Deux prisonniers baloutches risquent d'être exécutés

Hamed Rigi et Mehran Narui, deux condamnés à mort issus de la minorité ethnique baloutche d’Iran, risquent d’être exécutés.
Les autorités les ont soumis à de graves violations des droits humains, notamment des disparitions forcées et des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, afin de leur arracher des « aveux » dans le but de les déclarer coupables et de les condamner à la peine capitale à l’issue de procès iniques. Depuis la mi-décembre 2020, les autorités iraniennes ont exécuté 18 hommes baloutches, alimentant la crainte qu’Hamed Rigi et Mehran Narui soient exécutés d’un moment à l’autre.
Le recours disproportionné à la peine de mort contre les minorités ethniques d’Iran illustre la discrimination et la répression généralisées dont elles sont victimes depuis des décennies. Les Baloutches et d’autres minorités ethniques sont victimes de discriminations limitant leur accès à l’éducation, aux soins médicaux, à l’emploi, à un logement décent et à des mandats d’élus. La province du Sistan-et-Baloutchistan souffre d’un sous-investissement chronique de la part du gouvernement central, ce qui exacerbe la pauvreté et la marginalisation. De nombreux villageois·e·s baloutches sont par ailleurs privés d’eau potable en quantité suffisante et physiquement accessible, ce qui les oblige à trouver des sources d’eau insalubres, telles que des rivières, des puits, des étangs et des fosses peuplées de crocodiles, pour la consommation et l'usage domestique, et à mettre ainsi leur vie en danger.
Cela fait longtemps que les autorités iraniennes appliquent la peine de mort à des personnes déclarées coupables d’infractions en relation avec les stupéfiants. Si le nombre des exécutions en rapport avec ce type d’infractions a fortement diminué ces dernières années, après la réforme de 2017 sur la législation relative aux stupéfiants, il reste possible d’être condamné à mort pour certaines infractions non violentes en relation avec les stupéfiants, selon la quantité et le type des drogues saisies. De nombreux hauts responsables iraniens ont publiquement reconnu que les politiques punitives menées pendant des décennies et l'usage endémique de la peine de mort n'avaient pas remédié au fléau de l’addiction et du trafic de drogue dans le pays. Ils ont également admis que les infractions à la législation sur les stupéfiants sont souvent liées à d'autres problèmes sociaux comme la pauvreté et le chômage.
Dans son rapport de janvier 2021 au Conseil des droits de l'homme des Nations unies, le rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme en République islamique d’Iran a déclaré qu’il restait « profondément préoccupé par le nombre élevé de peines de mort prononcées et mises à exécution en République islamique d’Iran, notamment pour des actes qui ne relèvent pas de la catégorie des "crimes les plus graves" et à l’issue de procès inéquitables. Le Comité des droits de l’homme a toujours interprété l’expression "les crimes les plus graves" de façon à englober l’homicide intentionnel. » Amnistie Internationale a recueilli des informations sur de nombreux cas d’exécutions de prisonniers par les autorités iraniennes, notamment des détenus issus des minorités ethniques, à l’issue de procès manifestement iniques et pour des infractions qui ne devraient pas être passibles de la peine de mort en vertu du droit international.
Amnistie Internationale a également constaté certaines atteintes systématiques au droit à un procès équitable en Iran, dès l’arrestation, durant la phase préliminaire au procès, pendant celui-ci, ainsi qu’en appel. Les autorités procèdent souvent à des arrestations sans présenter de mandat et placent les détenus à l’isolement dans des lieux tenus secrets, sans que ceux-ci puissent avoir accès à leur famille, dans des conditions s’apparentant à une disparition forcée. Le parquet et les fonctionnaires des organes de sécurité et du renseignement chargés des interrogatoires privent systématiquement les détenus de leur droit de consulter un avocat, et ce, dès le moment de leur arrestation. Les actes de torture et autres formes de mauvais traitements, ainsi que les « aveux » forcés arrachés sous la torture et sans qu’un avocat ne soit présent sont systématiquement utilisés à titre de preuve par les tribunaux pour prononcer des condamnations. L’organisation a par ailleurs recueilli des informations sur les exécutions secrètes menées régulièrement en Iran, concernant notamment des membres de minorités ethniques, et lors desquelles les autorités mettent des personnes à mort sans en notifier leur famille ni leur avocat au préalable, ainsi que le requiert pourtant le droit iranien.
