Un kurde torturé risque d'être exécuté

Le prisonnier kurde iranien Heidar Ghorbani, 47 ans, risque d’être exécuté pour « rébellion armée contre l'État » (baghi), malgré de graves violations des normes relatives à l’équité des procès et alors que le tribunal a confirmé qu’il n’était pas armé.
Sa condamnation est basée sur des « aveux » entachés par la torture, qui lui ont été soustraits alors qu’il était soumis à une disparition forcée. Les autorités doivent annuler sa condamnation et lui octroyer un nouveau procès conforme cette fois aux règles d’équité.
En Iran, au cours des derniers mois, le recours à la peine de mort s’est accru dans des proportions alarmantes contre les manifestant·e·s, les dissident·e·s et les membres de minorités. Amnistie internationale craint que les condamnés à mort issus des groupes ethniques défavorisés en Iran ne soient particulièrement ciblés, étant donné que les autorités tendent à exécuter ce type de condamnés lorsqu’elles redoutent des mouvements de protestation populaires.
L’article 104 du Code pénal islamique de l’Iran dispose que : « Tout groupe prenant les armes contre les fondements de la République islamique d’Iran est considéré comme baghi et, s’ils venaient à recourir aux armes, ses membres seraient alors condamnés à mort. » Selon les informations enregistrées dans le dossier de Heidar Ghorbani et obtenues par Amnistie internationale, le juge d’instruction dans cette affaire, qui travaille pour le parquet de la province du Kurdistan, a indiqué par écrit le 1er février 2017 qu’il n’existait aucun élément permettant d’inculper Heidar Ghorbani de « rébellion armée contre l'État » (baghi). Cependant, le procureur a insisté pour que ce chef d’accusation soit inclus dans l’acte d’accusation, apparemment sous l’influence d’organes de sécurité et du renseignement.
Le 12 septembre 2020, les avocats de Heidar Ghorbani ont demandé au responsable du pouvoir judiciaire d’exercer les pouvoirs que lui accorde l’article 477 du Code de procédure pénale afin d’ordonner une révision de cette affaire au motif que le verdict qui a été rendu est manifestement contraire aux dispositions du droit iranien et de la charia.
Heidar Ghorbani a été arrêté le 12 octobre 2016 par une dizaine d’agents du ministère du Renseignement qui ont effectué une descente chez lui et n’ont pas présenté de mandat d’arrêt. Pendant presque trois mois, sa famille n’a obtenu aucune information sur ce qui lui était arrivé et le lieu où il se trouvait, ignorant même s’il était mort ou toujours en vie. Le 5 janvier 2017, il a été autorisé à appeler brièvement sa famille, mais le lieu où il se trouvait a continué d’être tenu secret. Après cet appel téléphonique, sa famille a continué d’ignorer ce qu’il était advenu de lui et le lieu où il se trouvait jusqu’en avril 2017, au moment de son transfert dans la prison centrale de Sanandaj, dans la province du Kurdistan. À la suite de son transfert dans la prison de Sanandaj, Heidar Ghorbani a révélé que pendant sa disparition forcée il avait été détenu pendant plusieurs jours dans un centre de détention à Kamyaran, dans la province du Kurdistan, tenu par l’Unité d’enquête de la police iranienne (Agahi), puis transféré dans un centre de détention du ministère du Renseignement à Sanandaj, où il a été maintenu en détention à l'isolement pendant plusieurs mois. Le 8 mars 2017, Press TV, une chaîne publique iranienne qui diffuse des émissions en anglais, a diffusé une vidéo de propagande intitulé « The Driver of Death » (« Le conducteur de la mort »), présentant les « aveux » forcés d’Heidar Ghorbani, sans qu’il le sache. Les autorités ont violé non seulement le droit à la présomption d’innocence et le droit de garder le silence pendant les interrogatoires et le procès, mais aussi l’interdiction absolue de la torture et des autres traitements cruels, inhumains ou dégradants énoncée par le droit international, en raison de l’angoisse dans laquelle vivent les détenus et leur famille à cause de telles vidéos d’« aveux » qui de façon générale déshumanisent et diabolisent les victimes, et qui prétendent démontrer leur « culpabilité » pour de graves infractions.
Outre son procès devant le tribunal révolutionnaire, Heidar Ghorbani a également été jugé devant la première chambre du premier tribunal pénal de la province du Kurdistan pour complicité de meurtre, tentative d’enlèvement et pour avoir aidé les auteurs directs à s’échapper. À l’issue de son procès, il a été condamné le 6 octobre 2019 à un total de 118 années et six mois d’emprisonnement, et à 200 coups de fouet.
