• Chine

Un Ouïghour détenu à l’isolement depuis deux ans

Ekpar Asat, entrepreneur ouïghour en technologie, est détenu à l'isolement depuis janvier 2019, selon des informations communiquées à sa famille.

Il semble que son isolement prolongé, la malnutrition et l’absence de soins médicaux appropriés aient entraîné une forte détérioration de son état de santé. Amnistie Internationale est profondément inquiète pour la santé et le bien-être de cet homme, déclaré coupable d’« incitation à la haine et à la discrimination ethniques » et condamné à 15 ans d’emprisonnement sans procès connu.

 

Ekpar Asat est un entrepreneur en technologie, créateur de médias et philanthrope ouïghour qui vient en aide à des personnes âgées et à des enfants porteurs de handicap. Il a créé une application très appréciée sur les réseaux sociaux, dans laquelle apparaissaient des contenus relatifs à l’actualité et à la culture. Il a disparu en avril 2016 et a par la suite été déclaré coupable d’« incitation à la haine et à la discrimination ethniques » (煽动民族仇恨、民族歧视) et condamné à 15 ans de prison sans procès connu. Ce n’est que par le biais de communications entre les autorités chinoises et quelques sénateurs américains en décembre 2019 et janvier 2020 que sa famille a appris sa condamnation. Il est actuellement détenu dans une prison de la préfecture d’Aksu, au Xinjiang.

Ekpar Asat a enfin pu communiquer avec ses proches en janvier 2021, pour la première fois depuis 2016. Après cet échange, sa famille a signalé que sa santé s’était manifestement détériorée. Au cours de cette appel vidéo de trois minutes fin janvier 2021, ses proches ont constaté qu’il avait perdu beaucoup de poids, que son teint était pâle et son visage marqué par des taches noires. Il a dit à sa famille que sa santé physique comme mentale se dégradait.

L’ambassade des États-Unis à Pékin a encouragé Ekpar Asat à postuler pour participer à l’International Visitor Leadership Program (IVLP) à la suite de sa rencontre avec Max Baucus, alors ambassadeur américain en Chine, au Xinjiang en 2014. L’IVLP est un programme d’échange professionnel du Département d’État américain, qui permet à des chefs d’entreprise étrangers en poste et en devenir issus de divers horizons de faire un séjour aux États-Unis et de nouer des relations avec leurs homologues américains.

Le Département d’État américain a cité le cas d’Ekpar Asat dans son rapport de 2019 sur les droits humains en Chine. Après qu’un groupe bipartisan de sénateurs des États-Unis a appelé les autorités chinoises à libérer Ekpar Asat, l’ambassade chinoise à Washington a répondu par un courriel envoyé en janvier 2020, dans lequel elle a donné des informations sur sa condamnation mais sans fournir plus de précisions.

Le Xinjiang est l’une des régions chinoises dont la population est la plus diversifiée sur le plan ethnique. Plus de la moitié de ses 22 millions d’habitant·e·s appartiennent à des groupes ethniques principalement d’origine turque et majoritairement musulmans, parmi lesquels les Ouïghours (environ 11,3 millions de personnes), les Kazakhs (environ 1,6 million) et d’autres populations dont les langues, les cultures et les modes de vie sont très différents de ceux des Hans, qui sont majoritaires en Chine « intérieure ».

Les médias ont témoigné de l’ampleur et de la sévérité des nouvelles mesures en matière de sécurité mises en œuvre depuis l’arrivée au pouvoir, en 2016, de Chen Quanguo, le nouveau secrétaire du parti dans la province du Xinjiang. En octobre 2016, ils ont relayé de nombreuses informations faisant état de la confiscation de passeports de Ouïghours par les autorités de la région dans le but d’entraver davantage encore leur droit de circuler librement. En mars 2017, les autorités du Xinjiang ont adopté le « Règlement de lutte contre l’extrémisme », qui définit et interdit un large éventail de comportements qualifiés d’« extrémistes », tels que la « diffusion de pensées extrémistes », le fait de critiquer ou de refuser d’écouter ou de regarder des émissions de la radio et de la télévision publiques, le port de la burqa, le port d’une barbe « anormale », le fait de s’opposer aux politiques nationales, et la publication, le téléchargement, le stockage et la lecture d’articles, de publications ou de matériel audiovisuel présentant un « contenu extrémiste ». Cette réglementation a en outre instauré un « système de responsabilisation » destiné aux cadres du gouvernement pour les activités de « lutte contre l’extrémisme », et mis en place une évaluation annuelle de leurs performances.