Étant donné le caractère irréversible de la peine capitale, les procédures dans les affaires où elle peut être prononcée doivent être rigoureusement conformes à toutes les normes internationales garantissant le droit à un procès équitable. Les accusé·e·s doivent bénéficier des services d’avocats de la défense compétents, dès leur arrestation, durant la période préliminaire au procès et pendant celui-ci, ainsi que lors des procédures d’appel. Elles doivent être présumées innocentes tant que leur culpabilité n’a pas été établie sur la base d'éléments sans équivoque et convaincants ne laissant aucune place à une autre interprétation des faits. Les déclarations obtenues au moyen de la torture, de mauvais traitements ne peuvent être retenues à titre de preuve dans le cadre de procédures judiciaires. Les procédures doivent garantir le droit à la révision, des aspects factuels comme des aspects juridiques du cas, par une juridiction supérieure. L’exercice de ce droit suppose que les personnes concernées bénéficient d’un jugement public et raisonné. Le droit de solliciter une grâce doit également être respecté. Aux termes du droit international, prononcer une condamnation à mort à l’issue d’un procès inique constitue une privation arbitraire du droit à la vie.
Amnistie Internationale s’oppose à la peine de mort en toutes circonstances, sans exception. La peine de mort est une violation du droit à la vie et constitue le châtiment le plus cruel, inhumain et dégradant qui soit.
LETTRE
Monsieur,
Je vous écris afin de vous faire part de mon inquiétude au sujet de deux condamnés à mort issus de la minorité ethnique baloutche, qui risquent d’être exécutés après avoir fait l’objet de procès d’une iniquité flagrante. Hamed Rigi, incarcéré dans le quartier des condamnés à mort à la prison de Zahedan, dans la province du Sistan-et-Baloutchistan, a été déclaré coupable d’infractions en relation avec des affrontements armés datant de 2017 impliquant la brigade des stupéfiants dans cette même province, durant lesquels plusieurs membres des forces de sécurité ont été tués. Ses deux frères, Behnam Rigi et Shoaib Rigi, qui ont été condamnés à mort dans le cadre de la même affaire, ont été exécutés le 19 décembre 2020, ce qui fait craindre qu’on ne lui ôte la vie sous peu. Mehran Narui, qui est détenu dans le quartier des condamnés à mort à la prison de Dastgerd (province d’Ispahan), risque lui aussi d’être exécuté. Amnistie Internationale comprend qu’il a été condamné à la peine capitale il y a près de quatre ans pour des infractions liées aux stupéfiants. Anvar Narui, un autre prisonnier baloutche, qui avait été condamné à mort dans le cadre de la même affaire, a été exécuté à la prison de Dastgerd le 28 janvier 2021, ce qui fait craindre que l’exécution de Mehran Narui ne soit imminente.
Selon les informations dont dispose Amnistie Internationale, après leur arrestation, les deux hommes ont été soumis à une disparition forcée et à des actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, agissements destinés à les forcer à « avouer ». Leurs déclarations ont illégalement été retenues à titre de preuves par les juges chargés de l’affaire, même si les deux hommes les ont rétractées devant le tribunal et déclaré qu’ils les avaient faites sous la torture. Ils avaient été condamnés sur la base de ces « aveux » forcés. Selon une source bien informée, les deux hommes ont été privés du droit à un avocat lors de l’enquête, et Mehran Narui s’est également vu refuser un avocat
durant le procès. Leurs condamnations ont été confirmées par la Cour suprême.
Au moins 52 exécutions ont eu lieu en Iran depuis le 1 er décembre 2020 ; plus d’un tiers des personnes mises à mort étaient des prisonniers baloutches. Selon les informations obtenues par Amnistie Internationale, au moins 18 hommes baloutches ont été exécutés depuis le 19 décembre 2020. La multiplication alarmante du nombre d’exécutions de prisonniers baloutches fait craindre que les autorités ne recourent à la peine de mort dans le cadre d’une campagne visant à semer la peur parmi les Baloutches et d’autres minorités ethniques, ainsi que, plus généralement, au sein de la population iranienne.
Je vous demande de renoncer immédiatement à l’exécution de Hamed Rigi et Mehran Narui. Leurs déclarations de culpabilité et condamnations à mort doivent être annulées, et ils doivent pouvoir bénéficier de nouveaux procès sans que la peine de mort ne soit requise, et sans que des « aveux » obtenus sous la torture ne soient retenus à titre de preuves. Je vous exhorte par ailleurs à faire en sorte qu’ils puissent régulièrement voir leur famille et des avocat·e·s de leur choix, qu’ils soient protégés contre de nouveaux actes de torture et d’autres formes de mauvais traitements, que leurs allégations de torture fassent l’objet d’une enquête indépendante, impartiale et efficace, et que les responsables présumés soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables. Par ailleurs, je vous demande d’établir immédiatement un moratoire officiel sur les exécutions.
Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma haute considération.
APPELS À
Ebrahim Raisi
Responsable du pouvoir judiciaire
c/o Ambassade d’Iran auprès de l’Union européenne
15 Avenue Franklin Roosevelt,
1050 Bruxelles, Belgique
COPIES À
Marc Garneau
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: marc.garneau@parl.gc.ca