Étant donné le caractère irréversible de la peine capitale, la procédure dans les affaires où elle peut être prononcée doit être rigoureusement conforme à toutes les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable, quelle que soit la gravité du crime commis. Toute personne qui encourt la peine de mort doit bénéficier des services d’un avocat compétent à tous les stades de la procédure. Elle doit être présumée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été établie sur la base d'éléments sans équivoque et convaincants ne laissant aucune place à une autre interprétation des faits, conformément aux normes les plus strictes en matière de collecte et d'évaluation des preuves. De plus, toutes les circonstances atténuantes doivent être prises en compte. La procédure doit garantir le droit à un réexamen devant une juridiction supérieure aussi bien des éléments factuels que des aspects juridiques de l’affaire. L’application de la peine de mort à l’issue d’une procédure qui contrevient gravement aux normes d’équité des procès constitue une privation arbitraire du droit à la vie, voire une exécution extrajudiciaire.
Amnistie internationale s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, quelles que soient la nature du crime commis, les caractéristiques de son auteur et la méthode d’exécution utilisée par l’État. La peine de mort est une violation du droit à la vie, et le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit. Amnistie internationale ne cesse d’appeler tous les pays où ce châtiment est encore en vigueur, y compris l’Iran, à instaurer un moratoire officiel sur les exécutions, en vue de l’abolition totale de la peine de mort.
LETTRE
Monsieur,
Heidar Ghorbani, membre de la minorité kurde d’Iran condamné à mort et détenu dans la prison de Sanandaj, dans la province du Kurdistan, risque d’être exécuté. La 27e chambre de la Cour suprême iranienne a confirmé sa condamnation à mort le 6 août 2020, malgré les nombreuses violations de la procédure et irrégularités en matière de preuve signalées par ses avocats. Le 5 septembre 2020, la Cour suprême a rejeté sa demande de révision judiciaire.
Le 21 janvier 2020, le tribunal révolutionnaire de Sanandaj a déclaré Heidar Ghorbani coupable de « rébellion armée contre l'État » et l’a condamné à mort dans l’affaire du meurtre, en septembre et octobre 2016, de trois hommes, qui auraient été affiliés aux forces paramilitaires des bassidjis, par des individus affiliés au Parti démocratique kurde d'Iran, un groupe d’opposition armé kurde. Dans son verdict, le tribunal a reconnu qu’Heidar Ghorbani n’avait jamais porté d’arme. Il s’est par contre basé sur des déclarations entachées par la torture dans lesquelles cet homme aurait « avoué » avoir apporté son soutien aux auteurs de ces meurtres, notamment en les emmenant en véhicule sur les lieux des homicides et en les ramenant.
Amnistie internationale rappelle que le verdict qui a été rendu viole à la fois les obligations de l’Iran au titre du droit international, qui limitent l’utilisation de la peine de mort aux « crimes les plus graves » qui comprennent l’homicide volontaire, et la législation iranienne elle-même, qui prévoit que le crime de « rébellion armée contre l'État » ne peut être établi que si la personne mise en cause est membre d’un groupe armé et si elle a utilisé personnellement des armes.
Le procès de Heidar Ghorbani a été d’une iniquité flagrante. Les autorités l’ont arrêté le 11 octobre 2016 et l’ont ensuite placé en détention à l'isolement pendant plusieurs mois et soumis à une disparition forcée. Il a dit qu’au cours de cette période, il a été torturé de façon répétée afin qu’il fasse des « aveux » enregistrés sur support vidéo qui ont été diffusés sur la chaîne publique iranienne Press TV avant son procès – qui s’est tenu en 2017 –, en violation du principe de la présomption d’innocence. Il a dit que ceux qui l’ont interrogé l’ont frappé à coups de pied et de poing, privé de sommeil, et l’ont forcé à s’allonger sur le sol pendant qu’ils lui piétinaient la poitrine, ce qui le faisait suffoquer. Il a été privé d’accès à un avocat pendant la phase d’instruction, et ses avocats n’ont pas eu accès à la totalité du dossier au moment du procès.
Je vous demande d’annuler la déclaration de culpabilité et la peine de mort prononcées contre Heidar Ghorbani et d’ordonner un nouveau procès cette fois équitable et sans recours à la peine de mort. Je vous prie de veiller à ce qu’une enquête soit ouverte sur ses allégations relatives à sa disparition forcée et aux actes de torture, afin que les responsables présumés soient déférés à la justice dans le cadre de procès équitables, et de prendre les mesures nécessaires pour que les « aveux » obtenus au moyen de la torture et d’autres formes de mauvais traitements ou en l’absence d’un avocat ne soient pas utilisés comme preuves contre lui devant un tribunal.
Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de ma haute considération,
APPELS À
M. Ebrahim Raisi
Responsable du pouvoir judiciaire
c/o Mission permanente de l’Iran auprès de l’Organisation des Nations unies
Chemin du Petit-Saconnex 28
1209 Genève, Suisse
COPIe À
François-Philippe Champagne
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel : Francois-Philippe.Champagne@parl.gc.ca