Des réfugié.es rohingyas détenus sur une île reculée

Le 4 décembre 2020, les autorités bangladaises ont réinstallé plus de 1 600 réfugié.es rohingyas à Bhashan Char, une île reculée dans le Golfe du Bengale, entièrement formée par dépôt de limon.
Bien qu’elle n’ait pas encore été déclarée sans danger pour l’habitation humaine par les Nations unies, quelque 100 000 réfugié.es rohingyas risquent d’être transférés de Cox’s Bazar vers cette île éloignée. Profondément inquiète pour la sécurité de ces milliers de réfugié.es rohingyas, Amnistie internationale appelle les autorités bangladaises à cesser immédiatement de réinstaller des personnes à Bhashan Char, à renvoyer celles qui qui se trouvent déjà sur l'île dans leurs familles et leur communauté à Cox's Bazar, et à suivre une procédure régulière, garantissant notamment une participation pleine et entière des réfugié.es, pour toute réinstallation.
Près d'un million de Rohingyas, une minorité majoritairement musulmane persécutée au Myanmar, ont fui des vagues d'attaques violentes dans le pays depuis 1978, cherchant refuge au Bangladesh voisin. L’immense majorité de ces personnes ont commencé à arriver il y a trois ans, à partir du 25 août 2017, lorsque plus de 740 000 Rohingyas ont fui le Myanmar, après que leurs habitations eurent été incendiées et qu'au moins 10 000 hommes, femmes et enfants rohingyas eurent été tués, victimes des crimes contre l'humanité commis par l'armée du Myanmar.
Bhashan Char, qui signifie littéralement « l’île qui flotte », a émergé du limon du golfe du Bengale il y a une vingtaine d’années et a été aménagée par la marine du Bangladesh. « Son dense tapis de baraquements cellulaires, la digue qui l’encercle et l'océan n’évoquent pas une infrastructure propice à la vie civile, mais plutôt les types d'infrastructure associés à l'incarcération », a écrit Lindsay Bremner, professeure d'architecture à l'Université de Westminster, dans un article (en anglais) intitulé “Sedimentary logics and the Rohingya refugee camps in Bangladesh” (« Les logiques sédimentaires et les camps de réfugiés rohingyas au Bangladesh»), publié dans ScienceDirect en mars 2020.
En septembre 2020, Amnistie internationale a publié un rapport (en anglais) intitulé “Let Us Speak for our Rights”, dans lequel deux réfugiés rohingyas disent avoir entendu parler de personnes victimes de harcèlement sexuel imputable à des éléments de la police et de la marine sur l'île . Au lieu de diligenter des investigations impartiales sur ces allégations, les autorités ont catégoriquement refusé d’ouvrir une enquête.
Deux semaines avant la réinstallation de décembre 2020, cinq Rohingyas représentant 23 réfugié.es membres de leurs familles ont dit à Amnistie internationale qu'ils avaient signé pour la réinstallation à Bhashan Char sous la contrainte, et non par choix.
Une femme rohingya figurant sur la liste des personnes à réinstaller a dit à Amnistie internationale qu'elle s'était inscrite pour se rendre sur l'île parce que son mari s’y trouvait. En tant que mère seule avec un enfant en bas âge, sans proche dans le camp, elle rencontrait de nombreux problèmes. « C’est très difficile à vivre, cette vie de réfugiés. Je n’ai pas d’autre solution. J’ai le sentiment que les autorités ne laisseront jamais mon mari quitter cette île », a-t-elle dit.
Deux familles rohingyas ont été inscrites sur la liste des personnes à réinstaller après avoir informé des représentants des autorités et le majhi (un chef de la communauté rohingya choisi par les autorités bangladaises) que leurs abris étaient partiellement endommagés. Au lieu de réparer leurs abris, on a dit à ces familles qu'elles devaient se réinstaller à Bhashan Char.
