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LA SANTÉ D’UNE AVOCATE EMPRISONNÉE EST GRAVEMENT MENACÉE

La santé de Nasrin Sotoudeh, une avocate spécialiste des droits humains emprisonnée, est gravement menacée, les autorités iraniennes l’ayant renvoyée en prison après son hospitalisation, bien qu’un médecin ait indiqué qu’elle avait besoin d’une intervention médicale cardiaque.

Elle avait été hospitalisée lorsque son état de santé s’était gravement détérioré pendant la grève de la faim qu’elle avait entamée pour protester contre les violations des droits humains commises par les autorités iraniennes dans le cadre du système pénal, notamment leur refus de libérer des personnes détenues pour des motifs à caractère politique qui pouvaient prétendre à une libération conditionnelle. Cette femme est une prisonnière d’opinion et doit être libérée immédiatement et sans condition.

Après le transfert de Nasrin Sotoudeh de la prison d’Evin à l’hôpital, elle a été admise en unité de soins intensifs et surveillée par des agents des forces de sécurité, dont certains sont restés dans sa chambre en permanence et se sont immiscés, en toute impunité, dans sa vie privée pendant des examens médicaux.

Nasrin Sotoudeh a été arrêtée arbitrairement chez elle, à Téhéran, le 13 juin 2018 et conduite à la prison d’Evin, où elle est emprisonnée depuis. Son procès devant la 28e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran a eu lieu le 30 décembre 2018 en son absence, car elle avait refusé d’y assister en raison de la nature injuste des procédures pendant lesquelles elle n’avait, en outre, pas pu s’entretenir avec son avocat. Dans son acte d’accusation, le parquet a énuméré sept chefs retenus à son encontre, dont quatre étaient fondés sur son opposition au port obligatoire du voile : « incitation à la corruption et à la prostitution », avoir « commis ouvertement un péché […] en se présentant en public sans hijab », « troubles à l’ordre public » et « troubles à l’opinion publique ». Les trois autres chefs d’accusation – « formation d’un groupe dans le but de porter atteinte à la sécurité nationale », « diffusion de propagande contre le régime » et « rassemblement et collusion en vue de commettre des infractions compromettant la sécurité nationale » – étaient également fondés sur des activités pacifiques considérées comme des « infractions pénales » par les autorités.

Ces activités sont notamment l’appartenance à des groupes de défense des droits humains tels que le Centre de défense des droits humains et la Campagne pour l’abolition progressive de la peine de mort. Nasrin Sotoudeh avait été condamnée à cinq ans d’emprisonnement dans le cadre d’une autre affaire en septembre 2016, pour « avoir aidé à cacher des espions dans l’intention de porter atteinte à la sécurité nationale », par la 28e chambre du tribunal révolutionnaire de Téhéran, qui l’avait jugée par contumace, car les autorités judiciaires avaient refusé de la laisser entrer dans la salle d’audience, au motif qu’elle ne portait pas une tenue islamique appropriée.

Nasrin Sotoudeh a publié la déclaration suivante lorsqu’elle a entamé sa grève de la faim le 10 août 2020 :

Défenseur·e·s des droits humains,

En plein cœur de la crise du coronavirus qui frappe l’Iran et le monde, les conditions de détention des prisonniers et prisonnières politiques sont devenues si difficiles et pénibles que leur maintien en détention est impossible dans ces circonstances répressives. Les poursuites engagées contre des prisonniers et prisonnières politiques sont fondées sur des charges invraisemblables d’espionnage, de propagation de la corruption sur terre et de création de groupes illégaux sur des chaînes Telegram, des charges qui entraînent une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 10 ans ou la peine de mort. Nombre d’accusé·e·s se voient refuser, du début des procédures judiciaires dans le cadre de leur affaire jusqu’à l’annonce de la décision, le droit de consulter un avocat indépendant ou de communiquer librement avec leur propre avocat. Les juges du tribunal révolutionnaire déclarent éhontément et à plusieurs reprises à des [détenu·e·s] politiques qu’ils prononcent des décisions sur la base uniquement d’informations des agences de renseignement et de sécurité, et l’interrogateur indique à l’accusé·e la décision dès son arrestation. Les avocat·e·s qui s’attirent les foudres des juges du tribunal révolutionnaire sont envoyés en prison. Les accusé·e·s qui ont fait l’objet de charges graves et invraisemblables sont condamnés à la peine la plus lourde et, dans certains cas, à plus que la peine la plus lourde. Les prisonniers et prisonnières qui ont été condamnés dans des circonstances aussi injustes resteront ainsi incrédules et espèreront trouver un moyen légal d’avancer.