On estime que jusqu’à un million de Ouïghours, de Kazakhs et de membres d’autres ethnies à majorité musulmane sont détenus dans des centres de « transformation par l’éducation ». Les autorités chinoises ont nié l’existence de ces lieux jusqu’en octobre 2018, et ont ensuite affirmé qu’il s’agissait de centres de « formation professionnelle » gratuite et volontaire. Selon elles, l’objectif de cette formation est de dispenser un enseignement technique et professionnel pour permettre à ces personnes de trouver un emploi et de devenir des citoyens « utiles ». Les explications de la Chine, cependant, contredisent les informations recueillies auprès d’ancien·ne·s détenu·e·s faisant état de coups, de privation de nourriture et de détention à l’isolement.

La Chine a rejeté les demandes de la communauté internationale, y compris d’Amnistie Internationale, l’appelant à autoriser des experts indépendants à se rendre librement dans la région du Xinjiang. En revanche, elle a multiplié les efforts pour faire taire les critiques en invitant des délégations de divers pays à se rendre au Xinjiang pour des visites soigneusement orchestrées et surveillées de près.

LETTRE

Monsieur le Directeur,

Je vous écris pour vous faire part de ma profonde inquiétude pour Ekpar Asat ( 艾克 拜  尔  ·   赛  提 ), un entrepreneur ouïghour en technologie qui, à ma connaissance, est détenu à l'isolement depuis son transfert dans une prison de la préfecture d'Aksu en janvier 2019.

Au cours de la première conversation vidéo qu’il a eue avec ses proches depuis son arrestation, fin janvier 2021, ceux-ci ont constaté qu’il avait perdu beaucoup de poids, que son teint était pâle et son visage marqué par des taches noires. Comme il continue à souffrir d’un manque d’exposition au soleil et de malnutrition, il est à craindre que la santé d’Ekpar Asat ne se détériore davantage s’il ne bénéficie pas de soins médicaux appropriés.

En vertu du droit international relatif aux droits humains et des normes internationales en la matière, le placement à l'isolement ne doit être utilisé qu'à titre exceptionnel, en dernier recours, pour le laps de temps le plus court possible et sous réserve d'une évaluation indépendante, et uniquement sous réserve d'une autorisation par une autorité compétente.

La détention prolongée à l’isolement, en particulier lorsqu'elle est couplée à l'isolement du monde extérieur, peut constituer une violation de l'interdiction de la torture et autres mauvais traitements et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

En conséquence, je vous prie instamment :

  • de prendre les mesures nécessaires pour que, pendant sa détention, Ekpar Asat soit traité dans le plein respect de l’Ensemble de règles minima des Nations unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), et en particulier pour qu’il ne soit pas soumis à des actes de torture ni à d’autres mauvais traitements, notament à des conditions de détention déplorables, à une alimentation et une prise en charge médicale insuffisantes et à une détention prolongée à l’isolement ;
  • de faire en sorte qu’Ekpar Asat puisse entrer en contact régulièrement et sans restriction avec un avocat de son choix et avec sa famille ;
  • de libérer Ekpar Asat, à moins qu’il n’existe des éléments crédibles, suffisants et recevables tendant à prouver qu’il a commis une infraction reconnue par le droit international et qu’il ne soit jugé dans le cadre d’un procès conforme aux normes internationales d’équité.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'expression de ma haute considération,

APPELS À 

Director Wang Jiang
Directeur de l’administration pénitentiaire pour la région autonome ouïghoure du Xinjiang
Prison Administration Bureau of Xinjiang Uighur Autonomous Region
No 380, Huanghe lu, Urumqi
830000, Xinjiang Uyghur Autonomous Region
Chine

COPIES À

M. Peiwu Cong, Ambassadeur
Ambassade de la République populaire de Chine 
515 St. Patrick Street 
Ottawa, ON K1N 5H3
Courriel : chineseembassy.ca@gmail.com

Marc Garneau
Ministre des Affaires étrangères
111, rue Wellington
Ottawa (Ontario) K1A 0A6
Aucun timbre requis
Courriel:  marc.garneau@parl.gc.ca