• Indonésie

Des défenseurs de l’environnement risquent d’être incarcérés

CONTEXTE

Syamsul Bahri et Samsir, père et fils, membres d’une communauté paysanne dans la province de Sumatra-Nord, ont été déclarés coupables de coups et blessures à l’issue d’un procès qui a duré plusieurs semaines pour une accusation infondée, qui aurait été forgée de toutes pièces et liée à leur travail en tant que défenseurs de l’environnement. Ils ont été condamnés à deux mois de prison, mais ne seront incarcérés que s’ils commettent des infractions pénales au cours de leurs quatre mois de mise à l’épreuve. Cependant, ils risquent désormais d’être incarcérés car le Bureau du procureur du kabupaten de Langkat a fait appel de la décision rendue par le tribunal.

 

Syamsul Bahri et Samsir ont été arrêtés le 10 février 2021 et ont passé 14 jours en prison avant d’être libérés sous caution par la police le 24 février. Le tribunal de district de Stabat, dans la province de Sumatra-Nord, a ouvert leur procès le 29 mars et prononcé le verdict le 31 mai, déclarant Syamsul Bahri et Samsir coupables d’agression. Tous deux ont été condamnés à une peine de deux mois de prison assortie de quatre mois de mise à l’épreuve, ce qui leur épargne l’incarcération. Cette sentence est plus légère que la requête initiale du procureur, qui avait demandé six mois d’emprisonnement. Leur famille et leurs avocats avaient au départ accepté le jugement, mais ont décidé, après que le procureur a fait appel, de déposer un contre-appel.

Fin 2017, le gouvernement a accordé à la communauté paysanne de Nipah le droit de gérer un terrain de 242 hectares dans le village de Kwala Serapuh, dans la province de Sumatra-Nord, pour une utilisation durable au titre d’un permis forestier social. La communauté travaille depuis lors à réhabiliter les forêts de mangrove dans ce secteur. Elle proteste contre les activités d’une entreprise d’huile de palme qui détient une plantation sur les terres que la communauté assure avoir le droit de gérer.

L’accusation a déposé plainte contre Syamsul Bahri et Samsir en décembre 2020, alors que les membres de la communauté paysanne de Nipah travaillaient sur un projet de réhabilitation environnementale sur les terres qu’ils gèrent au titre du programme forestier social. Selon des témoignages recueillis par des ONG locales, notamment WALHI North Sumatra, LBH Medan et Srikandi Lestari, deux personnes sont arrivées sur site le 18 décembre et ont commencé à prendre des photos de leurs activités.

Syamsul Bahri, président de la communauté, a questionné ces deux personnes sur les raisons qui les amenaient dans la zone. Ensuite, l’un des deux s’est éloigné et a appelé un ami en disant qu’il était « en train de se faire rouer de coups », d’une voix forte pour que les autres puissent l’entendre, avant de sauter dans la rivière. Des membres de la communauté paysanne de Nipah l’ont secouru en bateau et l’ont mis en sécurité avant de lui demander de clarifier les propos qu’il avait tenus lors de cet appel téléphonique. Il a alors répondu qu’il n’avait été frappé par aucun membre de la communauté et cette déclaration a été enregistrée par un membre de la communauté. Son ami est venu le récupérer peu de temps après.

Le 8 février 2021, Syamsul Bahri et Samsir ont reçu une lettre de convocation de la police de Tanjung Pura leur demandant de se présenter pour être interrogés le 10 février en tant que suspects concernant les accusations portées par l’un des hommes qui avait déposé plainte auprès de la police, affirmant que Syamsul et d’autres paysans l’avaient agressé le 18 décembre 2020. Syamsul Bahri et Samsir ont été inculpés au titre de l’article 170 (1) du Code pénal sur la violence collective. La procédure légale a soulevé des interrogations, car Syamsul et Samsir n’avaient jamais été interrogés en tant que témoins ni questionnés sur ce qui s’était passé auparavant.