Des juridictions d’appel, des libérations conditionnelles, des suspensions de peine et des ajournements de peine, ainsi qu’une nouvelle loi encourageant des peines minimales, ont été promis, mais dans les procédures extrajudiciaires, l’exercice de tous ces droits est laissé à la discrétion des interrogateurs, et les dernières issues pour les prisonniers et prisonnières politiques sont closes. Nombre de ces prisonniers et prisonnières peuvent maintenant prétendre à une libération conditionnelle, et nombre d’entre eux seraient libérés dans le cadre de la mise en œuvre de la nouvelle loi, mais les détenu·e·s sont toujours traités comme si cette loi n’existait pas et comme si ces possibilités juridiques ne leur étaient pas ouvertes. Les demandes des détenu·e·s cherchant des voies de recours viables sont restées sans réponse.

Pour toutes les demandes sans réponse et pour les demandes de libération de prisonniers et prisonnières politiques, j’entame une grève de la faim. Dans l’espoir de voir la justice instaurée dans mon pays, l’Iran.

Nasrin Sotoudeh, aile réservée aux femmes de la prison d’Evin, 10 août 2020.

LETTRE

Monsieur,

Le 10 août 2020, l’avocate spécialiste des droits humains injustement emprisonnée Nasrin Sotoudeh, 57 ans, a entamé une grève de la faim pour protester contre les violations des droits humains commises par les autorités iraniennes dans le cadre du système pénal. Le 19 septembre 2020, Nasrin Sotoudeh, dont l’état de santé se détériorait pendant sa grève de la faim, a été transférée dans un hôpital en dehors de la prison. Reza Khandan, le mari de Nasrin Sotoudeh, a alors déclaré sur Twitter qu’elle était « en très mauvaise santé » et qu’elle souffrait d’arythmie cardiaque, d’hypotension artérielle et d’une insuffisance respiratoire en raison desquelles elle ne pouvait pas purger le reste de ses peines.

Après avoir été transférée à la prison d’Evin, à Téhéran, le 23 septembre, elle a déclaré lors d’un appel téléphonique que des médecins qui l’avaient prise en charge à l’hôpital hors de la prison avaient indiqué qu’elle avait besoin d’une intervention médicale cardiaque. Malgré cela, elle est maintenant détenue dans le quartier dit de « quarantaine » de l’aile réservée aux femmes de la prison d’Evin, alors qu’elle est en grève de la faim, sans que des professionnels de la santé surveillent en permanence son état de santé. Son transfert de l’hôpital au quartier de quarantaine de la prison laisse craindre qu’elle ne reçoive pas les soins spécialisés dont elle a besoin et qui ne sont pas disponibles en prison. Pendant son hospitalisation, les forces de sécurité l’ont empêchée de communiquer avec sa famille, qui n’a pas non plus pu s’entretenir avec les médecins qui la prenaient en charge ni consulter les résultats de ses examens. Le manque d’informations sur son diagnostic ne fait qu’aggraver l’inquiétude de sa famille quant à sa santé et son bien-être.

Nasrin Sotoudeh a été condamnée à un total de 38 ans et six mois de prison et 148 coups de fouet à l’issue de deux procès d’une iniquité flagrante en 2016 et 2018, en raison de son travail pacifique de défense des droits humains, notamment son opposition aux lois iraniennes abusives, dégradantes et discriminatoires relatives au port obligatoire du voile et à la peine de mort. Fin mars 2020, un responsable de l’administration pénitentiaire a dit à Nasrin Sotoudeh qu’elle allait bénéficier d’une grâce pour sa condamnation de 2016, mais elle n’en a jamais reçu la confirmation écrite. Si cette grâce lui est accordée, au titre des dispositions iraniennes relatives aux condamnations, elle devra purger 12 ans de prison. Sa famille et elle ont fait l’objet de représailles et de manœuvres de harcèlement à plusieurs reprises. Sa fille, Mehraveh Khandan, a notamment été arrêtée le 17 août 2020, et ses comptes en banque ont été bloqués.

Je vous prie instamment de libérer Nasrin Sotoudeh immédiatement et sans condition, car cette femme est une prisonnière d’opinion, détenue uniquement en raison des activités pacifiques qu’elle mène en faveur des droits humains. Dans l’attente de sa libération, je vous demande de veiller à ce qu’elle reçoive les soins médicaux spécialisés dont elle a besoin en prison, dans le respect de l’éthique médicale, notamment des principes de confidentialité, d’autonomie et de consentement éclairé, et à ce qu’elle puisse recevoir la visite de sa famille. Je vous demande enfin de mettre fin au harcèlement et à l’intimidation auxquels est soumise sa famille.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma haute considération,

APPELS À

Responsable du pouvoir judiciaire – Ebrahim Raisi
c/o Mission permanente de l’Iran auprès de l’Organisation des Nations unies
Chemin du Petit-Saconnex 28
1209 Genève, Suisse

COPIES À

Ambassade de la République islamique d'Iran
245, rue Metcalfe
Ottawa (Ontario) K2P 2K2

François-Philippe Champagne
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel : Francois-Philippe.Champagne@parl.gc.ca