamnées après les avoir déclarées coupables, en juin 2021, d’avoir incité des jeunes femmes à diffuser sur les réseaux sociaux des contenus « contraires aux bonnes mœurs » pour gagner de l’argent, et d’avoir commis des actes d’exploitation commerciale et de traite d’êtres humains, entre autres infractions. Amnesty International estime que ces jeunes femmes sont sanctionnées en raison de la manière dont elles dansent, parlent, s’habillent et tentent d’« influencer » le public sur Internet, dans le cadre de la répression menée par les autorités contre la liberté d’expression des femmes et des mesures visant à réglementer leur comportement en ligne. L’Organisation a examiné les vidéos sur lesquelles leur déclaration de culpabilité est fondée, ainsi que leur jugement, et n’a trouvé aucun élément de preuve crédible permettant d’établir un lien entre ces deux femmes et des actes constitutifs de traite des personnes (telle que définie par le Protocole des Nations unies visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes) ou d’autres infractions pénales reconnues par le droit international.
Lors du prononcé du jugement, le juge présidant le tribunal a ouvertement exprimé ses préjugés et son hostilité à l’égard des deux femmes, les accusant de saper les valeurs morales de la nation et les mettant en garde contre l’utilisation des réseaux sociaux dans le but de porter préjudice aux valeurs égyptiennes. L’appel formé par Mawada el Adham contre sa condamnation à six ans d’emprisonnement est en instance. Hanin Hossam, condamnée en son absence à 10 ans de réclusion, fait actuellement l’objet d’un nouveau procès, conformément au Code égyptien de procédure pénale, qui autorise les personnes condamnées par contumace à demander à être de nouveau jugées. Amnesty International est inquiète pour la santé mentale de Hanin Hossam, celle-ci ayant exprimé son désespoir à maintes reprises au cours des audiences. Le 20 décembre 2021, Hanin Hossam a dit au juge présidant le procès : « Je vis dans un cloaque, un vrai cloaque, et j’agonise 100 fois par jour parce que je n’ai plus d’avenir ». Sa prochaine audience est programmée pour le 22 mars 2022. Au 18 mars 2022, les deux femmes étaient incarcérées dans la prison pour femmes d’al Qanater.
Je vous prie instamment d’annuler la déclaration de culpabilité et la peine de Hanin Hossam et de Mawada el Adham et de les libérer immédiatement, car elles sont sanctionnées pour leur comportement en ligne au nom de la « morale » et des « bonnes mœurs ». Je vous demande également de protéger leurs droits à la vie privée, à la liberté d’expression, à la non-discrimination et à l’autonomie corporelle, et, plus généralement, de mettre fin à la répression qui vise les influenceuses en Égypte.
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma haute considération,
APPELS À
Président de la République
Abdel Fattah al-Sisi
Office of the President
Al Ittihadia Palace
Cairo, Égypte
Fax : +202 2391 1441
Courriel :p.spokesman@op.gov.eg
Twitter : @AlsisiOfficial
COPIES À
Son Excellence M. Ahmed Mahmoud A. ABU ZEID (m)
Ambassadeur
Ambassade de la République arabe d'Égypte
150 Metcalfe Street, Suite 1100
Ottawa, ON K2P 1P1
Canada
Tel: (613) 368-4911
Email: egyptembottawa@gmail.com
Mélanie Joly
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: melanie.joly@parl.gc.ca