Des membres du personnel médical humanitaire ont fait état de leur profonde inquiétude au sujet de cette réinstallation. Un de leurs patients rohingyas était « complètement paniqué » à l’approche de son départ pour Bhashan Char, où on le forçait à se réinstaller, leur a-t-il dit. « Il ne sait pas s’il continuera à recevoir ses médicaments là-bas et il voulait avoir quelques mois de traitement d’avance », ont témoigné ces humanitaires.
Le personnel de cet établissement de santé de premier plan a dit à Amnistie internationale que certains des réfugiés avaient un traitement à prendre régulièrement. En l’absence de certitude quant à la disponibilité d’une prise en charge médicale à Bhashan Char, il est fort à craindre que leur santé ne s’y détériore.
L'article 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel le Bangladesh est partie, garantit à chacun le droit à la liberté de sa personne et interdit l’arrestation et la détention arbitraires, la privation de liberté n’étant autorisée que conformément à la procédure prévue par la loi. L'article 12 du PIDCP garantit à toute personne se trouvant sur le territoire d'un État le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
LETTRE
Honourable Prime Minister Sheikh Hasina / Madame la Première ministre,
Je vous écris pour vous faire part de ma profonde inquiétude pour la vie de plus de 1 600 réfugiées et réfugiés rohingyas qui ont été transférés sur l'île de Bhashan Char le 4 décembre 2020, avant même que les Nations unies, les organisations de défense des droits humains et les organisations humanitaires n’aient été autorisées à évaluer de manière indépendante les conditions de vie sur cette île, notamment la possibilité d’y jouir des libertés et droits fondamentaux.
J’ai également appris avec consternation que non seulement 300 réfugié.es rohingyas avaient été confinés à Bhashan Char contre leur volonté depuis mai 2020, mais que 100 000 autres risquaient d'y être réinstallés très prochainement. Des réfugié.es rohingyas ont dit à des organisations de défense des droits humains qu'on les avait contraints à se rendre sur l'île.
Le Bangladesh a donné aux réfugié.es rohingyas une chance de survivre alors qu'ils fuyaient de terribles persécutions. Cependant, le confinement de réfugié.es rohingyas sur cette île constitue une violation des obligations qu incombent au Bangladesh en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), et porte gravement atteinte à leur droit à la liberté de leur personne et à la liberté de mouvement.
Il est important qu'une procédure régulière et transparente soit suivie dans les situations où la communauté internationale a pour responsabilité de soutenir le Bangladesh et les réfugié.es rohingyas.
En conséquence, je prie instamment votre gouvernement :
- de cesser immédiatement de réinstaller des réfugié.es rohingyas à Bhashan Char et de renvoyer les personnes qui se trouvent déjà sur l’île dans leurs familles et leur communauté à Cox’s Bazar ;
- de permettre aux Nations unies, aux organisations humanitaires et aux organisations de défense des droits humains d’évaluer de manière indépendante l'habitabilité de Bhashan Char et la possibilité d’y jouir des libertés et droits fondamentaux, puis, et exclusivement si l’île a été jugée habitable, d’ouvrir celle-ci au public et non pas uniquement aux Rohingyas ;
- de définir dans un cadre politique accessible au public, transparent et respectueux des droits humains la participation des réfugiés rohingyas aux décisions qui les concernent.
Veuillez agréer, Madame la Première ministre, l'expression de ma haute considération,
APPELS À
Sheikh Hasina, Première ministre
Bureau de la Première ministre
Le vieux Sangsad Bhaban
Tejgaon, Dhaka - 1215, Bangladesh
Courriel : psecy@pmo.gov.bd
Cc : ps1topm@pmo.gov.bd
COPIES À
M. Chiranjib SARKER, Chef de mission adjoint et chargé d'affaires
Haut-commissariat de la République populaire du Bangladesh
350 Rue Sparks, Bureau 1100
Ottawa (Ontario) K1R 7S8
Courriel: mission.ottawa@mofa.gov.bd
Marc Garneau
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel: marc.garneau@parl.gc.ca