Les ONG qui défendent le dossier estiment que les allégations sont fondées sur de fausses accusations visant Syamsul Bahri et Samsir et sont une forme de pénalisation qui a pour objectif d’étouffer le travail que réalise la communauté pour préserver les forêts de mangrove et revendiquer ses droits liés à l’accès à la terre. Selon leurs avocats, aucun élément de preuve fiable n’a été présenté lors du procès permettant de démontrer leur implication dans une activité criminelle, à savoir les allégations de coups et blessures, qui ont été inventées par l’homme qui les a signalées.

En Indonésie, les défenseur·e·s de l’environnement sont de plus en plus harcelés et pénalisés lorsque des acteurs étatiques et économiques perçoivent leurs activités comme un obstacle à la mise en place de politiques de développement. L’un des cas les plus notables de criminalisation s’est déroulé en 2017 avec la condamnation du militant écologiste Heri Budiawan, alias Budi Pego, à quatre ans de prison pour diffusion de l’idéologie communiste, en lien avec ses actions de protestation contre les activité minières aurifères à Tumpang Pitu, dans le kabupaten de Banyuwangi, dans la province de Java-Est.

De janvier à juin 2021, Amnistie internationale a recensé au moins 107 cas de défenseur·e·s des droits humains arrêtés, agressés ou victimes d’intimidation en Indonésie, dont des défenseur·e·s de l’environnement mobilisés pour leurs droits liés à l’accès à la terre et leur droit à un environnement sain.

LETTRE À ENVOYER

Monsieur le Procureur,

Je suis vivement préoccupé·e par la décision du Bureau du procureur du kabupaten de Langkat de faire appel du jugement prononcé contre Syamsul Bahri et Samsir, membres de la communauté paysanne de Nipah, dans la province de Sumatra-Nord. Selon les informations obtenues par Amnesty International, aucune preuve fiable n’a été présentée durant le procès permettant de démontrer clairement leur implication dans une activité criminelle. Inculpés de charges semble-t-il infondées, ces hommes auraient été pris pour cibles en raison de leur travail en tant que défenseurs des droits relatifs à l’environnement.

En tant qu’individus préservant pacifiquement l’environnement et défendant leur accès à la terre, Syamsul Bahri et Samsir devraient être protégés, conformément à l’article 66 de la Loi n° 32/2009 sur la protection et la gestion de l’environnement, qui précise que « toute personne qui défend le droit à un environnement bon et sain ne pourra faire l’objet de poursuites pénales ou civiles ». Les poursuites pénales engagées à leur encontre bafouent leurs droits, mais placent aussi le travail et les droits de tous les défenseur·e·s des droits humains en Indonésie en grand péril.

Je pense que Syamsul Bahri et Samsir n’auraient jamais dû être condamnés. Par conséquent, si le verdict leur épargne la prison, je trouve la décision du procureur de faire appel très choquante car je crains qu’ils ne soient emprisonnés à tort. En outre, la propagation du COVID-19 dans les prisons mettrait leur santé en danger, particulièrement celle de Syamsul Bahri, qui souffre de diabète et de cholestérol et a besoin d’un traitement régulier.

Aussi je vous prie instamment de faire en sorte que cet appel soit abandonné. J’invite également les autorités à veiller à ce que tous les défenseur·e·s des droits humains dans le pays puissent mener leurs activités pacifiques sans crainte de harcèlement, d’intimidation, de persécutions, de détention arbitraire ou d’incarcération, conformément à l’article 66 de la Loi n° 32/2009.

Veuillez agréer, Monsieur le Procureur, l'expression de ma haute considération,

APPELS À

Muttaqin Harahap, S.H., M.H.
Head of Langkat Regency Prosecutor’s Office
Jl. Proklamasi No.51, Kwala Bingai, Stabat District,
Langkat Regency, North Sumatra, Indonésie (20811)
Téléphone/Fax : (+62) 61 891 0166
Twitter et Instagram : @Kejarilangkat

COPIES À

M. Yulastiawarman ZAKARIA (m)
Ministre et Chargé d'affaires, a.i.
Ambassade de la République d'Indonésie
55 Parkdale Avenue
Ottawa, ON K1Y 1E5
Canada
Tel: (613) 724-1100 Fax: (613) 724-1105, 4959
Email: publicaffairs@indonesia-ottawa.org

Marc Garneau
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  marc.garneau@parl.gc.ca